Entreprendre pour un système alimentaire durable, pratiques aux impacts positifs - Webinaire
Une étude, mais pourquoi ?
La Région Nouvelle-Aquitaine a soutenu depuis 2014 à travers différents dispositifs, plus de 261 « initiatives alimentaires durables et solidaires ». Pour en faire un état des lieux, et comprendre les leviers de leur développement, la Région a commandé une étude en 2021. Celle-ci a été réalisée et présentée par le bureau d’études Vertigo Lab et l’association Let’s Food. L’étude permet de capitaliser sur les pratiques à fortes utilité sociale et écologique, d’identifier les facteurs de succès des projets à fort impact territorial, et d’améliorer les dispositifs d’accompagnement de la Région. In fine, l’objectif est bien de comprendre comment ces initiatives concilient utilité sociale, activité économique, préservation de l’environnement et contribution au système alimentaire territorial.
Une diversité d’initiatives sur tous les maillons du système alimentaire
Les initiatives sont présentes dans chacun des départements de la Nouvelle-Aquitaine. Ensemble, elles interviennent sur tous les maillons du système alimentaire. Elles permettent d’accéder au foncier agricole, de produire des denrées, les transformer, les distribuer et commercialiser… Mais aussi de lutter contre le gaspillage alimentaire, gérer et valoriser les biodéchets, sensibiliser et informer. Certaines, notamment les tiers lieux nourriciers et les démarches alimentaires de territoire, « hybrident » les activités et les enjeux. C’est-à-dire qu’elles ont une approche systémique des enjeux, afin d’apporter des réponses plus adéquates mais aussi pour équilibrer les modèles économiques.
Les initiatives ont été réparties entre cinq types :
- tiers lieux nourriciers
- coopératives visant à créer des emplois durables et favorisant l’entreprenariat
- structures d’insertion professionnelle
- circuits de vente alternatifs
- projets et démarches alimentaires territoriaux
La typologie ne se veut pas exclusive. En effet, certaines initiatives pourraient rentrer dans plusieurs types à la fois, mais il y a souvent un type dominant. Cette typologie a été construite par rapport aux enjeux, freins et facteurs de succès des initiatives. L’intention est à visée opérationnelle afin d’identifier plus facilement les bons leviers à activer pour chaque type.
Pour en savoir plus sur la méthodologie et les résultats de l’étude, consultez le support de présentation de l’étude et la publication qui synthétise l’étude :
L’étude réalisée a permis de valoriser ce qui se fait déjà en Nouvelle-Aquitaine, et permet à la Région d’alimenter ses politiques publiques. Ce notamment dans le cadre du travail sur la deuxième version de la Feuille de route Néo Terra sur le volet transformation sociale et sociétale. L’objectif est d’adapter les politiques pour s’investir sur le territoire pour entreprendre et exploiter autrement. La Région poursuivra son soutien à ces initiatives.
Depuis 2018, la Région a travaillé à une feuille de route. Celle-ci a associé tous les acteurs de l’amont (agriculture) de la chaîne alimentaire. En 2021, l’ambition est renouvelée avec l’Etat. Cette fois-ci elle est élargie à l’aval et à tous les services de la Région à travers le Pacte Alimentaire pour une alimentation locale et durable 2021-2025. La Direction de l’agriculture travaillait déjà avec la DATAR et l’Education. Aujourd’hui la Solidarité et la direction de l’Innovation Sociale et de l’Economie Sociale et Solidaire les ont rejoint. Un des objectifs phares est l’installation de nouveaux agriculteurs.
« On sait qu’aujourd’hui le renouvellement n’existe plus au sein du monde agricole. Il faut donc ouvrir et faire entrer de nouvelles initiatives et des hors cadres familiaux »
La Banque des Territoires intervient pour :
- permettre aux territoires de développer des circuits courts de proximité et de qualité
- fédérer les acteurs autour de systèmes alimentaires territorialisés
- mieux accompagner les tendances sociétales, les enjeux climatiques et environnementaux
Pour cela, elle intervient en fond propre via l’investissement dans des entités privées ou au côté des collectivités. Cela porte sur des projets tels que des unités de transformation, de plateformes de logistique de circuit court, de modes de productions alternatifs comme la SCIC Ceinture Verte ou les Nouvelles Fermes.
Le Pacte Alimentaire copiloté aux côtés de la Région s’inscrit dans la ligne de conduite du Programme National pour l’Alimentation sur l’ancrage territorial, la justice sociale, la lutte contre le gaspillage alimentaire, l’éducation alimentaire… Les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) sont un outil intéressant pour accélérer la réponse à ces enjeux économiques, environnementaux et sociaux. La DRAAF soutient l’émergence des PAT. Des projets d’investissement avancés ont été soutenus dans le cadre de France Relance.
L’évaluation d’impact des projets est complexe et chronophage. Et l’outil d’autoévaluation proposé par la Région pourra aider les porteurs de projets et institutionnels. Le Réseau National des PAT a également recensé les outils d’évaluation existants. Et l’ADEME travaille sur une aide à la décision. L’objectif : que les porteurs de projets choisissent la bonne méthode pour s’autoévaluer.
L’utilité sociale et écologique et la contribution au système alimentaire durable : des impacts positifs
Certaines initiatives ont fait l’objet d’une analyse plus poussée. Cela a permis de démontrer par exemple que le nombre d’emplois soutenus par VRAC Bordeaux sur le territoire est supérieur à la moyenne de son secteur d’activité. Afin d’encourager les porteurs de projet à évaluer l’impact de leurs initiatives, Vertigo Lab, Let’s Food et PQN-A travaillent sur une grille d’autoévaluation. Destinée aux porteurs de projets et aux collectivités, elle permettra de se positionner sur son utilité sociale et écologique via l’identification de leviers activés, et de s’évaluer via des indicateurs. Elle offrira aussi la visualisation de sa contribution au système alimentaire durable du territoire. Cette grille sera mise à disposition courant 2023. Les porteurs de projet ou collectivités intéressés pour tester cette grille et aider à l’améliorer avant diffusion plus large sont invités à se manifester auprès de PQN-A (adresse contact en bas d’article).
Trois initiatives aux impacts sociaux et environnementaux positifs
1-VRAC Bordeaux pour accéder à une alimentation de qualité dans les quartiers prioritaires de la Politique de la ville
Vers un Réseau d’Achat en Commun (VRAC) est une association créée à Lyon en 2013 qui depuis a essaimé dans plusieurs villes de France dont Bordeaux en 2017. Son coordinateur Nicolas Trézèguet raconte que l’association est née « suite au constat d’une triple peine des habitants des quartiers populaires lorsqu’il s’agit d’accéder à une alimentation durable. D’une part les produits bios et locaux sont 50% à 60% plus chers, il n’y a pas de marchés ou épiceries spécialisés et de qualité mais plutôt du hard discount. Et puis d’autre part, c’est un ressentiment : les gens ont bien conscience que bien manger est important, mais il n’en ont pas l’accès économique et géographique ». VRAC a donc pensé un modèle d’achat groupé qui est « triplement gagnant », car l’achat de gros volumes :
- réduit les coûts
- limite les emballages
- rémunère mieux les producteurs en limitant les intermédiaires, ce qui permet aussi de créer du lien social entre mangeurs et producteurs
2-La Grange de Gros Puys : l’alimentation en circuit court en réponse à plusieurs enjeux d’un territoire rural
Située à Abjat sur Bandiat, le projet de la Grange nait en 2019. Les néoruraux initiateurs du projet souhaitaient un projet qui rassemble les habitants autour de la boucle alimentaire et la valorisation des savoirs faire locaux. De la même manière que VRAC, ils souhaitaient répondre à l’accès à l’alimentation de qualité. « L’enjeu est encore plus présent dans une géographie rurale » selon François Devooght et Antoine Libeert. C’est aussi une question de codes auxquels renvoient la bio et les labels qui ne sont pas toujours ceux des personnes en situation de difficulté économique et sociale. Une épicerie sociale et solidaire est ouverte dans la Grange. Ici, pas de marge et peu d’intermédiaires. Si besoin, les 200 familles adhérentes peuvent payer 50% de moins que le prix affiché. Le système est financé par les autres usagers qui payent à 100%.
Le site est répartis en plusieurs pôles sur 10ha: épicerie, zone agricole avec un chevrier et un couple de maraîchers qui s’installent, un jardin collectif, un espace artisans, un atelier partagé, un pôle transformation alimentaire en réflexion et un projet de boulangerie.
Pour en savoir plus sur le projet, visionnez le court-métrage “Des vertes et des pas mûres”
3-Co-Actions, une coopérative pour les entrepreneurs…
Co-Actions est une Coopérative d’Activité et d’Emploi (CAE). Accompagner à la création, au test et au développement d’activités entrepreneuriales est leur métier depuis 2007. Les activités sont ensuite pérennisées dans le cadre d’une entreprise partagée, une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC). Les entrepreneurs salariés y mutualisent les fonctions support : comptabilité, gestion, accompagnement. Ils sont plus de cent entrepreneurs-salariés dans les Landes, le Lot-et-Garonne et la Gironde. « C’est un modèle d’entreprenariat qui permet d’associer la sécurité du salariat et la liberté de l’entreprenariat » explique Cécile Marsan, Directrice Générale de Co-Actions. Sécurité grâce au test, au salariat et sa protection sociale. Liberté car chacun est autonome pour mener son activité comme il le souhaite.
…créée Co-Actions Agri, pour les nouveaux agriculteurs
En 2019, Co-Actions créée Co-Actions Agri. C’est une réponse face aux demandes de porteurs de projet en agriculture « qui ne se retrouvent pas dans les propositions d’accompagnement existantes ou dans les statuts et modèles agricoles conventionnels ». Le besoin est la sécurité, l’accompagnement et le collectif. La plupart (6 sur 10) sont des Non Issus du Milieu Agricole (NIMA).
Cécile Marsan nous raconte l’histoire de David. Ex ingénieur chercheur, il se reconvertit à plus de quarante ans. Grâce à la coopérative, il teste son activité sur les plans entrepreneurial et technique. Le test est validé et il pourra signer son contrat d’entrepreneur-salarié en avril 2023. Ce modèle lui a permis de se consacrer pleinement à l’activité maraîchère en allégeant sa charge mentale sur l’administratif, et même la certification qui est aussi mutualisée.
Ce qui l’a attiré sur ce modèle est la visibilité sur sa rémunération à moyen et long terme, et la cotisation au chômage et à la retraite. Il peut également combiner différentes activités (maraîchage, production d’œufs, jardinage) qui lui permettent de sécuriser son revenu. David va s’installer sur une ancienne propriété viticole dans le Cœur-Entre-Deux-Mers (33). Le propriétaire, vigneron à la retraite a arraché des vignes pour installer de nouvelles démarches de production vivrière. Il met donc à disposition du foncier, des bâtiments et du matériel aux porteurs de projet qui paient un loyer.
Des modes d’entreprendre et de faire qui emmènent vers un système alimentaire durable
> Décider et faire autrement : ensemble
La Grange de Gros Puys et Co-Actions Agri ont éprouvé de nouveaux modes de gouvernance basés sur la sociocratie. Ce sont des modes de faire exigeants, chronophages, mais qui ont démontré leur efficience. « L’enjeu est de réapprendre à faire ensemble » d’après la Grange. Les usagers gèrent eux-mêmes les activités, et l’objectif est que les porteurs de projet initiaux ne soient plus les gestionnaires de l’association. Aujourd’hui, soixante-dix personnes prennent part à la co-gestion de la Grange. De la même manière à Co-Actions Agri, ce sont les entrepreneurs salariés « qui sont aux manettes de la gouvernance ».
> Intégrer les enjeux climatiques et environnementaux à la démarche
VRAC Bordeaux s’est rendu compte que travailler « simplement » sur l’offre ne fonctionne pas. Il faut aussi s’atteler aux pratiques alimentaires. Pourquoi ? Car en 2020 l’équipe de VRAC prend conscience que 50% de l’empreinte carbone individuelle est liée aux comportements alimentaires. Les produits issus des ruminants représentent trois quarts de cette empreinte. VRAC a donc décidé de travailler sur la manière de repenser la place de la viande rouge dans l’alimentation « sujet complexe qui vient remuer beaucoup de représentations ». VRAC s’est donc associée avec d’autres organisations qui travaillent sur ces questions avec d’autres approches. Ensemble ils ont créé le collectif Acclimat’action et ont testé plusieurs modes de sensibilisation individuelle. Ont notamment été mis en place des ateliers cuisine, de la formation (vulgarisation des enjeux de climat à l’assiette, avec quatre séquences), et enfin un outil marketing, avec des affiches sur la place de la viande dans l’alimentation axées sur les quartiers prioritaires.
> Pourquoi mener une évaluation de son projet ?
« Mesurer pour mesure n’a que peu d’intérêt. Il faut donc que ça s’inscrive dans une démarche de prise en compte des différents leviers pour améliorer sa contribution aux quatre dimensions du système alimentaire durable » souligne Amélie Colle, consultante chercheure chez Vertigo Lab. L’évaluation est donc avant tout un outil de pilotage pour les projets.
Naturellement pour les projets plus récents comme la Grange de Gros Puys, une évaluation structurée n’a pas encore pu se faire. Néanmoins les porteurs de projet voient déjà l’impact social : ils sont supris par le monde qui vient, « les espaces débordent », mais aussi par la forte adhésion à la co-gestion. Au jardin partagé, les vingt-sept usagers d’en moyenne soixante-cinq ne viennent pas pour la récolte, mais pour la rencontre. Sur l’aspect environnemental, il est évident que la boucle alimentaire locale créée avec la production, transformation et commercialisation sur site ou à proximité est positive. François Devooght et Antoine Libeert sont toutefois intéressés par la mesure plus précise de cet impact.
> L’évaluation comme outil de pilotage pour une réponse systémique et fine aux enjeux
VRAC a pu bénéficier d’une évaluation poussée de ses activités dans le cadre de l’étude. Cela permet un « pas de côté » par rapport à la succession des urgences climatiques, sanitaires, l’inflation… « On n’arrive qu’à mettre des petits pansements sur une problématique qui est bien plus large ». L’intérêt de l’évaluation est donc de penser plus systémique. Le résultat de ce pas de côté est le projet de Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA).
Pour Co-Actions Agri, l’évaluation a permis aux agriculteurs de prendre conscience de la valeur de leur travail. Concrètement, leur utilité sociale et écologique est d’intérêt général. Ils sont aujourd’hui en mesure de communiquer sur cet impact positif qui répond aux attentes des consommateurs sur la proximité, les pratiques agroécologiques, etc.
De l’expérimentation locale à la transformation des modèles pour un système alimentaire durable
Nicolas Trézèguet rappelle : « Notre système alimentaire dysfonctionne : sur la production le secteur agricole va mal, sur la distribution il y a un monopole de l’agro-industrie et de la grande distribution… Et sur la consommation l’aide alimentaire explose, les banques alimentaires n’arrivent plus à s’approvisionner en denrées. Donc sur tous les maillons ça craque ». Et de conclure : « Il faut donc penser à une politique structurelle et la Sécurité Sociale de l’Alimentation y répond à notre sens. ».
La SSA est inspirée du modèle pensé par le Conseil National de la Résistance sur lequel reposent aujourd’hui notre santé et notre retraite. C’est un pot commun dans lequel on contribue selon ses moyens et bénéficie selon ses besoins. « Aujourd’hui ça ne nous gêne pas de sortir notre carte vitale pour pouvoir avoir accès aux soins parfois gratuitement : avec l’alimentation c’est pareil ». Il s’agit d’avoir un budget dédié sur une carte vitale alimentaire qui permet d’acheter notre alimentation dans des lieux conventionnés par les citoyens. VRAC définit actuellement le cadre d’une expérimentation en Gironde. « C’est tellement révolutionnaire et remet en cause tant de pratiques que ça ne peut se faire qu’à l’échelle locale, mais l’ambition est bien ensuite le changement d’échelle pour un changement sociétal ».
De son côté, Co-Actions Agri s’investit aussi dans la transformation à grande échelle. Avec un réseau régional et national, le but est : faire reconnaître le statut d’employé-salarié en coopérative comme un statut possible d’installation reconnu par la profession agricole et éligible aux aides de la Politique Agricole Commune (PAC). Cela se fait dans le cadre des concertations sur la Loi d’Orientation Agricole lancées par le Marc Fesneau, Ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire en décembre 2022. L’objectif est de pallier le départ à la retraite massif de milliers d’agriculteurs. Et depuis mai 2023, c'est chose faite ! Le gouvernement a reconnu dans un décret, les SCOP, les SCIC et les CAE Agricoles comme de nouvelles formes d’installation intégrées à la définition d’agriculteur actif. Concrètement, les agriculteurs de ces structures sont désormais éligibles aux aides de la PAC. La prochaine étape attendue par Co-Actions Agri est la reconnaissance du statut d'agriculteur autonome exerçant au sein d'un collectif.
La Région, la Banque des Territoires et l’Etat soutiennent le déploiement de ces nouveaux modèles en faveur d’un système alimentaire durable