Gouvernance alimentaire, reterritorialisation, projet de territoire… de quoi parle-t-on ?
Une introduction pour mieux appréhender le sujet
Introduction de mise avec le Pôle Territorial de Coopération Economique (PTCE) Passerelles. Il s’agit d’un groupe d’acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) travaillant sur la restauration. Ils abordent des thématiques comme l’insertion professionnelle, la réduction du gaspillage alimentaire et des actions de sensibilisation.
Benjamin Masure directeur de l’association APPUI sert aux convives 5 ingrédients pour penser la gouvernance alimentaire :
- Maîtriser le foncier et mettre en culture ce qui peut l’être,
- Revaloriser les déchets, travailler dans une optique d’économie circulaire,
- Mettre en place des espaces appropriables par tous pour favoriser les changements. Questionner et accompagner la « petite intelligence » du terrain qui fait naître de grandes choses,
- Travailler avec les agents économiques de la production, transformation et distribution,
- Accompagner la transition vers de nouveaux comportements.
Forts de ces cinq acquis, nous avons pu écouter le point de vue du RTES (Réseau des collectivités Territoriales pour une Economie solidaire). Il observe depuis plusieurs années ses adhérents travailler sur l’agriculture et l’alimentation dans les quartiers et sur tous les territoires français.
La reterritorialisation de notre alimentation comme le définit le réseau français de chercheurs travaillant sur le sujet, préoccupe de plus en plus de collectivités. Celles-ci se posent des questions sur la santé et la nutrition, le pouvoir d’achat des ménages face à une offre peu lisible ou la fragile économie du monde agricole aujourd’hui. Le rôle des collectivités dans le cadre des PAT n’est pas de faire à la place des acteurs. Il est plutôt d’articuler, d’animer et “faire pour” les acteurs et initiatives locales. Tout cela en essayant d’être exemplaire au niveau de la restauration collective scolaire. Il faut également rester vigilant et ferme sur la préservation du foncier et des sols.
Un projet concret pour en parler
C’est ensuite l’Etablissement Public Territorial (ETP) Plaine Commune, territoire de projet expérimentant depuis plusieurs dizaines d’années sur la participation citoyenne et la gouvernance partagée, qui présenta son projet de « boucle alimentaire locale ».
Les acteurs de l’ESS déjà présents sur le territoire et moteurs de l’économie locale travaillent main dans la main avec les collectivités depuis 2016. Ils travaillent à une stratégie agri urbaine de la production à la valorisation des déchets en passant par la consommation. Ce territoire voit l’alimentation dans les quartiers avant tout comme une thématique porteuse de sens. Et cela pour tous les projets relevant de l’économie, de l’insertion, du renouvellement urbain ou de la citoyenneté.
C’est ainsi que la collectivité a pu accompagner trois fermes urbaines. Elle a également travaillé sur un gros projet d’aménagement de 33ha dont 15 seront dédiés aux espaces naturels, à l’agriculture urbaine et à des jardins familiaux. D’autres initiatives comme celle des Alchimistes permet de collecter les déchets organiques des foyers pour les composter. Ce compost est ensuite redistribué aux habitants ou vendu à des agriculteurs.
La clé de cette réussite pour l’ETP c’est une équipe de renouvellement urbain en charge des projets qui a su prendre le temps de la concertation et de l’expérimentation. L’ETP loue également le maintien de leur position en faveur des "espaces immatériels " de discussion et d’ouverture. Cette position place l’usager au cœur de la construction du projet.
Et les consommateurs ? Qu’en disent-ils ?
L’Agence Régionale de Santé en collaboration avec le Pôle Ressources présentait le résultat de ses focus groupes ayant réunis 87 personnes des quartiers en collaboration avec les centres sociaux, les groupements scolaires, les associations et les personnes en charge des contrats locaux de santé. Plusieurs points sont mis en avant dans le résultat de cette consultation pour penser l’alimentation dans les quartiers :
- Les parents ne veulent pas que le repas devienne une bataille avec les enfants, le repas étant parfois le seul moment passé ensemble,
- Les consommateurs des quartiers ne savent pas où trouver ces fameux produits « sains », en « circuit court », etc. L’offre n’est pas présente sur leur territoire, ils ne comprennent pas vraiment les tenants et aboutissants de ce nouvel engouement et ont l’impression que de toutes façons ces produits ne sont pas faits pour eux,
- Ces quartiers sont en fin de chaîne de l’approvisionnement. Les produits frais sont souvent justement peu frais, ne se conservent pas et ne donnent pas envie,
- Pourquoi remettre en question la qualité des marchandises des enseignes qui portent des noms comme « grand frais » ? Les légumes brumisés à longueur de journée sont magnifiques et plein de couleurs.
- Le temps du repas représente beaucoup de choses dans l’inconscient. Un bon repas, un repas où l’on se fait plaisir, c’est un repas qui dure, que l’on prépare pendant longtemps, qui est riche et surtout copieux. Et ça on ne peut pas le faire tous les jours pour de multiples raisons.
- Beaucoup de parents partent du principe que l’enfant a bien mangé, sain et équilibré à la cantine le midi. Ainsi, le repas du soir à la maison peut être moins « sain » et plus « plaisir ». D’autres se disent pourtant parfois surpris de voir leur enfant affamé à 16h car il n’a mangé que du pain le midi.
Des solutions au plus près des besoins
Enfin, ces focus groupes ont permis d’interroger la volonté des habitants. Des solutions pourraient être envisagées pour les aider :
- le jardinage et l’idée d’espaces de jardins partagés ou familiaux . Une animation adaptée fait consensus auprès de tous les participants ;
- il faut laisser la place à la liberté d’initiative et au test sur ces sujets peu familiers pour tous ;
- il faut ouvrir « l’institution » de la cantine pour y permettre à la fois plus de sensibilisation auprès des enfants. On peur dès lors permettre aux parents de mieux comprendre ce qui s’y passe. Pour cela, il faut pouvoir avoir des personnels accompagnants en salle bien formés et pérennes.
Ouvrir le sujet à tous, sensibiliser et faire comprendre les débats qui traversent la société aujourd’hui.
Se réapproprier son alimentation par ses propres moyens
Yorgos REMVIKOS a conclu la matinée avec son point de vue d’enseignant-chercheur à l’Université de Versailles.
Pour lui, l’alimentation est un facteur parmi d’autres qui contribue au rejet social et un classement en tant que “ public défavorisé ”. Cela conduit inévitablement à un mal être puis des pathologies comme l’obésité par exemple.
L’alimentation dans les quartiers comme ailleurs est pour chacun quelque chose de très personnel. Ainsi, plus encore que pour d’autres problématiques, une solution durable n’est pas d’établir des injonctions culpabilisantes ou d’apporter simplement de l’assistance. Il faut comprendre les comportements pour pouvoir les déconstruire. Pour cela, penser à mettre la personne au centre d’une réflexion qui lui est propre. Pensons nos actions loin des dispositifs qui aujourd’hui classent les gens comme « immigré », « pauvre » ou « sans activité ». Il faut dès lors bien garder en tête que si d’un côté il semble difficile de comprendre certaines postures, cela est vrai dans les deux sens. Les résultats des focus groupes l’illustrent très bien. C’est en permettant à ces individus d’innover avec leurs propres moyens que leurs actions seront les plus pertinentes et durables. Pour cela, la collectivité doit pouvoir être en mesure d’accompagner avec du microcrédit, de l’ingénierie de projet et de l’accompagnement.
La fin de la matinée a été occupée à des présentations tournantes des belles initiatives du RER (Réseau Echange Restauration), de l’Ecole de la 2e chance du Val d’Oise et de son projet « Planter Récolter Partager », de la Ville de Moussy-le-Neuf et des pépinières locales Châtelain en conversion vers du maraîchage bio diversifié pour alimenter citoyens, entreprises et écoles de la région.