Cette visite à été co-organisée avec la ville de Floirac et le GIP Grand Projet des Villes de la Rive Droite.
1. L’alimentation, l’agriculture et la politique de la ville
La politique de la ville est une politique publique de cohésion territoriale et sociale qui s’adresse aux quartiers défavorisés des villes. Son ambition est de réduire les inégalités de développement de ces quartiers par rapport au reste de leur unité urbaine, mais aussi et surtout d’améliorer les conditions de vie des habitants. La politique de la ville est mise en œuvre au moyen des contrats de ville, documents qui lient l’Etat, l’EPCI, les communes et les autres partenaires des territoires autour du projet pour les quartiers.
Les contrats de ville actuels arriveront à échéance fin 2023 et les territoires préparent actuellement les prochains contrats Engagements Quartiers 2030. Ces contrats fixent le cadre d’un projet renouvelé pour les quartiers prioritaires, au regard des enjeux qui les traversent autour des axes prioritaires fixés par l’Etat : emploi, transitions, émancipation et sécurité.
La Région Nouvelle-Aquitaine compte actuellement 26 contrats de ville pour la période 2014-2023, rassemblant 81 quartiers prioritaires. La diversité des territoires prioritaires persistera en Nouvelle-Aquitaine, avec des territoires historiques de quartiers de grands ensembles des périphéries urbaines, mais aussi de petits quartiers d’habitat collectif situés au sein d’EPCI plus ruraux et des quartiers de centres anciens dégradés. Quels que soient les territoires, la question de l’alimentation et de l’agriculture urbaine a toujours été présente, par les jardins ouvriers et les banques alimentaires par exemple. A la croisée de plusieurs enjeux clés comme les transitions, l’insertion ou la participation citoyenne de nombreux acteurs ré-investissent ces questions dans des projets associatifs, des projets de rénovation urbaine ou des projets plus larges à l’échelle des EPCI, des départements et même de la Région (à lire dans la deuxième partie).
Parmi les leviers possibles pour améliorer cette accessibilité alimentaire, se trouve la relocalisation de la production agricole en milieu urbain pour fournir de l’alimentation de qualité à la population et en particulier à celle qui n’accède pas à une alimentation saine et de qualité.
Par exemple, depuis 2014, existent les Projets Alimentaires de Territoires (PAT) issus de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. On compte aujourd’hui 35 PAT en Nouvelle-Aquitaine. Ces projets sont construits de manière concertée avec les acteurs du territoire. Ils visent à donner un cadre stratégique et opérationnel à des actions partenariales répondant aux enjeux sociaux, environnementaux, économiques et de santé, y compris dans les QPV.
2. L’alimentation dans les quartiers prioritaires, l’exemple de Dravemont à FLoirac (33)
“Pour le comité national de coordination de la lutte contre la précarité alimentaire, le nombre de personnes en situation de précarité alimentaire s’élèverait à 7 millions en 2023 en France. Ce chiffre alarmant est un des révélateurs des inégalités sociales. La question de l’inégalité d’accès à l’alimentation est un enjeu important. Ce qui est « en jeu » c’est non seulement le droit à l’alimentation mais aussi le droit à une alimentation saine, de qualité et durable.”
L’Etat et la Région Nouvelle-Aquitaine en ont fait un domaine d’action stratégique du Pacte alimentaire 2021-2025 “Favoriser la solidarité et la citoyenneté alimentaire”. Ce Pacte constitue la feuille de route régionale pour une alimentation plus saine, locale et durable.
Les défis à relever dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont immenses autour des questions d’accessibilité alimentaire, de transitions, d’insertion dans l’emploi ou encore de santé. En cette année 2023 de réécriture des contrats de ville, PQN-A a proposé aux acteurs chargés de ces sujets de mieux appréhender les enjeux, les outils et les actions possibles, en observant et en analysant l’expérience d’un territoire.
PQN-A a alors organisé une rencontre dans le quartier de Dravemont à Floirac (33) sur la rive droite de Bordeaux Métropole. La rive droite concentre d’importants ensembles d’habitat social hérités des années 70. Historiquement, le déclin progressif de l’industrialisation sur ce bord de la Garonne a généré des difficultés socio-économiques profondes qu’ont subie les quatres communes du GPV dont fait partie Floirac. Ainsi Floirac concentre 25% de la population métropolitaine en situation de précarité et 40% des logements sociaux de la métropole.
Grâce au partenariat entre la Ville de Floirac, le Groupement d’intérêt public du Grand Projet de Ville et les bailleurs sociaux, le quartier Dravemont est devenu depuis 2018 un lieu d’innovation alimentaire.
“Ce quartier concentre plusieurs porteurs de projets atypiques qui génèrent une importante dynamique dans le quartier : installation de la Cave Agricole, champignonnières labellisé AB installée dans les 3 000 m² en sous-sols de la résidence Blaise-Pascal-Corneille, le développement de l’association VRAC qui prévoit l’installation d’une épicerie permanente dans les prochaines années, et enfin le plus grand cheptel girondin en tête de bétail avec le million de larves d’insectes de l’entreprise Metaver.”
3. A la rencontre d’initiatives au coeur du quartier
Le quartier Dravemont fait partie d’une ville dont les engagements en faveur de l’alimentation sont très marquées (ex : un élu délégué à la Transition Alimentaire et Environnementale, un stage d’étude sur le système alimentaire de la commune, l’accueil du festival AlimenTerre). Exemptée de fonciers agricoles au PLU depuis 2006, la ville de Floirac développe une politique innovante pour relocaliser l’agriculture sur son territoire dans le cadre de l’Agenda 21. En 2014, elle crée une épicerie solidaire avec le CCAS, elle installe au cœur des grands ensembles de Dravemont et des résidences la Fraternité, deux jardins partagés et participe activement au festival AlimenTerre. En 2018, elle lance un AMI pour l’installation d’une micro-ferme (l’association « Le Conservatoire du Goût » labellisée AB est lauréate) et crée un marché dominical l’année suivante. Depuis 2019, elle réalise la pesée et le ramassage des biodéchets dans l’ensemble des restaurants scolaires. Ces déchets sont valorisés par une micro-plateforme de compostage locale installée fin 2022. La formation de l’ensemble des agents de restauration sur l’animation à la lutte contre le gaspillage alimentaire a été nécessaire. Enfin, en 2023, en tant que membre actif du PAT du GIP GPV, et avec Bordeaux Métropole, la Ville prévoit l’installation d’un projet agricole sur un foncier de 1,2 ha dans le cadre de l’appel à projet Quartiers Fertiles de l’ANRU, sur le site du Canon.
L’un des projets mis en place par la commune est le Parc du Rectorat. Animé par l’association Place aux Jardins, cet espace partagé met à disposition des bacs de culture aux adhérents, principalement des habitants du quartier Dravemont. Entre dix et quinze personnes se retrouvent dans ce jardin de 500 m² pour l’entretenir, se former au jardinage et surtout pour se rencontrer. “Le jardin partagé est un lieu d'interactions sociales plus que de production.” Jonathan Duvivier. On y fête, par exemple, la Fête de l’Automne une fois par an. Ce projet est financé par Floirac à hauteur de 4 000€, Aquitanis, le bailleur social implanté sur le quartier, et par l’abattement sur la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB).
La visite a permis ensuite d’aller voir la Maison Popote, un projet de l’association VRAC. Elle occupe actuellement un local qui devrait être démoli courant fin 2023. Le quartier connaît régulièrement des rénovations. Le supermarché discount du quartier a d’ailleurs été remis à neuf en 2023 et c’est pour proposer une offre alimentaire temporaire pendant sa fermeture que la Maison Popote s’est installée.
“Ce n’est pas une épicerie solidaire, car ici on propose trois prix qui permettent à chacun de participer à hauteur de ses revenus. Au-delà d’être un lieu d’approvisionnement, ce projet aborde la démocratie alimentaire : réappropriation du système alimentaire par les habitants, participation aux prises de décisions collectives concernant l'approvisionnement, dialogue avec les acteurs du système alimentaire.”
Les habitants ont exprimé leur insatisfaction vis-à -vis du peu d‘offre alimentaire accessible et de qualité dans leur quartier. A la veille de la destruction du lieu, des citoyens ont ainsi décidé de s’organiser en groupement d’achat pour pérenniser le projet. Le collectif se réunit toutes les semaines pour assurer l’approvisionnement de l’épicerie en produits frais.
Des entreprises privées comme La Cave Agricole et Metaver sont également venues s'installer dans le quartier. Le bailleur social Aquitanis loue à ces structures des locaux dans les sous-sols d’immeubles du quartier. Ces locaux étaient d’anciennes caves propices à l’installation de squats. Ces initiatives contribuent à la vie économique et sociale de Dravemont.
Le projet Metaver souhaite répondre aux enjeux modernes de l’alimentation liés notamment à l’épuisement des ressources en eau par l’expérimentation de la culture de ténébrions meuniers. Déjà connus des pays asiatiques, ces vers de farine représentent une alternative innovante, car ils sont très peu consommateurs d’eau, ne nécessitent aucune surface agricole, et sont produits totalement en bio. Congelés et ensuite passés au four à 70°C, ces insectes sont ensuite consommés sous forme de crackers salés ou sucrés. Avec sa haute teneur en protéines (45%), Metaver compte bien proposer ses vers de farine comme une alternative saine et durable à la consommation de viande industrielle.
A côté se trouve La Cave Agricole, une champignonnière installée dans les sous-sols d’HLM de 350m². Les conditions y sont idéales pour la production : peu de lumière, une humidité suffisante. Les champignons s’écoulent en circuit-court auprès des épiceries, des grossistes et des restaurants alentours. La Maison Popote de VRAC s’y fournit d’ailleurs en champignons. Incarnant des valeurs écologiques, la Cave Agricole s’inscrit dans une démarche de production locale en milieu urbain.
Ces initiatives occupent toutes une place importante dans cet écosystème : faiseur de lien entre les habitants, incubateur de projet, contribuant à la réponse aux enjeux environnementaux et alimentaires, participant à l’amélioration du cadre de vie du quartier.
4. Rencontrer et s'inspirer pour imaginer des projets
Dans la deuxième partie de la journée, un atelier a été proposé par les participants afin de penser, ensemble, à des projets (appelés ici chantiers) qui pourraient être mis en place autour d'un quartier afin de répondre à quatre problématiques :
1. Comment sensibiliser, éduquer et partager les savoir-faire culinaires et potager auprès des habitants des quartiers ?
- La sensibilisation et l'éducation : L’alimentation est la première médecine capable de prévenir les maladies telles que l’obésité ou le diabète II. Les quartiers prioritaires sont des poches de pauvreté où il est parfois difficile d’accéder aux soins. Sensibiliser et éduquer à une alimentation saine pour soit et son environnement est alors primordial. C’est aussi l’occasion de créer du lien sociale.
2. Comment la rénovation urbaine peut-elle favoriser l’accès à une alimentation de qualité et l’installation d’agriculture dans les quartiers ?
- Le renouvellement urbain : “En changeant les quartiers, en modifiant ce à quoi ils ressemblent, en les intégrant au reste de la ville grâce à une banalisation et grâce aux nouvelles communications, ces derniers profiteront de la dynamique des autres quartiers.“ . C’est l’hypothèse de cette politique publique.
3. Comment l’agriculture et l’installation d’activité en faveur de l’alimentation peuvent favoriser l’insertion et l’emploi dans les quartiers ?
- L'emploi : Les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) présentent un taux de chômage beaucoup plus élevé que la moyenne. Or, la perte d’emploi entraîne inévitablement une baisse du pouvoir d’achat. Par exemple, en 2019, en raison de la perte des emplois à temps partiel et de l’isolement lors de l’épidémie deu Covid-19, le nombre de fréquentation des structures de l’aide alimentaire a augmenté.
4. Comment faciliter l'accès à une alimentation de qualité (produits frais, de saison, de proximité) dans les quartiers ?
- L'accessibilité alimentaire : Une alimentation saine oui mais encore faut il y avoir accès. Ce problème de justice sociale touche directement les plus précaires autour des quels se sont surtout développés les établissements de restauration rapide. Or, “ 45 % des Français déclarent aujourd’hui avoir assez à manger, mais pas toujours les aliments qu’ils souhaiteraient. “ selon le rapport du CREDOC (2023).
Découvrez ici leurs propositions :
5. Des initiatives inspirantes partout en France
Un travail mené par plusieurs centres de ressources politique de la ville* (CRPV) en 2021 a permis de recenser un grand nombre de projets dans le champ de l’alimentation et de l’agriculture urbaine en quartiers prioritaires. La liste de ces projets n’est pas exhaustive. Elle permet de repérer et de capitaliser sur des initiatives qui illustrent la manière dont les acteurs locaux se saisissent des enjeux auxquels ils font face. Nous évoquons ici en particulier celles s'intéressant au renouvellement des actions de solidarité alimentaire, au déploiement de l’agriculture urbaine, les actions relevant du cadre de vie, de l’habitat, des mobilités notamment par le levier des projets de renouvellement urbain.
Ainsi vous découvrirez à la fin du livret participant les projets suivants :
- Création d’un jardin partagé au sein d'un collège ouvert aux habitants par le collège Renoir à Marseille (13)
- Dépasser une logique « par défaut » de lutte contre la précarité alimentaire par l’association Les Anges Gardins à Loos-en-Gohelle (62)
- Le 8ème Cèdre par un bailleur, une association, des bureaux d’études à Lyon (69)
- Stratégie alimentaire territoriale - “De la Fourche à la fourchette” par l’Agglomération Roissy Pays de France (95)
- “Roulotte des délices” et paniers bio solidaires par le Secours Catholique du Gard à Petite ville à Vauvert (30)
- Alimentation et transition sociale écologique par l’association Les Ateliers Nomades à Autun (71)
- Maison interculturelle de l'alimentation et des mangeurs de Bordeaux Nord (MIAM) par le Centre social et familial de Bordeaux Nord (33)
Ces projets montrent une partie de l’éventail des possibilités. Pour les acteurs souhaitant s’engager sur ce sujet, il existe , de nombreuses manières de développer et d’accompagner ce type d’initiatives, que ce soit sur l’installation d’agriculture et de l’alimentation de proximité, la restauration hors domicile, les marchés locaux, l’utilisation du foncier, ou encore l’accompagnement des associations et des habitants.
*Cité ressources, IREV, Labo Cités, Pôle ressources et développement social, PQN-A, RésO Villes, Trajectoire Ressources, Villes au Carré, Villes et Territoires Occitanie.
6. Ce qu’il faut retenir
Il semble important de retenir que la coopération est le maître mot dans l’initiation de démarches en faveur d’une alimentation durable et de qualité pour tous, notamment au sein des quartiers populaires. Et cela avec plusieurs leviers :
- En mobilisant les bailleurs sociaux qui jouent un rôle important dans l’installation de projets dans les quartiers, par leur participation financière, ou la mise à disposition de locaux,
- En favorisant l’installation d’entreprises dont les projets sont en accord avec les ambitions de la commune et les besoins des habitants,
- En s’appuyant sur le tissu associatif présent qui permet de créer du lien entre les citoyens, de rendre visible les projets en cours et de favoriser les initiatives,
- Par la mise en dialogue entre la commune et son EPCI afin de favoriser la prise de décision en faveur des projets locaux, l’articulation des décisions, le partage d’idées et l’essaimage sur d’autres territoires.
Tout cela nécessite une forte ingénierie d’animation pour articuler les projets entre eux, faire le lien entre les acteurs et mettre en synergie les actions dans l’objectif d’une dynamique de territoire efficace.
Pour exemple, la commune de Floirac et ses voisines bénéficient d’ingénieries de projets à plusieurs échelles que sont les Projets Alimentaires des Territoires du GPV depuis 2019 et celui de Bordeaux Métropole labellisé en 2023. Ces projets qui se veulent systémiques sont de réelles opportunités pour faire le lien entre les tissus d’acteurs agri-alimentaire existants mais aussi avec le domaine de la recherche et du secteur économique privé. Cette coopération est complexe à mettre en place et nécessite l’installation d’un véritable dialogue entre les différents projets et ses parties prenantes.
Pour compléter :
Le rapport du Réseau National des Centres de Ressources Politique de la Ville (RN CRPV), 2021, Politique de la ville et transitions, Contribution des centres de ressources politique de la ville