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Ruptures sociétales et création de valeur, par Yannick Blanc

Equipe PQN-A
Publié le 13/03/2021
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Sentiment de vulnérabilité collective, fragmentation de la société, égalité homme-femme, monté en puissance de modes de travail plus collaboratifs et horizontaux, etc. Les récentes évolutions sociétales et institutionnelles invitent les territoires à considérer les formes économiques alternatives et l'ensemble de leur chaine de valeur pour faire commun.

Par Yannick Blanc : préfet,  ex-haut-commissaire à l’engagement civique, ancien président de la Fonda et actuel président de Futuribles international.

Pour voir ou revoir l'intervention de Yannick Blanc lors de la Web- conférence "Dynamiser l'économie et l'emploi : l'opportunité des nouvelles formes économiques", accédez au lien ci- dessous.

(Revoir) la web- conférence

Une définition de la prospective

La prospective est un art d’observation et d’analyse du changement ; elle ne prédit, ne prévoit ni ne prophétise l’avenir, mais observe le présent, parfois à la lumière du passé, pour y discerner les mutations déjà irréversibles (tendances lourdes), celles qui sont en germe (tendances émergentes) et identifier les leviers d’action pour les choix qui sont encore devant nous. Un projet de territoire est l’expression d’une volonté et cherche à concrétiser des valeurs, encore faut-il qu’il se situe dans le paysage complexe des transitions et des ruptures. Il ne s’agit pas d’ignorer ou de réduire les incertitudes qui pèsent sur l’avenir mais en quelque sorte de les cartographier.

Huit tendances sociétales

Quatre tendances lourdes et quatre tendances émergentes sont en train de modifier en profondeur la façon dont nous nous représentons la société sur laquelle nous voulons agir.

La vulnérabilité collective

La pandémie de Covid19 a massivement accentué le sentiment de vulnérabilité collective né de la prise de conscience de la crise climatique. Le sentiment que des changements irréversibles sont en cours, l’incertitude qui règne sur notre capacité à les maîtriser crée une rupture avec un monde dont nous étions « maîtres et possesseurs » depuis l’émergence du progrès scientifique et technique au XVIIIème siècle. Ce sentiment est un facteur clé du complotisme, mais il provoque plus largement le basculement de notre système de valeurs.

Le basculement des valeurs-clés

Code déclinant

                                         

             Code émergent 

Hiérarchie

Compétition

Concurrence

Performance

Secret

Savoir exclusif

Intérêt

Organisation

Obéissance

Tutelle, prise en charge

Territoire => frontière

Rationalité instrumentale

Affirmation identitaire

 

Équipe

Coopération

Partage

Impact

Transparence

Connaissance accessible

Contribution

Réseau

Engagement

Accompagnement

Territoire => écosystème

Intelligence émotionnelle

Empathie

La fragmentation / fluidification des sociétés

Alimentée par l’accroissement des inégalités, le déclin des idéologies historiques, le repli identitaire face à la vulnérabilité, la fragmentation des sociétés en communautés, tribus, micro-identités culturelles, sexuelles, de mode de vie s’accentue (cf. l’Archipel français de Jérôme Fourquet). Mais les sociétés sont aussi plus fluides : elles sont traversées et mises en mouvement par des flux d’informations, d’images, d’émotions et d’expressions (réseaux sociaux) plus massifs et plus denses ; les individus ne sont pas assignés de façon durable à une communauté ou une identité mais cherchent à construire des trajectoires de vie qui peuvent les mener de l’une à l’autre, de façon voulue ou subie. L’appartenance à un territoire est moins liée à un enracinement et plus souvent le résultat d’un choix ou d’un hasard de la vie.

L’éclatement du modèle travail = emploi

Ce modèle a dominé les parcours de vie, les modèles familiaux, le système économique et a fondé le système de protection sociale depuis un siècle. La montée de la précarité et de la mobilité professionnelle (plusieurs emplois et plusieurs métiers au cours d’une vie), la mondialisation des chaînes de valeur, l’impact de l’automatisation et de l’intelligence artificielle sur le volume d’emploi, le déclin de la grande entreprise intégrée sont autant de tendances qui annoncent la fin de ce modèle. La distinction entre actifs et inactifs, fondée sur l’emploi, s’efface rapidement. L’appartenance active à la société, et donc la citoyenneté, repose davantage sur l’engagement que sur le statut.

L’égalité homme-femme

Même si l’égalité réelle entre les sexes est encore loin d’être acquise, elle devient une valeur-clé, ce qui provoque tensions, résistances et frustrations. La « libération de la parole » face aux comportements de domination sexuelle marque le moment de la destitution de la domination masculine, mais l’institution de l’égalité est encore balbutiante. Pour mesurer l’ampleur de la rupture, il faut se rappeler qu’il n’existe dans l’histoire aucun exemple de civilisation ou de culture fondée sur l’égalité entre les hommes et les femmes.

Tech backlash – la réaction à la toute-puissance technologique

L’impact des technologies numériques sur la société est irréversible, mais on voit émerger la contestation de l’omniprésence des objets tech et de la toute-puissance des GAFAM. La sobriété technologique (low tech) est une valeur montante qui remet en cause les projets reposant sur le stockage et l’exploitation exponentiels des flux de données : reconnaissance faciale, voiture autonome, objets connectés. Les choix technologiques deviennent des enjeux politiques majeurs (exemple de la 5G).

Economie des communs

La prise de conscience de la limite et de la fragilité des ressources planétaires remet en cause la domination de l’économie par l’objectif de la croissance indéfinie. Ce qu’on appelait jusqu’à maintenant la croissance est le calcul de l’augmentation du PIB, c’est-à-dire l’addition de la valeur ajoutée dans la totalité des transactions publiques et privées. Ce chiffre n’a pas de sens si on n’en soustrait pas la valeur détruite par l’économie : climat, biodiversité, condition animale, santé, conditions de vie etc. (cf. infra La chaîne de valeur des communs)

« Repolitisation » de l’éthique et de la religion

Les comportements personnels et les convictions religieuses ont été exclus du champ politique tout au long du XXème siècle au profit de la rationalité économique et techno-scientifique. Leur retour dans l’espace public, conséquence des tendances précédentes, déstabilise les régulations explicites (laïcité) et implicites (dinstinction entre vie publique et vie privée des dirigeants) et réactive leur manipulation à des fins politiques (Islamisme, Trump, Bolsonaro…)

Le modèle XRX ou la société apprenante

Les systèmes de pouvoir et les institutions publiques ont été fondés sur la production, la rétention et la diffusion contrôlée et hiérarchisée du savoir (interprétation des règles, connaissances scientifiques, expertise technique, données personnelles). La massification des flux d’information et l’accès ouvert aux connaissances bouleverse cette architecture. La relation entre gouvernants et gouvernés ne peut plus être « pédagogique » (sachant/ignorant). Les organisations se doivent d’être « apprenantes », c’est-à-dire faire l’expertise et de l’expérience des ressources réciproque (XRX) susceptibles de se légitimer l’une l’autre.

La chaîne de valeur des communs

Élaborée en 1985 par Michaël Porter, l’un des gourous du management d’entreprise de Harvard, l’analyse des chaînes de valeur était initialement destinée à identifier l’avantage concurrentiel d’une entreprise. Elle consiste à considérer qu’il n’y a pas dans une entreprise des activités qui sont stratégiques et d’autres qui ne le sont pas mais que la performance se construit par une combinaison optimale de toutes les activités.

Le concept de chaîne de valeur a donné lieu à deux interprétations que l’on peut respectivement qualifier d’instrumentale et de systémique. L’interprétation instrumentale, massivement dominante dans le monde économique depuis trente ans, consiste à identifier les activités où se concentre la création de valeur pour y intensifier l’investissement et externaliser ou sous-traiter les autres. L’expression bien connue « se recentrer sur son métier de base » correspond à cette démarche. L’interprétation systémique développe quant à elle l’idée que, comme ses clients, toutes les parties prenantes, partenaires et concurrents de la firme ont leurs propres chaînes de valeur et que sa performance à long terme dépend de la prospérité de cet écosystème, considérant ainsi que l’on captera d’autant plus de valeur que l’on aura efficacement contribué à sa création et, pour entretenir la vitalité de l’écosystème, à son partage.

L'analyse par des chaînes de valeur met en lumière les bénéfices collectifs des projets Economie sociale et solidaire (ESS)

Cette interprétation ouvre à une application du concept à un projet d’économie sociale et solidaire. Cette méthode d’analyse permet de montrer comment des formes d’organisation coopératives, de proximité, impliquant les usagers, sont à la source de la création de valeur, qui est ici création de valeur sociale. En effet, dans le cas d’un projet d’économie sociale et solidaire, la valeur ne réside dans plus la marge bénéficiaire dégagée mais dans la capacité du projet à atteindre un horizon souhaitable : la société inclusive, l’élimination de la pauvreté, la réussite éducative, l’égalité entre les hommes et les femmes, etc. L’analyse de la chaîne de valeur d’un projet d’ESS peut donc permettre d’éclairer la différenciation (pourquoi tel type d’action est préférable à tel autre) et vise aussi nécessairement à optimiser la coopération, qu’il s’agisse de maîtrise des coûts par la mutualisation, de pertinence des actions pour un public donné ou de recherche d’un impact collectif.

Dès lors que l’on raisonne en termes de création de valeur, on peut considérer l’impact social comme un accroissement de la valeur du commun, c’est-à-dire à la fois de l’ensemble des ressources que la société met à la disposition de ses membres et du système de valeurs qui donne du sens à son existence. Ces ressources et ce système de valeurs viennent à leur tour alimenter la chaîne de l’action collective et du travail social. C’est en allant jusqu’au bout de la dimension systémique de l’analyse de la chaîne de valeur que l’on révèle son caractère circulaire. Cette approche doit permettre de renouveler la vision des finances publiques en considérant que la dépense publique est un coût et un investissement, en recherchant son efficacité non pour elle-même mais en tant que contribution au cycle de la création de valeur sociale.

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