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Alimentation durable quels enjeux et quelles perspectives retour sur la conférence de Nicolas Bricas

© Crédit Photo Nicolas Bricas
Equipe PQN-A
Publié le 15/11/2020
Temps de lecture : 15 min
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Le 7 octobre 2020, Nicolas Bricas a défini les limites du système alimentaire industrialisé. Premièrement, il a précisé les facteurs de non durabilité de ce système mondialisé. Puis, il a comparé trois approches qui permettent de progresser vers une alimentation durable, à l’échelle planétaire.

 

Une conférence de la Chaire UNESCO « Alimentations du Monde » de Montpellier, proposée par Nicolas Bricas, chercheur au Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD).

Une industrialisation du système alimentaire mondial

sans précédent depuis le XIXème siècle

 

Dans le milieu du XIXème siècle, le système de production agricole a changé de modèle. On observe alors un réel changement de paradigme. En effet, d’’un modèle utilisant majoritairement l’énergie solaire, il passe alors à un modèle basé sur l’exploitation massive des ressources minières (azote, phosphate, potasse) et des énergies non renouvelables (charbon, pétrole, etc).
Déjouant les prédictions de l’économiste Malthus, il contribue à accroître les capacités de production agricole et alimentaire mondiale de manière exponentielle, et non linéaire. Il a ainsi accompagné la croissance de la population mondiale et l’a même dépassé dans le courant du XXème siècle.
Ainsi, depuis les années 1980, la production alimentaire mondiale, rapportée par habitant, a même dépassé la satisfaction des besoins énergétiques quotidiens, soit 2 500 Kcal. C’est donc à cette période que la planète est sortie d’une situation de rareté des produits alimentaires. Dès lors, le système alimentaire industrialisé a rempli le rôle qui lui était assigné : nourrir la planète et produire suffisamment pour faire disparaitre la famine.

 

2050 : des prospectives alimentaires qui plaident pour un changement de modèle

 

Les rapports de la communauté scientifique et des organismes de gouvernance mondiale (Food and Alimentation Organisation, World Resources Institute, Agrimonde…) délivrent le même constat.
En 2050, la croissance de la population mondiale devrait atteindre 9,7 milliards d’êtres humains, avant d’atteindre 11 milliards en 2100. Ainsi, les ressources énergétiques et minières étant finies, le système alimentaire industriel actuel ne pourra pas parvenir à nourrir la planète.

« On ne pourra s’en sortir qu’en changeant le système de production et le système de consommation à l’échelle de la planète ».

 

Les facteurs de non durabilité du système : le « jeu des 5 familles »

 

Le système alimentaire industriel, abordé à l’aune des enjeux de durabilité, révèle donc des faiblesses qui le rendent inopérant sur le long terme. Examinons les cinq familles d’enjeux auxquels il est soumis, et qui menacent sa durabilité.

 

1. L’environnement

Il est fortement impacté par :

  • l’épuisement des ressources,
  • la saturation des milieux en produits toxiques,
  • la surpêche,
  • l’eutrophisation,
  • l’érosion de la biodiversité.

Néanmoins, le changement climatique n’est pour autant pas le phénomène le plus préoccupant. Et cela, d’autant que le système alimentaire contribue pour 30% des émissions de gaz à effet de serre. Effectivement, dans ce système alimentaire, la production agricole contribue pour 2/3 des émissions de GES.

 

2. La santé

Le surpoids et l’obésité, ne cessent d’augmenter dans les pays développés (Amérique du Nord, Europe, Australie, etc.). Ils sont également accentués par les modifications d’habitude alimentaire. La dimension sociale des troubles alimentaires amplifie aussi ces phénomènes (anorexie, troubles du comportement). Par conséquent, les intoxications alimentaires constituent, pour leur part, une bombe à retardement dans les pays du sud.

 

3. La dimension sociale

L’insécurité alimentaire, la sous-nutrition, et l’érosion de la diversité culturelle et des patrimoines alimentaires, sont les nouveaux avatars du système alimentaire industriel.

 

4. Le volet économique

Les risques de paroxysmes climatiques, conséquence des atteintes environnementales, se multiplient. Ainsi, sècheresses ou inondations engendrent à terme, des situations d’instabilité économique. Dans un tel contexte, la sécurité alimentaire s’avère donc fragile. Et, Nicolas BRICAS de conclure rapidement : « Attachez vos ceintures, on est entré dans une zone de turbulences ».

 

5. La gouvernance

Du fait de la position dominante d’oligopoles alimentaires et de multinationales, le système alimentaire industriel présente un fonctionnement opacifié, par des prises de décisions qui échappent aux consommateurs. Nicolas BRICAS commente ensuite un tableau rassemblant une multitude marques de produits alimentaires, contrôlées par une dizaine de sociétés alimentaires mondiales ! Ainsi, ces dernières s’assurent en permanence par des actions de lobbying, que les politiques publiques ne contrarient pas leurs activités. Ces positions dominantes sont de plus abusives du fait de l’impunité dont elles jouissent parfois (usage massif des pesticides, etc).

 

Quelles voies d’action pour « préparer le coup d’après » ?

 

Pour Nicolas Bricas, tous ces enjeux de durabilité appellent donc des mesures correctives pour réformer le système alimentaire industriel. Ce dernier est d’ailleurs lui-même conscient des critiques qui lui sont adressées. « Il est très attentif à ces critiques, car ces dernières le nourrissent de réponses pour y répondre ».

Pour cela, deux principales voies sont envisagées par les tenants du système actuel :

 

1.L’optimisation de l’usage des ressources.

Il s’agit ici de promouvoir des solutions apportées par la haute technologie comme :

  • l’agriculture de précision,
  • l’usage de drones,
  • les innovations multiples.

Elles doivent permettre de réduire les impacts négatifs du système industrialisé.

 

2. L’économie numérique collaborative.

Celle-ci imagine de nouveaux modes de consommation et de distribution pour répondre aux attentes contemporaines des consommateurs :

  • l’offre de protéines végétales,
  • l’analyse des big data,
  • le ciblage et l’aide au choix,
  • la commande internet et la livraison (click and collect),
  • la blockchain (régulation des transactions avec bitcoin).

Ces deux voies privilégient ainsi une tendance à l’individualisation.

  1. D’une part, une individualisation de la plante pour des itinéraires techniques ultra-précis.
  2. D’autre part, une individualisation du consommateur en fonction de ses goûts et attentes alimentaires.

Face à ces hypothèses, des voix s’élèvent pour revendiquer néanmoins une 3ème voie.

 

La distanciation comme facteur d’évolution des rapports à l’alimentation

 

Pour Nicolas Bricas, une distanciation s’est opérée depuis longtemps, avec l’évolution des sociétés et des organisations humaines. Etymologiquement, la distanciation, c’est “le fait de créer une distancer entre soi et la réalité”. Il distingue à cet effet plusieurs phénomènes :

 

La distanciation géographique

« Plus la ville grossit et plus la distance géographique s’accroit ».

Dès lors, la surface agricole pour nourrir une ville détermine une perte de vision de la production chez le citadin, mais aussi du mode de production. Le consommateur urbain ne connait plus les processus de production.

 

La distanciation économique

On est passé progressivement de l’autoconsommation aux circuits de commercialisation multipliant les intermédiaires, pour réaliser des économies d’échelle.

 

La distanciation cognitive

On perd de vue la connaissance du produit, du producteur, de son mode de fabrication ou encore des conditions de travail du producteur.

 

La distanciation sensorielle

Pour apprécier les qualités gustatives d’un aliment, tous les sens sont mobilisés habituellement par le mangeur : l’ouïe, l’olfaction, le toucher, le goût et la vue. Cette dernière a pris une prédominance avec le conditionnement et l’emballage des aliments dans le système actuel . La lecture d’une étiquette est souvent le critère de choix le plus évident.

 

La distanciation sociale

Auparavant, « l’alimentation était un allant de soi », un fait d’habitudes alimentaires (“le poulet du dimanche”). Cette norme sociale a tendance à s’effacer au profit de choix personnels, individualisés face à une abondance d’offre.

 

La distanciation politique

Le consommateur a bien moins de prise sur le système alimentaire. Ce dernier relève souvent de décisions d’élites, politique, industrielle et de lobbys.

 

 

La recherche de proximité comme remède absolu à la distanciation ?

 

Tendance au localisme, circuits courts et vente directe, formation dans les cantines, apprentissage démocratie alimentaire, nouveaux prescripteurs (diététiciens, cuisiniers, vegan, influenceurs, etc.). Ce sont autant de manière de réinvestir le champ de la proximité.

Pour autant, la relocalisation de l’alimentation ne répond pas forcément à l’exigence de durabilité, à plus d’un titre :

  1. « La distance ne nous dit rien sur les conditions de production », sur le caractère “vertueux” de l’alimentation saine, durable ;
  2. Le transport n’est responsable que d’une part limitée des émissions des gaz à effet de serre (GES). Les circuits courts peuvent conduire à des aberrations liées à un manque d’optimisation logistique. « Il est absurde de faire rouler un camion à vide » ;
  3. « Les villes se sont construites historiquement sur la maitrise de l’échange à distance, en se situant au carrefour de voies de communication, en bordure d’un fleuve, etc. » ;
  4. L’autonomie alimentaire des grandes villes est une illusion ;
  5. La pensée intuitive selon laquelle « c’est proche donc c’est durable » peut être battue en brèche par certaines analyses fines. L’agneau de Nouvelle-Zélande contre l’agneau du Larzac ! ;
  6. Localiser c’est prendre des risques en matière d’approvisionnement. « Les villes qui réussissent le mieux ont bien souvent des stratégies de diversification » ;
  7. Le localisme revêt parfois une forme de repli sur soi, une vision idyllique. Il prône une alimentation “authentique”. Ce faisant, il sert parfois d’argument facile pour les tenants d’une forme d’identité française isolationniste (voire souverainiste) ;
  8. L’alimentation comme un support fondamental de l’apprentissage des interactions sociales ne doit pas être l’oubliée de la démarche locale.

 

L’addition d’actions individuelles responsables, comme réponse aux dérives du système industrialisé ?

 

Force est, de constater la multiplication d’initiatives, de pratiques individuelles, qui témoignent d’un souhait de « préparer l’après ». « Nos choix responsables vont orienter le système ».

 

L’évolution de la demande sociale dans les cantine

Celle-ci pousse ainsi les maires à proposer une offre de produits biologiques. La mobilisation des citoyens interpelle également les chefs d’entreprise. L’enjeu étant de réduire les plastiques ou de proposer une offre alternative. Cette prise de responsabilité individuelle donne le sentiment d’avoir un certain pouvoir et d’agir.

 

La surabondance de messages contradictoires

Toutefois, il existe un trop plein de messages contradictoires, qui développent alors une « cacophonie alimentaire ». Elle suscite également une angoisse des mangeurs, accrue par le traitement régulier du sujet par les médias.

La surenchère de l’offre de labels, des effets de rumeur, de manipulation, brouillent le message pour le citoyen non averti. Ainsi, celui-ci développe des réactions de défiance et de culpabilité. Ceci bouleverse alors tout le bon sens commun sur l’alimentation durable.

 

La richesse constitue la base du pouvoir alimentaire

Le dernier reproche est également adressé à la prise de conscience individuelle qui instaure une forme de « ploutocratie alimentaire ». Ce sont les consommateurs les plus riches qui détiennent le pouvoir de piloter le système alimentaire durable. La confiscation du débat alimentaire par les bobos ne laisse plus de place à la voix des plus démunis, pour savoir quoi manger, comment manger.

 

Inventions de possibles, expérimentations d’alternatives mobilisatrices face au sentiment de déprise : tout cela constitue la première étape de reprise en main de son alimentation au-delà de la consommation responsable.
Mais elles apparaissent pour Nicolas Bricas comme autant de passes d’armes, de « muletas du torero ». Le chiffon rouge pour que le torero fonce dedans, et pas dans le toréador ! Ainsi, en se multipliant, elles ne seraient guère selon lui, qu’un nouvel alibi pour « éviter de changer le système ». On mettrait en avant des initiatives pour éviter de vraiment traiter le problème.

 

L’impulsion politique pour faire bouger les lignes

 

Pour le chercheur, l’accumulation des initiatives individuelles ne suffira pas à faire évoluer le système alimentaire industriel vers un modèle d’alimentation durable.

 

L’exemple du pacte de Milan

Nicolas BRICAS évoque ainsi le pacte de Milan – dont l’édition 2019 s’est tenue à Montpellier – fédère près de 200 villes engagées dans une alimentation durable. Reconnaissant le caractère inspirant et innovant de ces démarches urbaines, il interroge néanmoins les modalités d’un véritable changement du système alimentaire mondialisé actuel.

« En attendant, qui a le pouvoir de changer le système, réellement ? » Pour lui, le levier d’action, « ça reste la politique agricole du pays, la politique agricole commune et… la stratégie des multinationales ! ».

En effet, le système déploie des capacités d’adaptation, de captation des initiatives pour les utiliser à son (bon) compte. Il cite l’exemple des AMAP dont le fonctionnement a vite été analysé et digéré par la « Ruche qui dit Oui ». Cette société privée a recyclé le principe des AMAP en informatisant et proposant une formule de franchise.

 

Le rôle des responsables politiques

Pour espérer avoir prise sur les politiques publiques, le chercheur invite les acteurs à interpeller les responsables politiques.

« Un député, c’est son boulot d’écouter ses concitoyens. Sa tâche est également de faire porter leur point de vue dans les sphères décisionnelles ». « Même si elles sont absolument nécessaires pour inventer des possibles, on ne peut pas compter sur les initiatives individuelles pour changer la face du monde ». Se battre sur le plan politique et profiter des prochaines échéances électorales (régionales en 2021, présidentielles en 2022) est nécessaire. « C’est là qu’on va pouvoir peser ».

« Il faut réhabiliter la nécessité de penser au changement d’échelle. Peser sur les vrais acteurs qui font le système alimentaire aujourd’hui est indispensable ».

 

Les PAT

Enfin, Nicolas Bricas estime que les PAT ne remettent pas fondamentalement en cause la PAC.

« Leur plus-value est éminemment politique. Il faudrait qu’un mouvement collectif des PAT s’organise dans une dimension revendicative, politique. L’objectif est qu’il devienne une véritable force de proposition » face aux décideurs gouvernementaux et économiques.

 

Vous souhaitez en savoir plus ?

Retrouvez la conférence complète et une interview de Nicolas Bricas sur le site de la Chaire Unesco Alimentations du monde.

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