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Démocratie alimentaire : frein ou levier au passage à l’action du Projet Alimentaire de Territoire ?

Publié le 05/12/2024
Temps de lecture : 5 min
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4. Ateliers 3 (1)

A l’occasion d’une visite sur site à Poitiers, le 1er octobre 2024 sur le thème de la coopération entre les acteurs de l'Économie Sociale et Solidaire (ESS) et les Projets Alimentaires de Territoire (PAT), les membres du réseau des acteurs des démarches alimentaires de territoire ont exploré la question de la démocratie alimentaire au sein d’un atelier. Cet article en fait la synthèse tout en s’appuyant sur des éléments théoriques et issus d’une enquête.

Qu’est-ce que la démocratie alimentaire ? 

Les denrées alimentaires sont aujourd’hui perçues comme de simples marchandises, régies par les dynamiques du marché. Les entreprises de l’agroalimentaire, dotées des outils nécessaires pour capter les tendances émergentes, ajustent leur offre en proposant de nouveaux segments répondant aux attentes des consommateurs. Des formes d'organisation collective de la société civile telles que les Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP), les jardins partagés ou les magasins coopératifs, ont émergé en réponse à ce système mais sont restées en marge, sans pouvoir le changer. Les consommateurs ne disposent donc que d’un pouvoir limité, se résumant souvent à l’acte d’achat ou de non-achat. Les publics les plus précaires voient même leur statut de consommateur retiré en tant que bénéficiaires des circuits de distribution de l’aide alimentaire. Cela entraîne un non-choix des denrées consommées qui s’accompagne d’une perte de dignité et d’un sentiment d’exclusion. 

Ce contexte met en lumière toute la pertinence du concept de démocratie alimentaire. Cette notion émerge comme une réponse aux limites d’un système alimentaire où le consommateur ne peut s’exprimer qu’à travers ses choix d’achat. Elle propose une réappropriation collective de la gouvernance alimentaire, favorisant l'implication des citoyens et des acteurs locaux dans la manière de produire, transformer et consommer. En dépassant le simple rôle de consommateur, ils revendiquent un droit d’agir sur les orientations de leur système alimentaire. La démocratie alimentaire s’affirme ainsi comme un cadre fertile pour bâtir une nouvelle citoyenneté, où les décisions collectives prennent le pas sur les logiques de marché.

 « Que vous évoque la démocratie alimentaire ? »

Voici la question qui a été posée aux participant.e.s de l'atelier. Avec leurs expériences personnelles et professionnelles, les participant.e.s qui travaillent dans les collectivités à l'animation des PAT, dans l'agriculture, dans les épiceries, ont répondu :

  • La participation citoyenne : une démocratie alimentaire repose sur l’implication des citoyens dans la gouvernance des systèmes alimentaires, sans oublier les plus isolés. 
  • La reconnexion avec le système de production : la démocratie alimentaire vise à recréer un lien direct entre les citoyens et la production agricole, dans un contexte où peu produisent alors que beaucoup consomment. 
  • La connaissance et l’éducation : la démocratie alimentaire suppose une réappropriation de la connaissance des modes de production et des pratiques alimentaires pour comprendre les systèmes agricoles et pouvoir cuisiner des produits brut
  • Le choix : dans une démocratie alimentaire, des moyens sont mis en œuvre pour permettre à chacun de faire des choix éclairés face à une offre abondante, en conscience et en tenant compte de la santé et des convictions personnelles malgré les freins financiers, géographiques, culturels.

    Ces multiples dimensions de la démocratie alimentaire révèlent l’ampleur des enjeux liés à la gouvernance et à la réappropriation des systèmes alimentaires par les citoyens. Dans ce contexte, les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT), apparaissent comme des outils stratégiques pour favoriser cette transition vers une alimentation durable et participative. Cependant, leur mise en œuvre reposant sur une politique volontariste, il existe de nombreux freins qui limitent le passage à l’action et heurtent leur légitimité. Par conséquent, nous nous sommes posés la question de la façon dont la notion de démocratie alimentaire  pouvait à la fois freiner et contribuer au déploiement d’un projet alimentaire territorial (PAT). 

Une démocratie alimentaire en quête d’équilibre territorial

La démocratie alimentaire a pour objectif de replacer les citoyens au cœur des décisions touchant à l’alimentation. À petite échelle, des initiatives telles que les AMAP ou les restaurants solidaires existent déjà. Mais comment relever ce défi à l’échelle territoriale ? Le PAT représente une opportunité de structurer cette démarche. Il incarne un cadre d’action concertée, mobilisant collectivités, acteurs locaux et habitants. Cependant, cette vision se heurte à la fragmentation des pratiques participatives.

C’est d’ailleurs dans cette ambition de faire vivre une gouvernance alimentaire territoriale que less Projets Alimentaire de Territoire (PAT), ont été créé par la loi de 2014 pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, en s’inspirant d’expériences probantes en Dordogne. En cela, les PAT constituent un outil potentiellement clé dans cette dynamique participative,car la notion de gouvernance collective est précisée dans la loi, sans toutefois que celle-ci n’en précise les modalités : libre à chaque territoire de s’organiser.  

Assurer la démocratie alimentaire grâce à une gouvernance collective entre acteurs publics et privés à l’échelle du territoire est cependant loin d’être aisé. Les expériences montrent que si certaines démarches, comme à Royan, parviennent à inclure la société civile via des chantiers participatifs, d’autres peinent à toucher des publics clés, comme les bénéficiaires de l’aide alimentaire. Ceux-ci, isolés et marginalisés, illustrent une fracture entre les ambitions de la démocratie alimentaire et les réalités sociales. L’ambition de gouvernance élargie et de participation citoyenne dans les politiques alimentaires locales se heurte donc souvent à la fragmentation des pratiques participatives.

Au-delà de la société civile, la démocratie alimentaire suppose de pouvoir réunir l’ensemble des acteurs de la chaîne. Néanmoins, selon les territoires, il existe des difficultés à embarquer les acteurs économiques industriels. 

Cette difficulté à associer une diversité d’acteurs publics et privés dans la durée est peut être à la fois la cause et la conséquence de la difficulté des PAT néo-aquitains à passer à l’opérationnel.

Des freins multiples au déploiement des PAT

Malgré leur potentiel, les PAT rencontrent des difficultés à passer à l’opérationnel liées à leur gouvernance, leur temporalité et leur portée juridique. Ces freins, issus d’une enquête menée par Zélie Teyssier, en stage en 2024 chez PQN-A et enrichis par nos participants à l’atelier, peuvent être regroupés en trois grandes catégories :

  • Freins économiques :

- Le caractère chronophage des demandes de subvention pour le financement des postes de chargés de mission PAT et les porteurs de projets agricoles ou souhaitant lancer une initiative alimentaire

- La difficulté de pérenniser certaines initiatives : davantage de subventions sont accordées pour le lancement des projets, moins pour leur fonctionnement.  La SCOP l’atelier des Vallées sur le territoire du Grand Poitiers a soulevé cette question en donnant l’exemple de leur atelier de découpe et de transformation de viande locale, un projet impliquant de l’infrastructure coûteuse et particulièrement vulnérable aux incertitudes de financement à long terme alors que les dépenses d’investissement de départ ont posé moins de souci grâce aux aides financières reçues pour lancer le projet. 

  • Freins politiques :

- L’instabilité des mandats électoraux et le manque de portage politique selon les élus fragilisent la continuité des projets et la légitimité du PAT. 

- L’absence d’un cadre contraignant pour les PAT limite leur capacité à agir structurellement, notamment face aux grandes et moyennes surfaces (GMS), qui concentrent la majorité des choix alimentaires des citoyens.

  • Freins méthodologiques :

- La participation est souvent limitée : manque d’imagination dans les approches, difficultés à mobiliser certains publics en termes d’horaires et de mobilité, etc.

- Le passage de la phase de diagnostic à l’action opérationnelle reste complexe, faute d’outils d’évaluation ou de suivi adaptés.

- Difficulté à articuler les différents échelons de gouvernance et à coordonner les actions de façon transversale entre les services et les compétences de chacun

Des leviers pour passer à l’action

Malgré ces obstacles, des leviers ont été identifiés pour faire des PAT un outil de transformation alimentaire durable :

  • Une ingénierie renforcée et adaptée : Les collectivités doivent investir dans des équipes compétentes et pérennes pour structurer les actions sur le long terme, comme l’illustre cet article. Les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), souvent pionniers dans les initiatives locales, peuvent jouer un rôle clé en apportant expertise et financement. Il faut donc renforcer la coopération avec ces acteurs clefs tout en s’appuyant sur les forces vives du territoire. 
  • Une gouvernance inclusive et pragmatique : Le PAT doit favoriser un dialogue équilibré entre acteurs publics, privés et citoyens et donc permettre de mettre en place des temps de rencontre entre l’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire. Des budgets participatifs ou des conseils citoyens pourraient renforcer l’implication démocratique. Cependant, il faut veiller à ne pas “se noyer” dans la dimension participative et dégager des temps de décision (ex. COPIL).
  • Un cadre d’action réaliste et ciblé : Plutôt que de multiplier les initiatives, les acteurs d’un PAT peuvent faire le choix de se concentrer sur quelques priorités stratégiques ciblées collectivement, en visant des résultats concrets à court et moyen termes, ce qui peut faciliter le passage à l’action. Néanmoins, les actions très ciblées ont un impact limité sur le système dans sa globalité et ne permettent donc pas d’agir structurellement sur la question de l’alimentation. Par exemple, pour travailler avec les grandes et moyennes surfaces, il faut changer d’échelle. 

Vers un projet collectif durable

Compte tenu de ces éléments, une question marquante posée par un des participants lors de la conclusion, persiste : comment faire du PAT non pas une goutte de vinaigre sur une tâche d’huile, mais le catalyseur d’un véritable changement systémique ?

Pour que les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) incarnent véritablement un levier de démocratie alimentaire, ils doivent dépasser la perception d’être des initiatives portées uniquement par les collectivités. Trop souvent, cette vision limite leur portée et leur impact. Au contraire, un PAT efficace doit être conçu comme un projet commun à l’ensemble des acteurs du territoire : collectivités, citoyens, acteurs économiques et sociaux, chacun ayant sa part de responsabilité et d’expertise. En renouant avec le dialogue territorial, ces projets seront certainement gagnants, car ils répondront de manière fine aux besoins exprimés, par une action collective qui engage l’expertise complémentaire du public et du privé.  Les acteurs de l’ESS et les collectivités ont donc des intérêts communs sur lesquels il faut s’appuyer pour faire avancer les sujets de démocratie alimentaire. Comme le souligne Filipe Arretz, "plus c’est un projet collectif, plus il sera pérenne", et on dépassera le problème du mandat politique. Ainsi, les PAT peuvent incarner le pont entre aspiration citoyenne et transformation structurelle du système alimentaire.

 

 

Sources :

  • Résultats du stage de Zélie Teyssier chez PQN-A (2024)
  • Luc Bodiguel, Acteurs sociaux 2020, pages 64 à 78, Éditions Champ social
  • Atelier démocratie alimentaire mené par PQN-A, octobre 2024
  • Dominique Paturel et Patrice Ndiaye, “Démocratie alimentaire : de quoi parle-t-on ?”
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