Changer la formation pour renforcer la résilience du système alimentaire néo-aquitain
Le système alimentaire néo-aquitain est peu résilient et durable
Selon le programme de recherche Sécurité et Résilience Alimentaire en Nouvelle-Aquitaine (SEREALINA), le système alimentaire néo-aquitain ne serait pas en capacité d’assurer la sécurité alimentaire à moyen et long terme, face à des chocs ou des tendances. Dès lors, notre système ne serait ni résilient, ni durable.
Pourquoi peu résilient ? Certes, la Nouvelle-Aquitaine est la première région agricole de France, avec une production diversifiée, mais les productions sont très spécialisées à l’échelle locale, et beaucoup orientées vers l’export, avec par exemple plus d’import de fruits et légumes que ce qu’on produit et exporte.
Pourquoi peu durable ? Car entre autres, sur le plan social, la précarité alimentaire est grandissante (16% des Français ne mangent pas à leur faim) et 63% des néo-aquitains estiment être insuffisamment informés sur l’origine de leur alimentation, concernant la présence de pesticides et additifs. Sur le plan économique, ⅕ des ménages agricoles vivent sous le seuil de pauvreté. Enfin sur le plan et environnemental et de santé, la France dépense 12,3 milliards d’euros par an de dépenses pour la santé liées aux maladies professionnelles du à l’usage des pesticides, l’alimentation représente environ 24% de l’empreinte carbone des ménages français, dont ⅔ imputé à la production agricole…
Des ambitions pour renforcer la résilience à différentes échelles
Pour faire face à ces enjeux, l’Etat et les territoires se fixent des objectifs de relocalisation de l’alimentation et de la production, et de transformation des pratiques. Ainsi les loi EGAlim et Climat et résilience visent la meilleure répartition de la valeur ajoutée agricole, en faveur des producteurs, l'augmentation des denrées locales, de qualité, de bio et végétales dans la restauration collective, etc. Mais travailler les produits frais et locaux à la cantine, acheter du bio, préparer un repas sans protéine animale, vendre ses produits aux restaurants à proximité n’est pas évident. Pour le mettre en pratique, il faut des professionnels formés, et nombreux.
Agriculture et restauration : des secteurs menacés par la pénurie de main d’oeuvre
En ce qui concerne l’agriculture, dans 5 ans (2030), environ 55% des agriculteurs partiront à la retraite. Or, en Nouvelle-Aquitaine, on compte environ moins d’une installation en agriculture pour deux départs, et le métier suscite aujourd’hui moins de vocations.
Quant aux restaurations collectives et commerciales, les métiers de cuisinier, gestionnaire, sont des métiers stratégiques, sur lesquels il y a des besoins en recrutement non pourvus, avec des entreprises qui témoignent de pénuries de candidats.
Comment changer les formations initiales et continues pour permettre la relocalisation d’une offre alimentaire durable sur le territoire ? Comment renouveler les générations de professionnels, comment répondre aux besoins en emploi et activité sur le territoire ?
Portrait des établissements et intervenants du webinaire
L’Agrocampus de Saintonge est un établissement agricole situé en Charente-Maritime à Saintes et Jonzac. Composé de trois exploitations, trois lycées, d’un Centre de Formation des Apprentis (CFA), d’un centre de formation professionnelle et de promotion agricoles (CFPPA), il forme 1000 apprenants par an aux métiers de l’horticulture, du maraîchage, de l’élevage laitier, de la culture de céréale et de raisin, au cognac, et jus de raisin, mais aussi à la vente, à la protection de la de l’eau et de la biodiversité.
Le Campus Régional de l’Alimentation est un des derniers campus créé par la Région avec le rectorat, et la Direction Régionale de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Forêt (DRAAF). Il formera dès 2027 aux métiers de bouche, en complément de la formation initiale existante, et principalement en formation continue pour les professionnels ou les futurs professionnels en réorientation vers la restauration collective : cuisiniers, gestion, achats, logistique. Le Campus sera Campus des Métiers et Qualifications (CMQ), et rassemblera l’ensemble des lycées agricoles et hôteliers de la région. La Région investit trente millions d’euros pour les plateaux techniques sur le site de de Grand-Pont dans un ancien lycée à Chasseneuil du Poitou.
Les deux intervenants qui représentaient ces établissements lors du webinaire sont :
- Clotilde Plantureux, Directrice d'Exploitation Agricole chez Agrocampus Saintonge
- Ludovic Freygefond, directeur du Campus Régional de l'Alimentation
Des secteurs professionnels en forte mutation
Le secteur de la restauration collective a dû s’adapter aux réglementations sanitaires dès les années 2000, puis à la loi EGAlim qui a imposé à la restauration collective publique d’abord, 50% de produits durables et de qualité, dont 20% de bio, et le repas végétarien hebdomadaire. Manger plus de frais signifie cuisiner davantage, manger de qualité implique de savoir sourcer les producteurs et assurer la traçabilité des alimentations. Travailler avec des petits ou moyens producteurs signifie aussi travailler des produits non calibrés, donc davantage de travail manuel. Enfin manger végétarien nécessite d’apprendre à travailler les protéines végétales. Ces nouvelles pratiques expliquent les besoins en formation.
Par ailleurs, le secteur de la restauration, et a fortiori de la restauration collective publique, a du mal à recruter, et les 900 000 emplois dans la restauration collective en Région nécessitent de la formation continue. Il y a une forte demande pour de la formation courte ou longue et de la spécialisation. Le Campus vient donc combler un manque dans l’offre de formation car il n’existait plus de diplôme officiel en restauration collective en France, à l’exception des titres délivrés par les GRETA.
Le secteur de l’agriculture quant à lui, fait face à un déclin important de la population agricole, et notamment chez les maraîchers, alors que les besoins en légumes locaux augmentent. Recruter des jeunes en agriculture, et notamment dans les métiers de l’horticulture et du maraîchage est compliqué, car ce sont des métiers peu rémunérateurs, et durs physiquement. Au-delà du recrutement dans les formations, l’installation de l’activité est rendue difficile à cause du prix du foncier, notamment sur les terres du Cognac. Une fois installée, l’activité agricole alimentaire doit faire la preuve de son modèle économique.
S’agissant des enjeux de durabilité, le plan « Enseigner à produire autrement », permet aux apprenants de la 3e au BTS et aux professionnels en activité ou en reconversion de se former dans au lycée à produire dans un contexte de changement climatique et de transition écologique en ayant à l’esprit la santé publique. Quant à l’exploitation de maraîchage du lycée, que dirige Clotilde Plantureux, elle est en bio depuis les années 2000. Les parcelles d’horticulture ne sont pas en bio, mais en Zéro phyto et utilisent uniquement la protection biologique intégrée.
Agriculteur, et a fortiori maraîcher, ce ne sont pas des métiers qui font rêver les jeunes, car ils sont peu rémunérateurs et durs physiquement. Sur les adultes néanmoins, après le Covid on a observé un regain d’intérêt dans un contexte de retour à la terre, qui a duré 2-3 ans seulement. Souvent les maraîchers ne tiennent pas 5 ans à cause de problèmes de trésorerie et de revenus.
Les raisons et acteurs à l’origine du changement
Le futur Campus bénéficie de l’investissement du chef étoilé Régis Marcon, qui est très attaché à la restauration collective, et qui permet de redorer l’image des métiers de la restauration collective.
A l’Agrocampus de Saintonge, au-delà de la réglementation incitative, c’est la santé qui a été le facteur déterminant. Clotilde Plantureux explique ainsi que dès les années 2000, il n’était plus envisageable de laisser des jeunes au contact de plants traités, à proximité immédiate des salles de classe, même en respectant les délais d’entrée sur les parcelles.
Démonstrateurs de pratiques durables
Aujourd’hui, les exploitations des lycées agricoles doivent être un reflet du monde professionnel. Aussi, les attentes en termes d’équilibre financier sont plus hautes, même si elles bénéficient quand même de certaines subventions. L’ambition est de montrer aux élèves des modèles qui sont vertueux pour l’environnement et pour l’exploitant, car le pilier économique fait partie de la durabilité. C’est là que le travail avec la restauration collective est intéressant, car il peut être un facteur de stabilisation du revenu. L’exploitation travaille avec les cantines du lycée, et évoque ces débouchés avec les apprenants qui souhaitent s’installer.
Côté cantine, les formations du Campus Régional de l’Alimentation s’appuieront sur les recherches du Conseil scientifique et stratégique, qui rassemble notamment Bordeaux Sciences Agro, l’INRAE, des institutions de recherche en santé, et les travaux des partenaires régionaux. Ainsi par exemple, l’Association de Coordonateurs des EPLE de Nouvelle-Aquitaine (ACENA) a travaillé avec Bordeaux Sciences Agro pour supprimer petit à petit les additifs dans les appels d’offres. Au bout d’un rapport de force qui a duré quelques années avec les fournisseurs, ils sont parvenus à proposer des aliments plus sains dans les assiettes des collégiens et lycéens. Autre exemple : la Région Nouvelle-Aquitaine a expérimenté avec une société l’utilisation de la vaisselle allégée pour réduire l’impact sur la santé des agents.
Les solutions face à la pénurie de main d’œuvre
Des lycées agricoles au Ministère, les acteurs travaillent à adapter l’offre de formation et rendre les métiers attractifs. Le Ministère a lancé la campagne l’Aventure du Vivant, “qui vise à rappeler que les agriculteurs ne sont pas des bouseux, mais des personnes extrêmement bien formées techniquement, et que l’enseignement agricole ne forme pas que des futurs agriculteurs, mais aussi aux métiers de la vente, et du service à la personne.” A son échelle, l’Agrocampus a fait le choix de recruter une chargée de communication. En parallèle, l’offre de formation est repensée, pour s’adapter aux futurs apprenants : plus de formation dans le secteur du paysage, avec des spécialisations “collectivité” dans la voie scolaire, et “entrepreneuriat” dans l’apprentissage.
Le service restauration durable de la Région a fait un sondage auprès des lycéens, qui a révélé des préjugés néfastes sur l’image de la cantine. La plupart des lycéens pensent que les repas sont réalisés ailleurs, alors que la Région, comme d’autres collectivités, a fait le choix de produire sur place. Ainsi, dans les rénovations de cuisine, la Région ouvre systématiquement un espace entre les cuisines et le self pour que les convives puissent voir que la restauration est faite sur place, et revaloriser la profession.
Les proximités, levier inestimable pour avancer
Il est plus simple de travailler avec la cantine du lycée de Chadignac, à proximité directe de l’exploitation, qu’avec celle de Saintes, qui n’est qu’à 10-15 minutes de route. Au-delà de la proximité physique, bien évidemment facilitante (“on se voit tous les jours à la cantine”), le lien fonctionne car il est historique et symbolique : les élèves mangent le midi à la cantine la salade qu’ils ont cultivée. Le faible nombre de couverts (200 le midi, et 100 à 150 le soir), par rapport aux quatre cuisiniers, augmente la quantité de travail disponible, et donc la possibilité de travailler des légumes locaux, hors calibre et soumis aux aléas de la production. Ainsi, la cantine est une variable d’ajustement pour l’exploitation, car elle peut facilement cuisiner les trops pleins de productions et les légumes hors calibres qui sont plus difficiles à vendre ailleurs. Cela permet de réduire considérablement le gaspillage alimentaire dès le champ.
A Saintes, il y a plus de couverts (300 à 350), et l’équipe est moins importante, ce qui permet moins de travailler les produits frais. Il faut aussi prendre le temps de se connaître. Clotilde Plantureux rencontre les chefs cuisiniers de Saintes pour comprendre leurs freins, et leurs besoins en approvisionnement. Le but n’est pas que l’exploitation fournisse exclusivement la cantine, car il faut soutenir les producteurs qui sont souvent d’anciens apprenants. L’idée est d’identifier au moins un produit que l’exploitation sait bien produire, et dont ils ont besoin en quantité comme le poireau, ou la courge. Cette proximité permet à certains producteurs qui apprécient la sécurité de l’engagement avec la restauration collective, de planifier la production, sans que ni côté production, ni côté on cantine ne “mette tous ses oeufs dans le même panier”.
Le campus et le territoire, un partenariat indispensable
Ludovic Freygefond le rappelle, l’ambition du Campus est bien évidemment de former les professionnels de la restauration à travailler avec l’agriculture locale. C’est ainsi l’ambition des différents organismes qui sont au sein de la gouvernance du Campus, dont le Grand Poitiers, la Ville de Poitiers, le CROUS de Poitiers et le CHU. Le campus s’inscrit dans territoire bien spécifique, même s’il a une dimension régionale.
Les acteurs publics et privés investis dans les démarches de relocalisation de l’alimentation type Projet Alimentaire de Territoire peuvent ainsi jouer des rôles :
- animer la proximité entre acteurs locaux : le dialogue entre gestionnaires de restauration et producteurs n’est pas évident (pas forcément spontané, chronophage etc). “La plateforme Agrilocal n’est pas forcément bien exploitée ni par les chefs, ni par les agriculteurs, elle ne remplace pas le dialogue entre acteurs.” explique Clotilde Plantureux.
- les acteurs publics et privés qui achètent des denrées alimentaires peuvent agir de concert avec les acteurs agricoles pour planifier. Les petits producteurs sont capables de se regrouper et de s’organiser dans un engagement réciproque avec les acheteurs. Il convient de soutenir les agriculteurs par un revenu rémunérant les services écosystémiques rendus, pour leur permettre d’adopter des pratiques agroécologiques.
- les campus sont au service des acteurs publics et privés du territoire, pour répondre aux besoins de formation, pour former des profils employables et “installables”. Avec la crise du Cognac, l’Agrocampus Saintonge compte ainsi accompagner à la diversification des viticulteurs en grandes cultures
- les Projet Alimentaires de territoire peuvent aider à l’installation des apprenants et à la conversion des fermes vers l’agroécologie et le bio : via la maîtrise foncière face à d’autres usages (urbanisation, énergie…). Par exemple, le passage en bio de l’élevage sur des territoires soumis à la pression foncière est très compliqué. Il faut davantage d’espaces de pâturage, mais ceux-ci ne sont pas forcément disponibles à proximité de l’exploitation notamment pour les lycées situés dans les agglomérations, ou trop chers. Les acteurs publics peuvent s’appuyer sur les acteurs privés, comme la Coopérative d’Installation en Agriculture Paysanne (CIAP) Champs du Partage, à qui le Grand Angoulême a fait confiance pour installer un espace test dans le cadre du lycée Camille Claudel. L’espace test engage des porteurs de projets agricoles en Contrat d’Appui au Projet d’Entreprise (CAPE) pour les accompagner vers l’activité agricole qu’ils souhaitent exercer, sur le territoire d’accueil.
- Les collectivités peuvent communiquer sur l’attractivité de leur territoire pour les porteurs de projet : c’est ce que compte faire la chargée de mission du PAT du Pays Bassin d'Arcachon Val de l’Eyre à travers des interventions dans les centres de formation, en présentant le système de parrainage avec les agriculteurs installés, et les opportunités foncières.
Le territoire devrait avoir la responsabilité de travailler avec les producteurs locaux, pour donner des exemples d’activité économique viable, pour donner envie aux jeunes, et valoriser les services rendus par les agriculteurs (qualité des paysages, de l’eau, soin à la personne…
L’Etat et la Région encouragent et soutiennent l’emploi et la formation en restauration collective et agriculture
Amandine Ribot, responsable de l’unité Circuit Court à la Direction de l'Agriculture, des Industries Agroalimentaires et de la Pêche, Région Nouvelle-Aquitaine, rappelle qu’à travers la feuille de route Néo Terra et le Pacte Alimentaire pour une alimentation durable et locale, la Région Nouvelle-Aquitaine soutient le renouvellement des générations d’agriculteurs : Dotation pour les Jeunes Agriculteurs (DJA), et Dotation Nouveaux et Jeunes Agriculteurs (DJA), aides aux espaces tests. Le Pacte fixe l’ambition d’une exploitation en bio par lycée agricole. La Région investit également dans un plan de formation des chefs de cuisine des lycées, et investit 30 millions d’euros dans les futurs plateaux techniques du Campus Régional de l’Alimentation.
Isabelle Blanchard, chargée de mission Alimentation au Service Régional de l’Alimentation à la DRAAF Nouvelle-Aquitaine, souligne que la restauration collective et la formation sont une des priorités de la politique de l’Etat sur l’alimentation. L’alimentation est devenue une question étroitement liée aux enjeux de santé et d’environnement. Ainsi, la recherche de la résilience et de la durabilité implique de maîtriser l’équilibre du système alimentaire, de mieux connaître l’origine des produits et de relocaliser les productions. C’est pourquoi l’ancrage territorial, notamment via le développement des Projets Alimentaires de Territoires, est un des axes principaux du Programme National pour l’Alimentation et du Pacte Alimentaire co-piloté par l’Etat et la Région.
La Loi EGAlim vient en soutien de l’agriculture française, et représente un marché conséquent : 450 millions de repas par an dans 10 000 établissements en Nouvelle-Aquitaine.
D’autre part, l’Etat devrait probablement mettre en oeuvre le projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture adopté par le Parlement fin février. Celle-ci prévoit un programme national d’orientation et de découverte des métiers agricoles et autres métiers du vivant, ainsi qu'un bachelor agricole pour les métiers de l’agriculture et de l’agroalimentaire. La DRAAF souligne l’importance d’être agriculteur, de susciter des vocations, notamment via la réduction de la pénibilité du travail avec une agriculture connectée et l’intelligence artificielle.
Pour en savoir plus
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