1/ Vous êtes un ardent défenseur du terme “développement local”. Que signifie-t-il pour vous ?
C’est une manière d’envisager le territoire où l’on vit. Dans une approche globale qui intègre les différentes dimensions de ce territoire, et qui prend en compte la société civile. Cela doit se traduire par des actions qui dépassent les problématiques sectorielles, les logiques segmentées et pyramidales. Je revendique la transversalité et l’horizontalité !
Sur le plan professionnel, en tant qu’agent de développement local, mon rôle est d’aider les projets à s’exprimer, à se construire et à advenir. C’est un travail de maïeutique. Mais c’est plus que ça parce qu’on ne peut pas se contenter d’attendre que les choses arrivent. Ces dernières années, j’ai accompagné la création d’un atelier de transformation fermière. En laissant traîner mon oreille, j’ai appris que des paysans s’interrogeaient sur l’intérêt de créer un tout petit atelier de découpe qui grâce à sa taille, n’aurait pas eu besoin d’agrément européen. Ensemble, on a commencé à réfléchir à l’utilité que cet atelier pourrait avoir pour les circuits courts du territoire, pour approvisionner la restauration collective. Et peu à peu, en partant d’un projet porté par trois au quatre producteurs, même pas identifié au départ par l’agglomération, on est arrivés quelques années plus tard à un investissement d’1,7 million d’euros.
2 / Il faut donc avoir “les oreilles qui traînent” pour être un bon développeur local ?
Il faut être à l’écoute, rebondir sur les attentes et les questionnements, chercher dans les marges des idées, des envies, des volontés qui pourraient se transformer en projets. C’est aussi important de comprendre les logiques d’acteurs. D’un côté il y a les collectivités où l’on retrouve le politique et l’administration. Et en-dehors, des personnes qui fonctionnent différemment, qui privilégient le travail en réseau plutôt qu’en silos, et qui peuvent avoir une certaine défiance vis-à-vis de la collectivité.
Mais on ne maîtrise pas tout. Il y a ce que les philosophes grecs appelaient le “kaïros”, le “moment opportun”. C’est le concours de circonstances qui fait qu’on peut engager une action, un projet. Je l’ai vécu à plusieurs moments, notamment sur l’agriculture. En 2012, cela faisait plusieurs années que j’essayais d’attirer l’attention sur les questions agricoles. Mais ce n’était jamais le bon moment. Et un jour, en commission économique, j’ai dressé un tableau noir de la situation, ça a fait “tilt” chez les élus et mes collègues. J’ai alors pu, aux côtés d’un élu volontariste, monter un groupe de travail composé de 25 personnes : des agriculteurs, des élus municipaux et l’élu référent. On s’est réunis durant plusieurs mois, le soir, pour se faire une représentation commune du paysage agricole local et des perspectives qu’on pouvait imaginer ensemble.
Sur ce projet agricole et alimentaire, je dois aussi dire que j’ai eu la chance d’avoir un élu référent, Eric Bellouin, avec qui j’ai vraiment travaillé en binôme. On avait une proximité dont j’ai abusé, je l’avoue !
3 / Comment êtes-vous arrivé à ce métier ?
Une grosse moitié de ma carrière est liée aux collectivités. Avant d’arriver comme animateur Leader à la CDC du Pays de Tulle, en 2002, j’ai occupé des fonctions dans le secteur associatif, la culture, l’éducation populaire, le tourisme social, le logement des jeunes. C’était déjà lié à l’action locale finalement. Mais je n’ai pas de formation dans ce domaine. J’ai seulement un brevet de technicien agricole. Je me suis enfui avant le brevet de technicien supérieur. De plus, je n’étais déjà pas en phase avec l’agriculture conventionnelle et productiviste qui nous était enseignée. Je me suis beaucoup fait moi-même, et je continue à le faire en allant à des congrès, en rencontrant des chercheurs, et en m’appuyant sur les sciences humaines.
4 / Pouvez-vous nous parler de Tulle et de votre rapport à ce territoire ?
Je suis un citadin à la base puisque je suis né à Vitry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne. J’ai débarqué en Corrèze au début des années 80.
C’est difficile de décrire Tulle. C’est la ville-préfecture de Corrèze avec 15 000 habitants, alors que Brive est sous-préfecture avec 45 000 habitants. Géographiquement, c’est une ville encaissée. Pour celui qui la découvre, sa physionomie peut être rebutante parce qu’il faut descendre pour accéder à son centre. Pierre Bergounioux, un écrivain que j’aime beaucoup originaire de Brive-la-Gaillarde, décrit très bien ce que l’on peut ressentir quand on arrive ici. Il n’y a rien de clinquant à Tulle. L’état d’esprit est différent de Brive.
Ca a été une ville industrielle grâce notamment à la manufacture d’armes (manufacture d’Etat créée au XVIIe siècle et fermée dans les années 80, ndlr) et aux usines métallurgiques de la Marque (créés aux XIXe siècle, rachetées par le groupe américain Borg Warner Automotive en 1995, délocalisées à Eyrein près de Tulle en 2007, et définitivement fermées en mars 2022, entraînant la disparition de 368 emplois, ndlr) qui ont fait sa richesse. Aujourd’hui le tissus industriel est beaucoup moins important. Ce qui sauve au niveau de l’emploi, ce sont les services administratifs, les collectivités locales et l’hôpital. La population est vieillissante. Ici la dichotomie urbain/rural n’est pas très marquée. Il y a beaucoup de mouvements entre la campagne et la ville. Tulle est le point central vers lequel la population converge. On n’est pas sur du rural profond.
Plus généralement, je remarque que la Corrèze attire aujourd’hui des néo-ruraux arrivés un peu par hasard. Des personnes qui arrivent sans qu’on comprenne vraiment ce qui les a amenées ici, mais qui restent !
5 / A l’heure de partir à la retraite, quelle est votre principal regret ?
J’aurais aimé travailler plus en équipe, plus en transversalité, mais l’impulsion n’était pas là. Mon autre regret c’est de ne pas avoir réussi à dépasser des blocages, notamment avec la Chambre d’agriculture de Corrèze. C’est un vrai regret de partir sur ce blocage.
6 / Et votre principale fierté ?
Il y en a plusieurs. Quand je travaillais sur les fonds Leader, j’ai piloté des actions de coopération transnationales avec des territoires finlandais. Et dans ce cadre j’ai fait en sorte d’envoyer une trentaine de jeunes du Conservatoire de Tulle en Finlande. Puis une trentaine de jeunes Finlandais sont venus ici. C’était pas gagné d’avance avec les structures qu’on a ici !
Plus récemment, il y a l’atelier de transformation que j’ai déjà évoqué. C’était complètement nouveau de faire ça à l’époque. Il a fallu toute la conviction de certains élus pour y aller et pour y arriver. Enfin j’évoquerais le projet actuel sur lequel on bosse : un tiers-lieu agricole de onze ha à Naves, à quelques km de Tulle. Celui-ci réunira un espace-test, un espace de maraîchage en insertion, et aura pour but de faire connaître l’agriculture au grand public à travers des projections, des conférences, des ateliers. C’est un projet que nous sommes en train de construire avec les autres acteurs du territoire (l’Adear du Limousin, Agrobio 19, Terre de liens Limousin, le lycée agricole de Tulle-Naves). Une association va bientôt être créée. D’ailleurs je n’exclus pas d’y participer…
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