L’objectif du Zéro Artificialisation Nette : un objectif et des appréhensions
La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 vise notamment à lutter contre l’artificialisation des sols en adaptant les règles d'urbanisme. Parmi ces dispositions, nous pouvons retrouver l’objectif de division par deux du rythme d'artificialisation des sols dans les dix ans à venir pour atteindre le zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050. Les documents d’urbanisme, du SRADDET au PLU, devront à terme être mis en cohérence avec cet objectif.
Selon la loi, l’atteinte du ZAN “résulte de l'équilibre entre la maîtrise de l'étalement urbain, le renouvellement urbain, l'optimisation de la densité des espaces urbanisés, la qualité urbaine, la préservation et la restauration de la biodiversité et de la nature en ville, la protection des sols des espaces naturels, agricoles et forestiers (et) la renaturation des sols artificialisés.”
Cette loi a provoqué l’inquiétude de nombreux élus, notamment dans les plus petites communes où la maîtrise du foncier est vue comme l’un des principaux leviers de développement. Elle a également provoqué un sentiment d’injustice chez les élus de communes vertueuses, ayant peu artificialisés ces dernières années.
Ainsi, au regard des objectifs affichés du Législateur et de l'État, de la Région sur la revitalisation mais aussi sur les questions de transitions écologique et énergétique, il nous semblait nécessaire d'explorer les conditions de mise en œuvre d’une démarche de revitalisation dans un tel contexte. C’est pourquoi, avec le IATU, nous avons souhaité donner l’opportunité à un territoire de bénéficier d’un accompagnement et d’un apport particulier en ingénierie autour de ces problématiques.
L’expérimentation territoriale ou comment conduire une démarche de revitalisation contribuant à la gestion durable de l’espace et du foncier
Cette expérimentation territoriale s’est déroulée dans le territoire des Grands Lacs, lauréat de l’appel à candidature lancé en mai 2022 par PQN-A et le IATU. Ce sont les quatre communes les plus petites du territoire à savoir Luë, Ychoux, Gastes et Sainte-Eulalie qui se sont portées volontaires pour bénéficier de cet accompagnement.
Un programme d’accompagnement basé sur le travail des étudiants
Cet accompagnement s’est inscrit dans le cadre du “projet long” mené par les étudiants du Master 2 Urbanisme Programmation Stratégie Maîtrise d’Ouvrage (UPSMO) du IATU. Il s’est déroulé en quatre étapes :
- Le lancement de la démarche (mai à juillet 2022) : sélection des lauréats, rencontre avec le territoire sélectionné et contractualisation avec le IATU
- La phase d’immersion (septembre à décembre 2022) : diagnostic, travail avec les techniciens et les élus, formalisation des enjeux et proposition d’un premier rendu
- La phase de travail sur un plan-guide d’actions (janvier à février 2022) : proposition de scénarii alternatifs ou complémentaires pour construire la démarche
- L'opérationnalisation et la mise en œuvre de plusieurs projets (mars à avril 2023)
Les étudiants ont donc produit des diagnostics et des plans-guides pour chacune des communes. Ce travail a permis aux communes de bénéficier d’une nouvelle vision stratégique sur l’aménagement de leur centre-bourg et du territoire dans son ensemble à court, moyen et long terme. D’autant plus qu’au regard de sa position géographique, ce territoire est confronté à de nombreux enjeux.
Le territoire des Grands Lacs entre tourisme, pression foncière et préservation du patrimoine
La communauté de communes des Grands Lacs est située en Nouvelle-Aquitaine sur le littoral Nord du département des Landes entre la façade océanique et l’A63. Elle regroupe sept communes : Biscarrosse, Sanguinet, Parentis-en-Born, Gastes, Luë, Ychoux et Sainte-Eulalie-en-Born. Avec ses 30 000 habitants aujourd’hui, le territoire fait face à de multiples défis.
En effet, Gilles Testud, directeur général des services de la communauté de communes des Grands Lacs nous explique que “c’est assez phénoménal. Le territoire est marqué par une très forte saisonnalité liée au tourisme et par une très forte croissance démographique. C’est déterminant pour notre territoire car les sept communes de l’intercommunalité sont attractives : Biscarrosse pour sa station balnéaire et ses plages, Parentis pour son lac, Sanguinet pour sa proximité avec le bassin d’Arcachon, Luë pour sa proximité avec l’autoroute, porte d’entrée Est du territoire, Ychoux avec sa gare la reliant directement à Bordeaux et enfin, Gastes et Sainte-Eulalie avec leurs plans d’eau et leur important patrimoine naturel.”
Toutes ses caractéristiques font des Grands Lacs, un territoire prisé et exposé à une importante pression foncière et touristique. Le développement majeur des trois plus grandes communes (Biscarrosse, Parentis et Sanguinet) impactent ainsi fortement les quatre plus petites communes identifiées pour l’expérimentation. En effet, ces dernières voient arriver certains habitants des communes du Nord ne pouvant plus se loger mais aussi de nouvelles populations souhaitant jouir de la proximité du littoral et de la beauté des villages landais sans être dans les fortes zones d’attractivité touristique.
Ces dynamiques impliquent alors un important travail de réflexion autour de l’accueil de ces populations et de leur mobilité tout en maintenant un cadre de vie agréable, en protégeant les ressources naturelles et en ne trahissant pas le patrimoine culturel cher aux élus (esprit de village, airial, maison landaise, etc.).
Les grands enseignements de cette expérimentation territoriale : ce qu’il faut retenir
Cette expérimentation territoriale a permis de mettre le doigt sur différents points qu’il nous a semblé important de mettre en avant :
1. Les regards croisés : une méthode pour confronter la vision des acteurs du territoire et notamment des élus avec celui des étudiants
Vivement souhaitée par les élus, cette expérimentation est venue bousculer leur vision du développement de leur territoire. Elle a permis d’engager beaucoup de dialogue et de discussions autour de nouvelles façons d’aménager les territoires tout en gardant l’identité et l’esprit de chacun des villages. Comme l’a rappelé une étudiante, il a donc fallu travailler en étroite collaboration avec les élus pour créer des projets sur mesure et parfois même se confronter à leurs visions intangibles du développement de leur commune.
“Quand on a rencontré les élus, on a commencé à leur parler de logements collectifs et là, on a vu de la peur dans leurs regards. On s’est demandé comment gérer ça de façon spontanée. On a donc pris l’image d’une grande maison qu’on divise sur du R+1, R+2 comme une maison de bourg et cette image a bien marché. C’est important d'amener plus d’images pour commencer à ouvrir la porte et découvrir tout ce qu’il est possible de faire pour de vrai.”
Le groupe d'étudiants qui a travaillé sur Sainte-Eulalie-en-Born a également proposé au maire et son équipe municipale de supprimer le Vival du centre-bourg. Pour ces derniers, cela n’était même pas envisageable. Un dialogue s’est alors mis en place entre les étudiants et les élus pour trouver un compromis et une proposition qui soit en cohérence à la fois avec la vision des élus et avec les objectifs de la loi Climat et Résilience cités précédemment.
2. Le ZAN : un objectif permettant de prendre conscience que la consommation foncière actuelle n’est pas durable
Évoquer l’objectif ZAN avec les acteurs du territoires (élus et techniciens) a également permis d’enrichir les échanges. Pour, Gilles Testud : ”cela provoque un choc qui était nécessaire car les pratiques de consommation de l’espace aujourd’hui ne sont pas durables. Maintenant, comment faire pour introduire plus de densité dans nos centres-bourgs ? Comment révolutionner la gestion du foncier afin de ne pas le laisser partir à la promotion ? Quelles nouvelles formes d’habitat imaginer pour répondre à la demande de notre territoire ?”
De son côté, Vincent Castagnède, le maire d’Ychoux se dit plutôt rassuré par le ZAN car il ne veut pas que son territoire subisse un étalement urbain démesuré ou se développe sans réflexion derrière. “Je vois ce qu’il s’est passé dans les autres territoires. Je suis landais et très attaché à mon territoire, à sa forêt et à son agriculture. Notre politique est en accord avec l’objectif de ne pas s’étaler et de ne pas défricher sans réflexion car après, c’est trop tard.”
3. La nécessité d’avoir conscience de l’espace-temps des projets d’aménagement entre court, moyen et long terme
Françoise Douste, la maire de Gaste et présidente de la communauté de communes des Grands Lacs nous a rappelé l’importance du rôle de l’élu dans ce contexte : “il faut que l’on prenne notre responsabilité d’élus et que l’on se fixe des objectifs très longs au-delà d’un mandat.”
De la même manière, François-Xavier Leuret, professeur au IATU et également directeur de la cohésion et des initiatives territoriales au pôle DATAR à la Région Nouvelle-Aquitaine, nous a expliqué que “le travail de l’urbanisme est de projeter l’espace sur des temporalités courtes, moyennes et longues.” Pour lui, “sur la temporalité courte, le ZAN et le SRADDET sont des espaces qui vont contraindre fortement la transformation des villages. Mais si on regarde les mêmes contraintes sur le long terme, elles vont devenir des enjeux et des atouts car les villages vont développer des capacités d’adaptation qui vont s’avérer bénéfiques à termes.”
Sandrine Hernandez, conseillère régionale à la revitalisation des centres-bourgs, à l’urbanisme et au foncier a également évoqué la difficulté mais aussi l’importance de se projeter sur le long terme : “on a parfois du mal à avoir des projets qui sont incarnés sur 20/30 ans et là, j’ai l’impression que l’on a posé la première pierre d’un projet d'aménagement sur le long terme pour ces communes, qui brasse à la fois des questions de mobilité, d’habitat et de bien vivre ensemble en Nouvelle-Aquitaine.”
4. Le ZAN : un objectif qui n’empêche pas de se développer mais qui nécessite de repenser son développement
Les étudiants, grâce à la production des quatre plans-guides, ont concrètement pu montrer aux élus de nouvelles façons d’aménager leur territoire et comment les mettre en œuvre à court, moyen et long terme. Aussi, il est important de noter qu’au fil des échanges avec les étudiants, la volonté des élus de porter et mener un projet d’aménagement en cohérence avec leur territoire a dépassé leurs craintes et leurs appréhensions liées aux objectifs de la loi Climat.
Françoise Douste, nous a exprimé son ressenti : “L’objectif ZAN, ça nous fait peur car nous avons été relativement vertueux. J’essaye de l’anticiper en me disant que j’aurais du R+1 dans le centre-bourg. On fait le tour des gisements potentiels et on met des règles dans toutes les divisions parcellaires afin de maîtriser l’image de notre village.”
De la même manière, Vincent Castagnède sait qu’il faut aujourd’hui penser autrement : “on essaye de développer le village en cohérence pour combler les dents creuses et les parties forestières. Pour continuer d’accueillir et résoudre les problématiques liées au logement, il faut certes densifier mais surtout réfléchir à de nouveaux types d’habitat plus visionnaires.”
5. Les outils ne font pas le projet
Cette expérimentation a mis en exergue la tendance à rapidement aller sur des outils (opération de revitalisation, division parcellaire, etc.) pour penser le projet d’aménagement. Or, et François-Xavier Leuret l’a rappelé durant les temps de restitution des diagnostics, “la division parcellaire d’accord mais au service de quel projet ? Il faut d’abord construire la vision stratégique de son projet de centre-bourg avant de parler des outils adéquats."
Les travaux des étudiants vont en ce sens et ont aidé les élus à construire une vraie vision stratégique pour le développement de leur territoire.
6. La plus value de l’ingénierie dans les territoires
Sandrine Hernandez, conseillère régionale déléguée à la revitalisation des centres-bourgs, au foncier et à l’urbanisme a tenu à rappeler la plus-value de l’ingénierie territoriale. “Qu’elle soit urbaniste, géographe, architecte, etc., l’ingénierie apporte à chaque fois un regard extérieur dans les territoires ou dans un projet qu’il soit d’aménagement, de maison de santé, ou autre. Cela permet également de créer des outils d’aide à la décision pour les élus locaux. C’est un premier point très positif.”
7. Une vraie dynamique communautaire valorisant la solidarité du bloc communale
Enfin, et tout le monde s’accordera à le dire, cette expérimentation territoriale a permis de fédérer autour du projet de territoire et des projets des quatre centres-bourgs. Le portage intercommunal et l’implication des élus dans ce travail ont été une grande force pour aboutir à de tels résultats. Cette étude se traduit aujourd’hui par une volonté de travailler avec les autres communes de l’intercommunalité et d’engager un travail avec les habitants du territoire. A suivre…
Visionnez cette vidéo qui retrace cette expérimentation territoriale menée dans la communauté des grands lacs !
Suite à ce succès, PQN-A et le IATU ont choisi de renouveler l’expérimentation territoriale autour d’un nouveau sujet toujours en lien avec les questions de transition écologique. Cette 2ème édition portera sur comment adapter son projet d’aménagement, prévenir et anticiper les risques induits par le changement climatique (eau, énergie, chaleur, foncier, inondations, etc.) ?