En 2021, un premier rapport sur les Cités éducatives a été réalisé par le Comité National d’Orientation et d'Évaluation (CNOE). Il permettait de présenter l’objet Cité éducative, d’analyser les modes de gouvernance et de pilotage mis en place à l’orée de ce dispositif, et de tirer des premières conclusions sur les actions des Cités.
A la suite de ce rapport, l’ANCT et le CNOE ont commandé une étude à un collectif de 10 chercheurs et chercheuses de l’Université de Bordeaux et de Strasbourg, chargés de mener une enquête précise sur la gouvernance des Cités éducatives. Cette étude a vu le jour en 2022.
Elle a rassemblé dix chercheurs, spécialisé.es en sociologie, sciences de l’éducation et de la formation, sciences de gestion et sciences politiques.
Les chercheurs et chercheuses se sont basés sur une étude de terrain, sélectionnant 8 sites, auprès desquels ils ont réalisé des enregistrements, des entretiens et des observations.
Le rapport s’attache d’abord à définir la gouvernance, et notamment à identifier les différents acteurs qui la composent. Dans un second temps, l’étude des 8 sites sélectionnés a permis de mettre en avant les formes hétérogènes de gouvernance qui existent. Enfin, une dernière partie est consacrée aux “formes de mobilisation, par et dans la démarche”.
Les points clés à retenir
- Les finalités des Cités éducatives sont clairement comprises par les acteurs :
Un des premiers aspects évoqué dans ce rapport est l’homogénéité de la perception de la Cité éducative par les acteurs qui en font partie. Ces derniers évoquent le “maillage des acteurs éducatifs”, le “décloisonnement entre les institutions” et une “attente d’ouverture” comme des objectifs importants dans l’organisation des CE, mais aussi comme des attentes de terrain exprimées au préalable.
Le propos est aussi nuancé par une volonté d’éviter certains travers, comme celui d’en faire un dispositif “vitrine”. Les acteurs veulent éviter un dispositif qui ne propose pas d’actions, ou qui vise juste un public réduit. Ils souhaitent également éviter que la Cité serve simplement de financeur pour des actions.
Enfin, la dernière crainte exprimée par les acteurs de la Cité est de devenir une “feuille de plus dans le mille-feuille territorial”, si la dynamique de groupe nécessaire ne se met pas en place dans la cité.
"Pour moi la plus-value c'est vraiment de créer [...] une émulation avec des gens qui ont envie de tirer le territoire vers le haut. Et qui sont prêts, chacun à leur place et avec leurs moyens, à travailler ensemble pour atteindre les objectifs qu'on a définis en commun."
- Les 4 formes de gouvernance d'une Cité éducative :
Selon les territoires, le label Cité éducative a été approprié différemment, et cela se constate notamment dans la forme de gouvernance de la Cité. Le rapport identifie quatre formes de gouvernance, dépendant notamment de la taille de la commune où est implantée la Cité :
La petite structure
Cette structure permet une prise de décision rapide et se trouve au plus proche des publics concernés.
La forme standard
Cette forme voit l’ajout d’un comité technique, qui est ainsi source de propositions pour le comité de pilotage avec les membres de la Troïka. Une fois les propositions validées, ces dernières sont déployées par le chef de projet opérationnel, et par un chargé de projet Education Nationale.
La forme élargie
Cette structure de gouvernance reprend le format déployé dans la forme standard, mais porte une attention particulière à la question du développement urbain. Cela peut notamment se traduire par l’intégration de la direction du Contrat de ville.
Et la forme stratifiée
Cette forme apparaît dans le cas où le territoire dispose de plusieurs Cités éducatives. La Troïka devient instance de propositions pour toutes les Cités du territoire.
- Les chargés de missions expriment un besoin de temps pour ancrer le dispositif :
Les postes de chargé de mission Cité éducative s’inscrivent dans un contexte multi-dispositifs, entre ceux de l’éducation nationale, de la politique de la ville ou même d’autres Cités éducatives. Ces circonstances sont perçues comme une difficulté aujourd’hui par les chargés de mission, qui espèrent qu’avec une inscription à long terme de la Cité éducative dans le paysage de l’éducation prioritaire, la coordination entre les dispositifs sera plus simple.
"Le problème, c'est que le programme a souhaité ne pas faire une strate de plus dans le mille-feuille administratif, mais c'est compliqué d'arriver à enlever les autres strates pour mettre en valeur cette strate là en fait. Donc je dirais qu'il faut être patient, que ça prend du temps, que c'est une autre logique de travail."
- Difficulté de la mission de chef de file :
Selon la forme de gouvernance mise en place au sein de la Cité, les responsabilités du chef de file peuvent évoluer, et parfois devenir extrêmement chronophage.
"C'est énorme, le nombre de sollicitations de projets qu'on a, soit par l'action éducative du rectorat, soit par la Métropole ou par la Mairie. Et avec des grandes causes nationales, [...] C'est chronophage [...] La question que je me suis le plus posée c'est comment, cette charge supplémentaire, je ne la fais pas subir à mes collaborateurs proches."
- Le manque d’outils communs opérationnels :
Les acteurs des Cités ont d’abord subi l’absence d’outils communs. Les territoires où des logiques de communication existaient déjà n’ont pas autant éprouvé ce manque. Une plateforme nationale a également été mise en place, mais tardivement par rapport au lancement du projet, et elle aujourd’hui peu utilisée, car peu commode.
"Pour certains acteurs, l’appropriation des outils et des logiques de gestion de chaque institution a été longue et difficile : découverte de Dauphin pour les uns, incompréhensions comptables pour d’autres, etc. Un réel manque d’anticipation des difficultés liées au « langage commun » a été pointé par différents membres des Cités éducatives. La plateforme commune, mise en place tardivement par la coordination nationale, avait suscité des attentes à ce sujet, en permettant la constitution d’outils communs opérationnels : agenda partagé, messagerie, outils de gestion comptable, etc. Aujourd'hui, les acteurs font remonter que ces attentes ne sont pas comblées, et la plateforme est souvent décrite comme « peu utilisée car pas pratique »."
- Diverses postures face au fonctionnement par appels à projets :
Le fonctionnement par appel à projets a généré 3 postures:
-Les cités qui s’en sont emparés évoquent son caractère chronophage, qui demande un suivi important. Certains acteurs se demandent également si cette approche est cohérente avec le fonctionnement d’une Cité éducative.
Au lieu d'avoir un projet voulu, construit et coordonné, on s'est retrouvé avec une espèce de fatras de trucs pour que ça rentre dans l'enveloppe et puis qu’on ne frustre pas les uns ou les autres donc vraiment, on n’était pas satisfait du tout de la façon dont ça s'est fait. En plus comme d'habitude c'était à l'arrache parce que toute la mise en place de la Cité éducative, ça a été vraiment... tout était dans l'urgence.
-Les cités qui ont évité ce fonctionnement, de crainte d’être perçue comme un distributeur de financement. Mais cette posture semble réduire l’impact que la Cité éducative peut avoir, avec une sous-utilisation des crédits.
-Enfin, certaines adoptent une posture intermédiaire, et transmettent au groupe de travail de la Cité éducative la charge de recenser et hiérarchiser les projets présentés.
- Les inégalités de pouvoir décisionnel au sein de la CE :
Les délégués du préfet, qui sont en charge des fonds alloués par la cité, ont un pouvoir bien plus important que les autres acteurs en raison de ce rôle. Ils se retrouvent souvent dans un rôle de leader de la Cité éducative.
- Le cas du portage d’une Cité par deux communes :
Il arrive également que certains Cités éducatives se déploient sur deux communes, notamment dans le cas où la ville principale n’a pas assez d’habitants dans ces QPV. Mais ces rapprochements administratifs ne sont pas toujours le fait d’une demande des municipalités. Ce double portage implique un dialogue entre un nombre doublé d’acteurs.
De plus, la création de la Cité ne donne pas naissance à une structure administrative propre, qui permettrait de réduire les actes administratifs venant des deux communes. Les communes qui partagent la Cité éducative ont également des moyens financiers disproportionnés, ce qui peut amener à une disparité des actions sur leurs territoires respectifs.
- L'absence des départements et régions :
Certaines Cités regrettent l’absence des départements et des régions dans les instances décisionnelles des Cités Éducatives, au vu de leurs compétences, notamment sur les questions d’insertion et de formation professionnelle. Certaines CE ont commencé les démarches pour intégrer des représentants de ces instances dans des comités de pilotage.
Contact universitaire :
Sylvain Bordiec, maître de conférences HDR à l'Université de Bordeaux
Julie Pinsolle, Maitresse de conférences pour la faculté de Sciences de l'éducation et de la formation