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“Quelles évolutions pour le développement territorial et dans les pratiques professionnelles ?” – Retour sur la table ronde avec Laurence Barthe

Publié le 02/11/2022
Temps de lecture : 5 min
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Comment définir le développement local aujourd'hui ? Et demain ? Quels impacts sur le métier de développeurs territoriaux et les pratiques professionnelles ? Autant de questions qui ont été abordées par Laurence Barthe lors de la clôture du Forum des développeurs le 16 septembre 2022 à Soyaux.

Laurence Barthe est enseignante-chercheuse et maître de conférence à l’Université Toulouse Jean Jaurès. Ses recherches portent sur le développement local et territorial, sur les enjeux du rural et des ruralités et sur les problématiques alimentaires et agricoles. Pour ce temps de clôture, elle était accompagnée par Paul Crémoux, secrétaire de l’ADENA et responsable de la cohésion territoriale à la communauté de communes du Civraisien-en-Poitou, Marie-Aude Clément, directrice de la cohésion territoriale à la communauté d’agglomération du Grand Périgueux et Maxime Roby, chef de projet territorial au PETR du Pays Monts et Barrages. Chacun a témoigné sur son expérience du métier de développeur et développeuse local.

Le développement local aujourd’hui et demain

Selon Laurence Barthe, il existe des dénominateurs communs du développement local :

1/ Le développement local est toujours situé dans un certain contexte sociopolitique marqué par des paradigmes

Il est donc difficile d’en faire un modèle, car il s’est successivement inscrit dans les mots d’ordre de l’économie territoriale et de l’économie sociale et solidaire dans les années 1980-1990 puis dans l’attractivité et la métropolisation dans les années 2000. Aujourd’hui, il se situe davantage dans les notions de résilience, transition, crise, “qui sont autant de gros mots pour dire nos maux” ironise la chercheuse.
Vis à vis de ces paradigmes socio-politiques, le développement local propose un pas de côté, une rupture par rapport à une réalité qui fait problème ou envie, une sorte de laboratoire. 

2/ Le développement local nécessite trois capacités d’après celles et ceux qui l’analysent

  • D’abord, celle de l’action collective ascendante qui prend de multiples figures, celle de collectifs indépendants dans les années 1970 qui se sont peu à peu institutionnalisés jusqu’à une logique de corsetage puis, dans les années 2000, l’action locale est devenue programmatique. Depuis quelques années, elle semble toutefois revenue aux origines avec une revitalisation démocratique manifeste. Plus que participative, elle est une “démocratie de construction” pour reprendre les mots qui décrivent la démarche expérimentale menée entre 1980 et 2020 par Jo Spiegel, maire de Kingersheim (Alsace) autour de la question écologique notamment. L’enjeu principal est aujourd’hui de renouveler l’articulation entre l’action institutionnelle et l’agir citoyen. Les élus se sont interrogés dans leur responsabilité, comme les citoyens et les agents. Ce sont justement ces derniers qui accompagnent cette articulation.
  • Ensuite, la capacité à interroger ce qui fait ressource. Dans les questionnements originels du développement économique, on ne maîtrisait pas les ressources. Elles ne profitaient pas au territoire. Aujourd’hui, l’enjeu est bien la création de chaînes de valeur territorialisées avec des dimensions sociale, économique, culturelle, environnementale. Ce qui implique naturellement une approche transversale, qui s’est conduite via des expérimentations, et qui peine, une fois rentrée dans les compétences des collectivités, à ne pas être rangée dans des silos. Pour contrer ce problème,  il faut répondre à la question de ce qui fait valeur aujourd’hui dans nos sociétés. La réponse nécessite de croiser les indicateurs des valeurs sociale, économique, écologique. La prise en compte de ces valeurs vient à l’encontre des référentiels de compétitivité et d’attractivité et nécessite de privilégier une approche des communs.
  • La troisième capacité est celle de refaire territoire en termes d’identité. Les premiers territoires se sont formés intuitivement, suivant la logique du développement économique.  Puis, une “course au territoire pertinent” s’en est suivie. Aujourd’hui, il est nécessaire de reconnaître le territoire comme un système vivant, en rejoignant l’approche du métabolisme territorial. Cela implique d’adapter nos outils de diagnostics de territoire et nos compétences qui ne sont pas prêts à cela. 

Ces trois capacités sont fondatrices du laboratoire du développement local, et ne sont rien sans le développeur local qui les révèle, les accompagne.

Voici d’autres éléments sur lesquels Laurence Barthe a insisté.

Remettre le développement local au service de valeurs

Que servent ces trois capacités ? Laurence Barthe souligne qu’il est courant de présenter des réalisations (visite de la maison de santé, du tiers-lieux, par exemple) pour illustrer des initiatives. Il faut pourtant toujours veiller à les relier aux valeurs et idéaux qui sous-tendent l’action. Ainsi, des années 1970 à aujourd’hui, nous sommes passés de grandes utopies à d’autres, plus concrètes.

Les chercheurs affirment que le développement local amène à s’interroger sur notre “être au monde”. Comment les actions que nous portons répondent différemment aux droits fondamentaux suivants : se loger, se nourrir, droit à la culture, etc. Plus largement, cela invite à imaginer ce que “bien vivre” matérialise, au sens d’un équilibre avec avec soi-même, les autres, le territoire, une planète. Il ne faudrait donc pas perdre de vue la boussole, le sens, le récit, en somme l’importance de l’interprétation des défis à relever. 

Quelles interpellations sur les métiers du développement local ?

Les développeurs locaux, ce sont ces gens qu’on ne voit pas mais qui jouent un rôle essentiel”. Leurs compétences principales sont d’être une interface entre les personnes, la polyvalence, le relationnel, l’accompagnement des changements et l’expérimentation.

Aujourd’hui, le métier est soumis à la tension de l’éloignement des objets sur lesquels on travaille : distanciation administrative et technique, numérique. Cela génère parfois une perte de sens, de légitimité et de reconnaissance avec parallèlement une montée en puissance fulgurante des injonctions : des politiques, des institutions, issues des crises. 

Sur quelles pratiques professionnelles travailler ?

Laurence Barthe reprend ici les grands enjeux du rapport de l’UNADEL et de l’IRDSU  intitulé « Les transitions territoriales, un défi et une opportunité pour les acteurs du développement territorial » (2021) : 

  • Intelligence collective : “l’action est l’affaire de tous, de l’usager, de l’habitant, du migrant, du SDF”. Cela se construit à travers un processus d’apprentissage de soi, des autres, au service de la pensée du futur. Une des faiblesses du développement local est de diagnostiquer à l’excès, et de ne pas assez se projeter vers le futur, ni d’accepter d’expérimenter.
  • Décloisonner, réapprendre l’effet de système dans nos analyses, prospectives, pratiques
  • Utiliser des méthodes qui placent le sensible, l’imagination, les émotions, la créativité au cœur de l’action locale. Sortir de l’action programmatique, avoir recours au concret, faire des pas de côté, et toujours…expérimenter!

Laurence Barthe conclut en reprenant l’idée de rédaction d’un plaidoyer sur le métier de développeur local (idée qui est ressortie à la suite du forum ouvert). Elle conseille d’écrire celui-ci en cohérence avec les enjeux actuels.

Regards croisés sur le métier du développement local

Paul Crémoux, secrétaire de l’ADENA et responsable de la cohésion territoriale à la communauté de communes du Civraisien-en-Poitou, Marie-Aude Clément, directrice de la cohésion territoriale à la communauté d’agglomération du Grand Périgueux et Maxime Roby, chef de projet territorial au PETR du Pays Monts et Barrages ont chacun témoigné sur leur expérience du métier de développeur et développeuse local.

 

La découverte du métier

Le développement local, un hasard pour Paul

Paul est arrivé dans le développement local par hasard, en tant que chargé de cohésion territoriale pour une intercommunalité dans la Vienne. Avant cela, il suivait une formation histoire, et a passé son CAPES d’histoire géographie. Puis, il poursuit sur un master de philosophie avec une spécialité en médiation, et réalise des diagnostics sociaux de territoire.

Réaliser une fois dedans, que l’on travaille au développement local

Marie-Aude aussi arrive dans le développement local sans s’en rendre compte. Après des études littéraires artistiques, elle suit une formation en IUT dans l’animation socio-culturelle. En 1991, elle croise un chef de projet sur la transformation d’un quartier. Elle y voit là la possibilité de changer les choses. Elle rejoint donc l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de Bordeaux en tant qu’animatrice socio-culturelle. Puis, elle saisit une opportunité de stage et de premier emploi en Dordogne. Les défis semblent gigantesques, et le champ du possible incroyable. Cela se passe au moment où les premiers contrats de ville se mettent en place. Il s’agit alors de travailler à la rencontre avec les habitants, les associations, le monde politique, à trouver une vision. 

Les choses étaient peut-être plus simples dans le cadre institutionnel, de pouvoir se saisir d’un sujet, de monter des équipes, de monter des projets, d’essayer, d’échouer, de recommencer.” avance-t-elle.

Au cours de sa carrière, Marie-Aude travaille sur l’habitat, la politique de la ville, les gens du voyage. Parallèlement, se greffent rapidement d’autres sujets « inclassables », car la politique de la ville en aborde de nombreux. Notamment la santé, la lutte contre les discriminations, etc. 

De l’intervention technique à l’animation d’une politique publique

Maxime commence par un Master en management territorial et évaluation des politiques publiques. Il y suit des cours d’économie des entreprises et de droit des collectivités territoriales. Après quelques “jobs”, le voilà recruté sur l’animation d’un dispositif économique dans une collectivité. C’est grâce au réseau Collectif Villes Campagnes qu’il comprend être dans le développement local. Il passe de la logique « Que fait-on ? » inhérente à l’animation d’un dispositif, à la question “Quelle économie voulez-vous ?”. Il ne s’agit plus de faire voter les élus sur les dispositifs, mais sur une politique. À partir de ce moment-là, il fait du développement économique et non plus de l’animation de dispositifs, ce qui le satisfait.

Quelle vision du métier aujourd’hui?

Retrouver le sens du métier de développeuse locale

Aujourd’hui, Marie-Aude a la sensation d’être surtout mobilisée sur la recherche de financement et sur la communication. Elle se sent à la croisée de chemin entre militantisme et injonctions paradoxales. Finalement, où est sa place de développeuse locale? Dans l’exercice de ses fonctions, il faut parvenir à se détacher de cette gestion des moyens, des contrats, des périmètres de pertinence parfois trop rigides. “Si on retrouve ce sens professionnellement, alors on peut aider nos élus à prendre du recul” conclue-t-elle.

Comment faire territoire avec les enjeux d’aujourd’hui?

Maxime se reconnaît beaucoup dans l’expérimentation, dans la revitalisation démocratique, dans la prise en compte des ”communs” plus que des ressources. La question qui l’anime est « Comment fait-on territoire ? ». En effet, il a la charge de coordonner le projet de territoire du PETR qui veut conventionner avec les EPCI. Aujourd’hui, certes, le projet de territoire est large et moins ambitieux. Néanmoins, il a le mérite d’être très consensuel. Cela donne donc la légitimité de travailler sur ce qu’on veut, et avec qui on veut. Toutefois, les transitions écologiques et énergétiques lui font peur car il craint de ne pas bien les “maîtriser techniquement”, et ne sait pas comment accompagner les élus là-dessus.

Priorité aux relations et à la vision

Paul insiste sur la prépondérance de l’inter-relationnel et des nouvelles manières de voir les relations, de les construire aussi. “On a beau apprendre à créer des projets, si on n’est pas bon en écoute, en gestion de conflit (et non à les éviter), on n’y arrive pas. Il faut faire en sorte que chacun trouve sa place.” , explique t-il. Cela rejoint le propos sur les émotions de Laurence Barthe.  Indéniablement, les défis du siècle nous chargent en émotions. “Qu’on le choisisse ou pas, on arrive avec ça, ce sont des valeurs qui s’imposent à nous” poursuit-il. Ajouter des émotions où il n’y en avait pas il y a quinze ans change nos relations. Par conséquent, sur le plan de l’imagination, cela change les possibles. Ainsi dans le dialogue avec les citoyens, les élus, il faut encourager à parler librement. Le concept d’hétérotopie (localisation physique d’une utopie) de Foucault le marque. Plutôt que l’utopie qui est désuète, nous serions au temps des bifurcations. Ainsi, toutes les programmations doivent être remises à leur place. Il ne s’agit pas de politiques publiques, mais d’instruments. Paul remarque qu’il y a une tendance générationnelle à affirmer cela.

Repenser la notion de “développement local” ?

Laurence Barthe se questionne. Faut-il repenser la notion très connotée du développement local ? Elle se réfère là aux nombreux débats sur la notion de développement utilisée pour qualifier des pays qui seraient “en voie de”, et d’autres “développés”, depuis la fin de la Guerre Froide et de la décolonisation. De la même manière, il y aurait peut être un biais à parler de développement pour les territoires “en marge” de la mondialisation et de la métropolisation. Néanmoins, il ne faut sans doute pas abandonner totalement cette notion qui traverse les périodes et continue à avoir du sens pour les acteurs dans les territoires. Le passage au développement durable est notamment un enrichissement du développement local. Laurence Barthe suggère simplement de faire attention aux mots valises qui sont utilisés dans différents contextes. En effet, par exemple en Amérique Latine, le développement local est d’abord social, avec une entrée par la personne. Les ressources et la dimension économique n’en sont pas du tout la porte d’entrée.

Marie-Aude réagit à ce propos en se demandant si la notion de développement est vraiment à repenser. Elle y voit la notion de grandir, avec une construction progressive et positive pour le territoire.

Maxime lui, a la sensation de travailler sur la création de dynamiques au lieu d’un développement. Il a l’impression de “lancer des cailloux, et qu’à la fin ça crée un chemin”. Son regret est néanmoins “qu’aujourd’hui dans nos métiers, il faut tout filmer, tout capitaliser, tout valoriser car sinon on nous demande des comptes, ou quelqu’un s’appropriera nos réalisations.” Il trouve cela dommage pour un acteur public mais concède que c’est une condition nécessaire pour exister aujourd’hui.

Les suites du forum

Trois volontés sont ressortis de la matinée à travers le forum ouvert :

  1. Ecrire un plaidoyer sur la reconnaissance du métier de développeur  territorial avec 4-5 idées clés sur l’importance de la contribution de cette profession
  2. Créer une boîte à outils à destination des développeurs territoriaux sur la conciliation entre valeurs personnelles et contraintes professionnelles
  3. Organiser un événement régional PQN-A/ UNADEL pour faire se rencontrer territoires et agents du développement local

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