1/ Comment vous présenteriez-vous ?
Je suis avant tout un habitant, un citoyen engagé faisant partie d’un bassin de vie, d’une communauté avant d’être élu. J’habite la commune de la Couronne en Charente (16). Mes pratiques sportives de handballeur et de kayakiste mais également d’éducateur m’ont forgé un esprit basé sur le collectif et la transmission. Et lorsqu'on a fait de la compétition on apprend à perdre, à relativiser et à se remotiver !
2/ Pouvez-vous nous présenter la commune de la Couronne et ses environs, les raisons pour lesquelles ce territoire est si important pour vous ?
La Couronne est une commune de 8 000 habitants qui n’a cessé de se développer ces dernières années du point de vue démographique. Elle fait partie du Grand Angoulême (141 000 habitants) dans un département, la Charente, à caractère rural.
Ce que j’aime dans cette commune c’est son histoire, ancienne et plus récente, et ce qu’elle est aujourd’hui, dans sa complexité. Son abbaye du 12ème siècle, en est un marqueur très fort. Construite sur des marais, elle a été façonnée par les moines qui ont asséché les marais, construit des moulins et développé une activité agricole vivrière. Le quartier politique de la ville (QPV) construit dans les années 90, proche de l’abbaye, s’appelle d’ailleurs l’Étang des Moines. La juxtaposition de cette abbaye et de la cimenterie Lafarge, en plein cœur de ville est un autre marqueur fort de cette commune. Cette imbrication architecturale hétéroclite du passé et du présent ne laisse pas indifférent.
Aujourd’hui ce que je considère comme la force de la commune est sa diversité, sa mixité culturelle, sociale et ethnique des habitants qui y vivent. A cela s’ajoute une diversité économique et géographique. Elle est constituée d’une zone urbaine, d’une zone péri-urbaine pavillonnaire, de terres agricoles, de sites naturels dont trois vallées et d’une zone industrielle, dont la cimenterie Lafarge. La formation, l’éducation, de la petite enfance à l’université est également une force pour une petite ville de 8 000 habitants ! Cette complexité dans les approches et dans son histoire, dans son tissu économique, dans sa richesse environnementale, dans les pollutions qu’elle a subi, m’a interpellé. C’est intellectuellement très riche et stimulant de s’y confronter.
3/ Vous êtes engagé dans le développement territorial. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
On m’aurait posé la question il y a 15 ans, avant mon engagement politique, je pense que je n'aurais pas répondu de la même manière. J’aime de moins en moins le mot “développement” car ce terme reflète encore trop pour moi une notion d'expansion, d’activité productiviste. Or, on le sait, il suffit de lire les nombreux rapports scientifiques à ce sujet, l’activité humaine, dans sa façon de produire, de consommer et d’échanger, n’est pas durable. Il y a une nécessité de revoir notre façon de vivre. Le développement territorial est forcément aujourd’hui synonyme de changement radical. Ce changement de paradigme semble inaccessible par le manque de prise de conscience et de décisions fortes à tous les niveaux. C’est un vrai combat pour sensibiliser et pallier à cette lenteur vécue et en même temps c’est une source de grande inquiétude pour l’avenir.
Prenons un exemple local, celui de la cimenterie Lafarge. Cette industrie, présente depuis plus de 80 ans sur le territoire communal, était le flambeau du développement local, créatrice de nombreux emplois et de richesses locales. Par ailleurs, son impact sur l’environnement était très important (bruit, poussières et fumées, creusement de nombreuses carrières, gaz à effet de serre). Ma position d’élu (en adéquation avec celle du conseil municipal) a alors été d’engager l’industriel dans des améliorations sociales et environnementales, plutôt que de lutter pour la fermeture de l’usine, comme le souhaitaient certains habitants, avec pour conséquence une production du ciment dans des pays où les normes sociales et environnementales sont catastrophiques ! Mais aujourd’hui cette usine est quasiment à l’arrêt, sacrifiée sur l'autel des profits d’un groupe industriel international.
Localement, on peut tendre vers un développement maîtrisé en agissant sur la sobriété, la consommation de produits et de matériaux dits durables, l’accompagnement des changements de comportements mais les élus locaux sont confrontés aux normes, à des lois et des orientations prises au niveau national ou européen.
4/ Garantir une alimentation saine et durable sur votre territoire est l’un des grands sujets de votre carrière d’élu. Racontez-nous vos plus grands défis à ce sujet.
Commençons d’abord par comprendre le monde. C'est -à -dire s’informer, s’alimenter des rapports scientifiques qui provoquent parfois chez moi de l’anxiété. Grâce à ces rapports on le sait, les systèmes agricoles, agroalimentaires et agro-chimiques ne sont pas durables. Aujourd’hui, la société consomme ce que certains ont intérêt à produire alors que dans une démocratie alimentaire on devrait produire ce dont on a besoin, ce qui serait bon pour notre santé et notre environnement, de la fourchette à la fourche en somme, et pas l’inverse . C’est de la responsabilité des pouvoirs publics d’agir dans le bon sens.
Ce qui m’anime c’est donc de répondre à ces enjeux et sans minimiser mes mots, c’est une vraie bataille ! On est face à un mécanisme mondial qui semble incontrôlable jusque dans les collectivités locales où l’on sent parfois un manque de volonté d’agir. Pourtant, si on écoutait vraiment les scientifiques alors on se rendrait compte de cette grande fragilité, cette absence de résilience du modèle dominant. On a l’impression qu’il faut attendre une catastrophe pour bouger. Les Greniers d’Abondance ont produit deux publications à ce sujet : « Vers la résilience alimentaire » et « qui veille au grain ? ». Je vous en conseille la lecture, tout est dit !
Mais il y a du positif dans tout ça. Ce qui me donne espoir ce sont ces actions menées à l’échelle locale. Il faut rendre ce défi joyeux, y impliquer de plus en plus de monde pour lutter ensemble. C’est alors beaucoup plus facile ! C’est ce que je vis d’ailleurs en duo avec mon responsable restauration, Grégory Passeraud. Il est important de s’entourer des personnes qui sont motivées et convaincues par le changement et surtout ne pas avoir peur du temps long qui permet de bâtir des changements solides, bien au-delà d’un mandat politique. Les collectivités doivent donner l’exemple, construire le « commun » en se questionnant sur le « pourquoi agit-on ? ». Il est plus facile d’avoir une adhésion sur les constats et les enjeux. Qui pourrait nier aujourd’hui les constats scientifiques ? Le tout est ensuite de faciliter le passage à l’action quelle que soit l’échelle.
5 / Au regard de ces expériences vécues au cours de vos différents mandats, quel serait celle dont vous êtes le plus fier ?
Je suis fier de ce que nous avons accompli pour la restauration scolaire. C’est une vraie réussite d’avoir pu motiver les équipes techniques à changer leurs pratiques. J’y inclus les producteurs. Ensemble nous avons mis en place un plan de lutte contre le gaspillage alimentaire exemplaire, nous avons réduit nos déchets et baissé nos consommations énergétiques, les protocoles de nettoyage ont été modifiés en profondeur, les conditions de travail des agents ont été améliorées, l’éducation des enfants renforcée. Ces efforts se sont conclus par l’obtention du label Ecocert « label en cuisine » niveau trois, mention excellence, le plus haut ! Plus de 80% de denrées bio les plus locales possible, plus de protéines végétales, du fait maison à presque 100%. C’est un changement systémique qui s’est opéré. J’en suis très fier, surtout pour les équipes sur le terrain.
Encore une fois, c’est un projet mené collectivement, que nous partageons volontiers avec d’autres collectivités, avec humilité. Cette aventure humaine dure depuis 15 ans, cela n’a pas toujours été un long fleuve tranquille, mais le résultat est formidable. Retrouvez plus d’informations ici.
6/ Quel est l’échec dont vous avez tiré le plus d’enseignements ?
En 2010, il y a une leçon que j’ai apprise en travaillant sur un projet énergétique d’ampleur. À l’époque, on souhaitait créer une chaufferie biomasse pour alimenter, via un réseau de chaleur, le quartier prioritaire, soit un ensemble de bâtiments collectifs de 1 500 habitants et tous les bâtiments municipaux. Il s’agissait de développer les énergies renouvelables bas carbone tout en garantissant une meilleure maîtrise des coûts. Aujourd’hui ce type de projet aurait tout son sens, sauf qu’à ce moment-là on était beaucoup trop en avance. Le bailleur social nous a plantés au milieu du projet alors qu’il était tout à fait viable et réalisable.
Il ne fait jamais bon d’être en avance sur son temps, surtout vis-à -vis de ses partenaires institutionnels et de ses pairs. Grâce à cette expérience j’ai un regard beaucoup plus assidu sur les partenaires avec qui je m’engage, sur leurs motivations, leur niveau d’implication.
Plus qu’un enseignement, j’ai fait également le constat du difficile pouvoir d’agir au niveau communal. L’agglomération de notre territoire n’étant pas sur le même niveau d’ambitions, alors qu’elle porte bon nombre de compétences stratégiques telles que l’urbanisme, le plan climat air énergie, les mobilités, le développement économique, il y a un réel enjeu politique à faire valoir ses projets et les essaimer. Cela demande beaucoup de temps et d’énergie pour souvent peu de résultats.
7/ Quel(s) message(s) souhaitez-vous partager à vos pairs ?
Deux choses me paraissent importantes : d’abord qu’il faut miser sur le collectif et que l’essentiel est de prendre soin des autres, particulièrement des plus fragiles. Enfin, au regard de mon expérience personnelle et de mon statut d’élu, la transition écologique, la sobriété, ne sont pas synonyme d’austérité, elles sont facteurs de progrès, de liens sociaux et de solidarité.