Depuis avril 2022, à la demande de l’Etat et de la Région Nouvelle-Aquitaine, PQN-A a lancé une étude réalisée par Paola LOBELLO durant un stage de 6 mois pour évaluer quelle serait la plus-value du centre de ressources sur le développement territorial dans l’accompagnement des territoires en matière de transitions. Cette étude s’est appuyé sur la tenue de deux groupes projets avec des acteurs clés des transitions au niveau régional, deux groupes de travail réunissant une diversité d’acteurs et de territoires, ainsi que 36 entretiens. Elle a permis d’interroger les dynamiques locales en cours, de recueillir les besoins et les attentes d’une diversité d’acteurs et de territoires néo-aquitains sur la conduite de projets locaux.
Les transitions entre les difficultés d’une définition partagée et le consensus pour l’action
Le premier enseignement de l’étude est qu’une définition partagée et commune des transitions ne s’est pas totalement dégagée. Le champ des transitions dépasse les seules questions de l’écologie et de l’énergie. Certaines définitions d’acteurs intègrent différents sujets comme de nouvelles pratiques démocratiques, le numérique et bien d’autres. D’autres acteurs n’emploient plus le mot transition qui serait finalement plus approprié pour évoquer l’urgence et les ruptures à entreprendre.
Cette diversité des définitions renvoie à la fois aux caractères multiples des transitions et aux acteurs porteurs de systèmes de valeurs différents. Cependant il existe un consensus quant à la nécessité de transformer collectivement nos modes de vie vers des modalités de développement plus durables, plus justes et plus soutenables.
Une approche territoriale catalyseur d’initiatives et porteuse de sens pour impulser les transformations
Les compétences portées par les collectivités locales en matière de déchets, de mobilités, d’aménagements, de développement économique, de gestion de ressources… invitent à affirmer la nécessité que les transitions doit s’opérer via ses acteurs. Au delà des compétences octroyées par le législateur, l’étude a permis de catégoriser trois types d’approches complémentaires et essentielles pour déployer les transitions dans les territoires :
(1) L’approche verticale visant à produire une feuille de route politique ou un cadre réglementaire pour impulser une vision et fournir une base légale pour l’action des acteurs : que ce soit au niveau international, national et régional (accord de Paris, Stratégies nationales, SRADDET, Néo Terra)
(2) L’approche par les initiatives qui au niveau du terrain déploie des actions publiques ou privées pour atteindre les objectifs que se fixent les porteurs qui peuvent être des entreprises, associations, collectifs citoyens…
(3) L’approche territoriale qui catalyse les volontés d’agir publiques et privées, fixe un cap collectif autour d’enjeux spécifiques, puis apporte des réponses dans une démarche intégrée. Elle permet d’orchestrer la mise en place d’un cadre d’actions territorialisé croisant l’approche verticale et l’approche par les initiatives.
Cette dernière approche témoigne de l’importance de la place du développement territorial dans les processus de transitions et du rôle des acteurs locaux que sont les décideurs, l’ingénierie territoriale, les opérateurs et porteurs d’initiatives.
Des dynamiques en cours témoignant d’un processus de transformation mais des inégalités territoriales qui interrogent
Les entretiens conduits ont permis de faire ressortir la singularité des territoires. Chaque territoire a sa propre histoire, ses ressources et ses acteurs, tout en s’inscrivant dans des espaces plus larges de coopération et de dialogue. Le croisement avec des études existantes comme Acclimatera montre que cette singularité se traduit aussi dans l’exposition aux risques induits par le changement climatique, par les crises qu’elles soient énergétiques, sanitaires, économiques… Cette singularité révèle la nécessité de conduire des démarches territoriales permettant une posture d’anticipation et du “sur mesure” pour s’adapter en conséquence : préserver la forêt en Périgord Noir, travailler sur la ressource eau dans l’Est Creuse, explorer les solutions de mobilité au sein d’un de territoire rural de “navetteur” comme la Haute Gironde.
Des niveaux d’engagement hétérogènes
L’un des enseignements forts de l’étude est que les dynamiques territoriales sont à l’œuvre et les initiatives foisonnantes. Cependant le niveau d’engagement des territoires Néo-Aquitains dans les transitions est hétérogène. Il existe des territoires avancés et pionniers qui sont de réelles locomotives avec le portage de démarches comme l’agenda 21 du Conseil départemental de Gironde ou bien TEPOS de la Communauté de communes du Thouarsais, mais la majorité des territoires sont encore en retrait.
En interrogeant le niveau d’engagement des territoires dans les transitions, la vulnérabilité des habitants, les ressources humaines et financières des collectivités apparaissent comme des éléments explicatifs de l’écart entre les territoires qu’il conviendrait d’explorer plus précisément. Ces éléments explicatifs n’empêchent pas d’engager une démarche de transitions à l’image de Loos-en-Gohelle. Cependant cela souligne l’accompagnement spécifique des territoires plus vulnérables et plus en retrait pour accélérer leurs transitions.
Des facteurs clés pour la conception et la conduite des projets de territoire de transition
Les entretiens et les groupes de travail réunissant des territoires qu’ils soient ruraux ou urbains ont permis d’identifier des facteurs clés qui interrogent le déploiement de démarche de transitions.
Changer de paire de lunette pour appréhender les transitions
Le changement climatique se pose de manière de plus en plus précise et partagée au niveau global (Rapport du GIEC…), voire à l’échelle régionale. Pour autant, qualifier et mesurer ce qui se joue dans les intercommunalités (ou leurs groupements Pays/PETR), dans leurs quartiers prioritaires est essentiel pour objectiver les situations. Ce travail d’observation devrait rendre disponible des informations organisées, utiles pour déconstruire des représentations et susciter le dialogue stratégique local autour de ce qui est en jeu.
Cette dimension objective doit aussi s’accompagner d’une dimension plus compréhensive des phénomènes en marche. Autrement dit, il ne suffit pas de connaître statistiquement le nombre de “degrés supplémentaires” mais de comprendre les implications sur la vie des habitants et du milieu local. Par exemple, les canicules ne se vivent pas de la même manière dans des logements sociaux mal isolés avec un accès à des espaces verts limité à l’instar de certains quartiers prioritaires de notre Région (Etude Compas 2022, 81 Quartiers prioritaires de Nouvelle-Aquitaine).
Le rapport au vivant et à son tissu écosystémique est une des dimensions structurantes reintroduite par les projets de transitions. Si cette dimension paraît relativement évidente dans certains domaines (relation à la nature, à l’aménagement, aux jardins, à l’agriculture), elle s’inscrit finalement dans une partie beaucoup plus large (éco conception, approche de l’analyse des cycles de vie…) nécessitant de déployer de nouvelles compétences pour la fabrique des projets.
Fixer un cap en stimulant nos imaginaires
Lors des entretiens, les acteurs ont décrit une méconnaissance des enjeux des transitions pour certains élus. Ils décrivent aussi et un manque de disponibilité pour travailler en dehors des temps politiques institutionnels (conseils communautaires…). De plus, plusieurs techniciens de collectivités ou de Pays/PETR ont exprimé des incohérences entre des actions définies comme prioritaires par les exécutifs locaux qui trouvent des financements par les partenaires institutionnels alors que ces actions iraient à contre sens des transitions. Elles sont souvent décrites comme des recettes déjà éculées mais justifiées car elles répondraient à des attentes sociales. On note par exemple des lotissements en périphérie de village en lieu et place du renforcement du bourg centre ; agrandissement de zone d’activités sans réflexion sur les aménagements…
Les freins et paradoxes de l’engagement des élus
Dans une approche territoriale, la dimension projet invite à collectivement se projeter dans l’avenir, à donner du sens, à fixer un cap. Les décideurs locaux ont un rôle essentiel dans ce processus pour impulser une dynamique et fédérer les forces vives. Les élus souvent désireux d’engager des processus de transformations peuvent se heurter à plusieurs freins et paradoxes :
(1)l’acceptabilité des habitants ou d’autres élus (pas de méthaniseur, pas d’éolien près de chez moi) et des mobilisations citoyennes fortes pour les transitions
(2)des moyens financiers réduits (crises énergétiques, sanitaires,…) et des efforts importants à consentir pour engager les transformations
(3)des leviers multiples à activer en même temps mais aussi des priorités à prendre pour agir
(4)une organisation politico-administrative relativement verticale et en silo pour conduire un projet transversal et collaboratif
(5)un calendrier de l’action qui dépasse le temps du mandat et dont on attend des résultats en urgence
(6)une multitude d’appel à projet qui incite à l’opportunisme plus qu’à l’établissement de projets globaux
Au regard des enjeux, des freins et des paradoxes qui se dessinent de plus en plus précisément, la question du cap est primordiale pour s’engager vers de nouvelles modalités de développement. Pour y faire face, l’approche territoriale a déjà fait la preuve de son ingéniosité et de sa capacité à stimuler les imaginaires pour aller de l’avant.
Partir de l’existant et coopérer pour mettre en synergie
On ne part pas d’une feuille blanche. Des territoires, des lieux et des initiatives ont fait et font la démonstration de la transition, c’est-à-dire, de la capacité de répondre aux besoins des habitants, par des initiatives et des projets de territoire plus durables, soutenables et justes. Certaines des dynamiques de projet ont démarré il y a déjà plusieurs décennies. Pour d’autres plus néophytes, les enquêtés décrivent la nécessité de se raccrocher à l’histoire du territoire, à ses ressources et ses envies d’agir en local pour amorcer les dynamiques.
Pour faciliter la mobilisation des ressources et des acteurs au sein d’un projet de territoire, les mots coopération et co-construction ont été fortement cités. Le coopération témoigne du besoin de faire participer les acteurs locaux dans leur diversité à une œuvre collective pour faire face ensemble aux mutations économiques, sociales, environnementales et sociétales. La co-construction indique qu’il ne s’agit pas simplement de mettre à disposition des moyens mais de réfléchir et d’agir ensemble afin de trouver des solutions adaptées aux besoins identifiés en s’appuyant sur les capacités de chacun.
La mobilisation citoyenne est à ce titre un réel moteur des transitions. Elle porte à la fois l’expression des attentes sociales mais aussi de multiples initiatives. Pour capitaliser sur cette dynamique citoyenne et l’intégrer comme une réelle partie prenante du projet de territoire, les rôles de l’ingénierie territoriale et des instances de dialogue sont déterminants.
4. Investir dans la ressource humaine pour activer les intelligences du territoire
L’approche territoriale accorde une place déterminante au dialogue entre acteurs. L’ingénierie est alors essentielle pour faciliter l’animation du territoire et de dispositifs qui favorisent la rencontre entre divers univers : élus, porteurs de projets, habitants, institutions, experts… Ce travail de mobilisation et de mise en lien permet de désisoler les acteurs et de créer les confrontations fertiles qui vont renforcer la faisabilité des projets du territoire. Un porteur de projet rencontre de potentiels usagers de sa solution ou bien des acteurs possédants des ressources qui faciliteront la mise en place de l’activité (un local, du matériel, une aide financière…). Cette ingénierie ne se limite pas à faciliter la coopération au sein du territoire. Elle vise aussi à inscrire le territoire dans des espaces plus larges de collaboration ou de captation de ressources. Cette ingénierie coutumière de démarche transversale va devoir porter de nouvelle paire de lunettes pour mieux appréhender les transitions. Cette montée en compétence de l’ingénierie et de l’ensemble des acteurs du développement nécessite un réel investissement.
Les acteurs locaux ont ainsi exprimé leurs attentes :
- Contribuer à faire des transitions un pilier des projets de territoire et non plus un volet spécifique
- Faciliter la montée en compétence sur la conduite de projet de transitions notamment sur la coopération
- Apporter du concret : diffusion de bonnes pratiques, valorisation de territoires locomotives, visite sur site, partage d’expériences/témoignages
- Animation territoriale : mise en lien des acteurs divers (ingénierie/élus), échanges entre paires, faire vivre dans le temps une communauté
- Apporter de la prise de hauteur : mieux comprendre ce qui est en jeu (acculturation/sensibilisation)
- Partir des besoins et attentes des territoires et être force de mobilisation des acteurs
PQN-A ouvrent de nouveaux chantiers pour contribuer à l’accélération des transitions
Les politiques contractuelles territoriales portées par l’Etat et la Région ont pour trait commun de mettre les transitions au cœur de leurs ambitions. Elles sont un moyen d’instaurer un dialogue avec les intercommunalités et leur groupement autour des enjeux locaux, des réponses stratégiques adoptées et des initiatives (publiques et privées) à conduire. Ces nouvelles générations de contractualisations (CRTE, Contrat Région…) visent donc à soutenir tous les territoires dans le déploiement de projets de transitions.
Dans le but d’accompagner les territoires néo-aquitains à répondre aux ambitions de transitions exprimées par l’Etat et la Région dans le cadre de leur politique contractuelle territoriale et plus largement dans leurs diverses initiatives, le centre de ressources PQN-A souhaite offrir aux territoires néo-aquitains une animation régionale complémentaire et en soutien de l’offre existante. Le défi des transitions sera le fil rouge du centre de ressources pour l’année 2023.