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Logistique des circuits courts : “Les relations entre les individus, c’est l’une des clés de succès pour les plateformes.”

Publié le 08/04/2022
Temps de lecture : 3 min
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Docteure en géographie, Céline Raimbert est intervenue dans le cadre du cycle organisé par Pays et Quartiers de Nouvelle-Aquitaine sur la logistique des circuits courts (lien). Elle a notamment accompagné trois collectifs logistiques des Hauts-de-France, dans le cadre du programme Colcicca. Elle partage son analyse de ces différentes expériences.

1/ Le terme “plateforme” recouvre une grande diversité d’activités, de modes d’organisation et de modèles économiques. Pouvez-vous nous présenter les différents projets que vous accompagnez ? 

 

Les Paysans du Grand Hainaut était une plateforme d’approvisionnement pour la restauration commerciale, mais surtout collective. Elle s’organisait autour d’un outil numérique et réunissait une dizaine de producteurs. Cette plateforme n’existe plus aujourd’hui mais elle illustre bien les problématiques rencontrées lorsqu’un outil se consacre exclusivement ou majoritairement à la restauration collective.

Les deux autres projets que j’ai accompagnés dans le cadre de Colcicca, étaient Le Drive fermier du Montreuillois et LeCourtCircuit.fr. Là nous sommes plutôt sur des paniers pour les particuliers avec une organisation en points de retrait et des plateformes de rassemblement. Le premier travaille exclusivement sur un territoire, le Montreuillois, avec 30 producteurs et cinq points de retrait, dont un qui sert de plateforme de regroupement et de dispatch. Tandis que LeCourCircuit.fr est une organisation beaucoup plus grande. Elle intervient sur tout le Nord-Pas-de-Calais et travaille avec environ 200 producteurs. Ce qui fait que son organisation se fait par secteurs géographiques. On y retrouve des mini-plateformes, une pour le sec et une pour le froid, systématiquement, qui vont approvisionner des points de retrait. Ces deux projets fonctionnent plutôt bien.

Plus récemment j’ai accompagné un autre collectif, en Belgique en Wallonie, qui s’appelle 5C. Cela signifie Collectif de coopératives citoyennes pour les circuits courts. C’est une fédération de coopératives de distribution qui réunit environ 35 organisations qui font du circuit court. 5C est en train d’organiser une logistique entre ces organisations à des échelles sous-régionales qu’elle a elle-même définies. C’est un cas intéressant d’emboîtement d’échelles avec des logistiques locales, sous-régionales, et dans le futur, régionales.

 

2/ D’après ce que vous avez pu observer auprès de ces collectifs, quelle est la première étape pour mettre un projet de plateforme sur de bons rails ?

 

Je pense qu’il faut commencer par se demander “quel est le besoin du territoire et de ses acteurs, et comment peut-on y répondre d’un point de vue logistique ?”.

Ensuite c’est primordial d’identifier les ressources qui existent déjà . À commencer par les réseaux de producteurs. Quand on veut créer une plateforme de toute pièce avec des personnes qui ne se connaissent pas, le niveau de confiance risque d’être assez bas, les liens sociaux vont êtres peu forts. Ca a été le cas des Paysans du Grand Hainaut. Les producteurs n’avaient pas de liens entre eux à l’origine, et ont rencontré de réelles difficultés à travailler ensemble, à se mettre d’accord sur la répartition des coûts et des tâches.

Parmi les ressources déjà existantes il y a aussi les infrastructures. Développer une plateforme ça ne veut pas forcément dire acheter un local avec du stockage. Mon premier conseil c’est de ne pas mener de surinvestissement dès le départ. Il vaut mieux s’appuyer sur des infrastructures qui représentent peu voire pas d’investissements. Elles peuvent être disséminés à différents endroits du territoire pour peu que l’on développe une cohérence. C’est ce que fait LeCourtcircuit.fr. Certains points de massification sont des ateliers de transformation chez des producteurs engagés, des granges servent d’espaces de stockages pour préparer les paniers une fois par semaine, des producteurs mettent à disposition leur chambre froide les jours de livraison.

 

3/ Parmi ce qui “existe déjà”, il y a aussi les livraisons, et les tâches liées à ces livraisons, assurées par les producteurs.

 

Effectivement, c’est important d’identifier les flux, de savoir comment ça circule. C’est ça la logistique : des flux qui circulent. Et c’est bien ce qui est coûteux. C’est donc en faisant des calculs des coûts logistiques que l’on peut fixer des minimums de commande.

Avec l’Université Gustave Eiffel et le Cerema nous avons conçu Logicoût, un outil de calcul des coûts logistiques, qui est en ligne et gratuit. Il prend en compte le coût et le type du véhicule, l’amortissement, ou encore le volume transporté. On peut aussi y intégrer les tâches logistiques pour avoir le coût en temps. Logicoût permet aussi de faire des simulations de tournées et de calculer les émissions de gaz à effet de serre. Nous avons également développé une valide pédagogique qui présente des méthodes et des mises en pratique pour mettre en place des organisations logistiques collectives.

 

4/ Quels conseils donnez-vous pour concevoir une organisation logistique ?

 

La première question c’est quelles sont les tâches à mutualiser ? Ce qui va entraîner la question de “avec qui on travaille ?”. Si les acteurs se connaissent mal, s’il y a beaucoup de facilitateurs et peu d’opérationnels, ça peut poser des difficultés.

Dans le cas des Paysans du Grand Hainaut, c’était un projet impulsé par la DRAAF et le département du Nord qui avaient fait un appel à l’ensemble des producteurs de la région. Sauf que les producteurs qui se sont manifestés étaient là pour des raisons diverses et n’avaient pas beaucoup de temps à consacrer. Au départ le collectif a pu s’appuyer sur un lycée agricole qui gérait une bonne partie des tâches logistiques pour l’ensemble des producteurs. Mais suite à la suppression des emplois aidés, le lycée agricole a dû se séparer de la salariée qui gérait ces tâches. La plateforme qui devait mutualiser est alors devenue une plateforme qui servait de carnet d’adresses pour les producteurs qui allaient livrer en direct.

Derrière tout ça, il y a la question du territoire, à quelle échelle on veut travailler. Sachant que chaque territoire va avoir des contraintes spécifiques. Dans le cas des Paysans du Grand Hainaut on était sur un territoire rural, éclaté, et en déprise. Les clients n’avaient pas beaucoup de moyens financiers. C’étaient des petites communes donc des petits volumes. Ces difficultés supplémentaires expliquent en partie l’échec de cette organisation.

Cela ne veut pas dire qu’il faut privilégier les territoires très maillés. Mais parfois, il est préférable de redéfinir un territoire cohérent d’un point de vue logistique, et non du point de vue des acteurs publics. Ce territoire peut s’élargir au fur et à mesure de la consolidation logistique et de la viabilité économique. C’est ce qui s’est produit pour le Driver fermier du Montreuillois et LeCourtCircuit.fr.

 

5/ Une plateforme qui se monte pour approvisionner la restauration collective est-elle pérenne ?

 

La restauration collective n’est pas la meilleure porte d’entrée parce qu’il y a beaucoup d’incertitudes, une irrégularité, des volumes parfois modestes, et des contraintes sur les prix. À mes yeux, ce n’est donc pas le premier débouché à privilégier. Sauf si on a des engagements forts des acteurs publics. C’est-à-dire des marchés publics avec des engagements sur des achats, des volumes, sur au moins deux voire trois ans.

La restauration commerciale n’est pas non plus évidente parce que la fragmentation des flux y est extrêmement forte. Il faut organiser des livraisons complexes pour des restaurateurs qui ont des volumes faibles

En Belgique, avec 5C, j’ai constaté que les coopératives de distribution ont fait du BtoC au départ, puis du BtoB, notamment à travers des activités de grossistes. Elle commencent seulement maintenant à travailler avec la restauration collective, et elles se rendent compte des contraintes de ce débouché.

 

6/ A travers tout ce que vous expliquez, on constate que la gouvernance est la clé de voûte d’une organisation logistique.

 

Dans la logistique des circuits courts, le premier levier d’optimisation, c’est faire de la logistique collective, donc de mutualiser. Cela implique de la coopération entre des acteurs qui peuvent être concurrents ou avoir des intérêts divergents. Réfléchir tôt à la gouvernance est donc fondamental.

Les chartes permettent de favoriser l’engagement et d’homogénéiser les valeurs. Travailler sur l’équité entre les acteurs est aussi primordial. Les opérations logistiques ont des coûts économiques et représentent des risques qui impliquent des responsabilités importantes. Dans notre valise pédagogique, nous donnons des conseils pour mettre en place des systèmes de compensation. Le but c’est que certains n’aient pas l’impression que leur engagement leur coûte plus que ce qu’il leur rapporte. Et aussi de réguler dans le cas de ceux à qui l’engagement coûte peu, mais rapporte beaucoup.

De la même façon, lorsque les acteurs publics sont engagés, c’est important de réguler leur position. On l’a vu dans le cas des Paysans du Grand Hainaut.

Il ne faut pas attendre que les conflits émergent pour traiter les questions de régulation de la concurrence, de la répartition des coûts le long de la chaîne. Il vaut mieux les traiter dès le départ, tout en ayant une capacité de réadaptation. Les règles peuvent changer au fur et à mesure que le collectif prend de l’ampleur, que l’on s’ouvre à de nouveaux débouchés, de nouveaux producteurs, de nouveaux acteurs.

Enfin, il faut savoir que le fait de gérer des opérations logistiques, donc des tâches opérationnelles, cela facilite la mise en place de la gouvernance. Très rapidement on est obligés de dire qui fait quoi, ça coûte quoi à qui. Etre dans le concret, ça favorise l’engagement et la confiance entre les acteurs. Les relations entre les individus, c’est clairement l’une des clés de succès pour les plateformes.

 

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