
Politique de la ville et participation citoyenne, une dynamique renouvelée ? Retour sur la Rencontre régionale du 21 mars 2025, à Bègles (33)
Le vendredi 21 mars dernier, PQN-A a réuni une diversité d’acteurs venant de différents territoires de Nouvelle-Aquitaine (agents des collectivités territoriales, agents des services de l’Etat, élus locaux, associations, conseillers citoyens…), afin d’échanger, de s’inspirer et de repartir avec des solutions concrètes pour faire vivre la participation citoyenne en continu dans les quartiers prioritaires. Cette journée s’est déroulée au sein du Centre social et culturel de Bègles (33), avec le soutien de la Ville de Bègles.
Les gens n’écoutent pas les réponses aux questions qu’ils ne se posent pas. Sachons partir de leurs préoccupations pour co-construire la ville de demain.
Contexte
Les territoires de Nouvelle-Aquitaine concernés par la nouvelle géographie prioritaire ont signé en 2024 une nouvelle génération de contrats de ville qui tracent des perspectives stratégiques et opérationnelles pour les acteurs de la politique de la ville. Dans ce cadre, la participation citoyenne reste un des fondements de la politique de la ville. Elle consiste à la fois à associer les habitants à l’élaboration et au suivi des contrats et à développer une méthode permettant d’atteindre un objectif d’émancipation individuelle et collective.
Si la participation est un mode de faire éprouver depuis longtemps en politique de la ville, elle continue à réinterroger la manière de conduire les politiques publiques et oblige les acteurs, en particulier les élus, à penser et agir différemment.
L’actualité politique et institutionnelle sur la participation citoyenne invite à repenser les modes de faire, à réinterroger les intentions et les cadres d’action de la participation des habitants des quartiers politique de la ville. En effet, un décret du 17 novembre 2024 du Premier ministre renforce l’obligation de participation des habitants des quartiers politique de la ville et sa mise en œuvre effective, à travers plusieurs éléments :
- Il réaffirme le rôle central des conseils citoyens dans chaque quartier politique de la ville,
- Il confirme l’attribution de moyens financiers étatiques spécifiques dédiés à la mise en œuvre de la participation citoyenne,
- Il élargit et assouplit le recours à différents modes de participation des habitants.
I - Conférence inversée
Voici une synthèse des principaux questionnements et des réponses apportées lors de la conférence inversée animée par Patrick Norynberg, spécialiste sur le sujet de la participation des habitants et consultant en politiques publiques :
A. Les principaux questionnements
1. Échec des tentatives de participation citoyenne
- Problématique : malgré les efforts des associations, des habitants et des élus, les initiatives de participation citoyenne n'ont pas fonctionné dans certains quartiers.
- Question : pourquoi ces initiatives échouent-elles malgré les efforts déployés ?
2. Crise démocratique et frustration des habitants
- Problématique : les habitants ressentent une frustration due à un recul de l'expression démocratique et à la stigmatisation de certaines catégories.
- Question : comment répondre à cette attente forte des habitants et valoriser leurs compétences cachées ?
3. Injonction à la participation citoyenne
- Problématique : les citoyens craignent d'être instrumentalisés et de ne pas être écoutés.
- Question : comment éviter l'infantilisation et assurer un retour sur les contributions des citoyens ?
4.Équité et sentiment d'abandon
- Problématique : les citoyens perçoivent une inégalité de traitement (ex : ascenseurs réparés dans certains endroits et pas dans d'autres).
- Question : comment assurer une perception d'équité parmi les citoyens ?
5. Défiance envers les institutions
- Problématique : perte de confiance envers les institutions politiques.
- Question : comment restaurer cette confiance ?
6. Formation des conseillers citoyens
- Problématique : besoin de plus de formation et de méthodes communes pour les conseillers citoyens.
- Question : comment améliorer la formation et l'uniformité des méthodes ?
B. Les réponses apportées par Patrick Norynberg
1. Principes fondamentaux de la participation citoyenne
- La participation citoyenne est un droit inscrit dans la constitution française.” Le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple” (cf. également l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la charte de l'environnement de 2004).
- Importance de la cohabitation de la démocratie représentative ET de la démocratie directe pour le bon fonctionnement d’une société.
- La citoyenneté accomplie repose sur trois piliers : politique, économique et sociale.
2. Obstacles à la participation
- Peurs,
- Sentiment d'inutilité,
- Sentiment d'impuissance,
- Isolement des publics,
- Se sentir illégitime,
- Mais également un contexte général qui n’est pas favorable : la représentation et la délégation de pouvoir, le modèle du sachant et du non-sachant, la défiance réciproque, le repli sur soi et l’ individualisme, la société de consommation exacerbée, le tout, tout de suite, l’immédiateté, le zapping…
- Et parfois, le temps du projet car le temps de l’attente est souvent le temps du découragement.
3. Facteurs de réussite de la participation
- L’information préalable, pas de démocratie sans information partagée ! Le diagnostic participatif, le retour sur les contributions des habitants (droit de suite) et l’évaluation participante.
- Une participation authentique est une démarche qui doit permettre à chacun de : prendre part, donner sa part, recevoir sa part et faire sa part.
4. Posture
- La participation citoyenne est un processus d'éducation populaire, une aventure humaine : «le but de la société c’est le bonheur commun » ;
- Cela nécessite un langage adapté et compréhensif, des compte rendu systématiques, des réponses aux questions posées et oser faire exister les controverses ;
- Nécessité de partir des préoccupations des citoyens pour conduire des processus participatifs : “Je cherche donc j’apprends !” ;
- La participation citoyenne nécessite du temps et de la confiance ;
- Importance de l'écoute, de la transparence et de la cohérence entre les paroles et les actes ;
- Accueillir les habitants comme on accueillerait sa famille ou ses amis à la maison.
5. Droits des participants au sein des instances participatives
Droit à l’information, droit à proposer, droit à pouvoir co-construire les solutions.
6. Résilience et priorités des habitants
Les habitants sont capables de résilience et leurs priorités incluent aussi bien les besoins fondamentaux que les besoins culturels et sociétaux par exemple. Il s’agit donc d’adopter une logique de réponse à “tous les besoins en même temps” et non pas une logique de “un besoin après l'autre”.
7. Indicateurs d’une participation citoyenne réussie
La confiance partagée et le bien-être personnel et collectif sont des indicateurs clés de la réussite de la participation citoyenne.
C. Conclusion
La participation citoyenne est un processus complexe qui nécessite du temps, de la confiance et une posture adaptée. Les réponses apportées soulignent l'importance de l'éducation populaire, de la transparence, de l'écoute et de la reconnaissance des contributions des citoyens. Les défis incluent l’acceptation d’agir et de travailler sur un temps long et de l’imperfection (inhérente au fonctionnement de groupes humains), la formation des conseillers citoyens, la perception d'équité et d’utilité (droite de suite). La restauration de la confiance envers les institutions est à ce prix.
Ressources
II. Des exemples de démarches participatives inspirantes menées par deux élues locales
Aurélie Mézière et Alexandra Besnard sont deux élues locales qui mettent en œuvre des projets à leur échelle de territoire afin de faire vivre la participation citoyenne et impliquer les habitants dans les décisions publiques et politiques qui les concernent directement. Ces deux témoignages soulignent le rôle essentiel de la mobilisation des élus locaux dans le portage d’actions inhérentes au processus de démocratie participative.
1. Aurélie Mézière, maire de Plessé (Loire-Atlantique)
- Contexte
Aurélie Mézière est maire de Plessé depuis 2020, une commune rurale de 5 400 habitants en Loire Atlantique (44). Depuis 2020, l’équipe municipale de Plessé a développé une série d’outils et d’actions afin d’améliorer le lien entre institutions publiques, vie politique et habitants.
- Objectif du projet
Remettre le citoyen au cœur de la vie publique, qu’il puisse participer à de nombreux étages de la fusée de la participation.
- Déroulé du projet
Mise en place des “comités consultatifs” composés d’élus et d’habitants, ouverts à tous dès 14 ans, sans nombre d’habitant limité. Afin de clarifier le rôle des citoyens dans ces instances, la Charte du Volontaire Investi (les “VIP”) a été co-construite entre la municipalité et les Plesséens. Dans ces comités, on peut à la fois discuter des affaires courantes ou bien des grands projets structurants. Les sujets sont ensuite votés en conseil municipal, qui reste souverain. Cependant, les VIP peuvent intervenir. Une boîte à outils pour aller vers les citoyens a été établie, notamment à travers le tirage au sort. Aléatoirement, quinze femmes et quinze hommes sont tirés au sort sur les listes électorales ; chacun reçoit une invitation personnalisée par Madame la Maire pour rejoindre une session du conseil municipal. Ils peuvent s’exprimer en fin de conseil sur des sujets d’intérêt général. Les Plesséens sont plutôt réceptifs, puisqu’en moyenne 4 à 5 personnes répondent à l’appel et certaines rejoignent par la suite les comités consultatifs. Cette démarche est fondée sur la conviction que les habitants apportent de nouvelles connaissances, de nouvelles compétences et surtout une expertise d’usage.
- Conditions de réussite
Pour que ce système fonctionne, il est impératif de poser un cadre défini. Comme le rappelle Aurélie Mézière, plus la décision est partagée, plus les règles doivent être précises, les habitants doivent savoir à quel moment ils participent, pourquoi et qui prend les décisions in fine.
- Limites du projet
Les conseils municipaux sont ouverts à tous, mais beaucoup d'habitants l’ignorent ou s’y sentent illégitimes. Le climat institutionnel peut les intimider, ce qui explique qu’il y ait toujours les mêmes personnes dans les comités consultatifs et les conseils municipaux.
- Ressources
- Projet municipal de la ville de Plessé
- Le fonctionnement des comités consultatifs de la ville de Plessé
2. Alexandra Besnard, maire adjointe de Poitiers
- Contexte
A Poitiers, en 2021, la participation citoyenne s’est invitée au cœur d’un projet inédit : la construction d’un Plan numérique responsable, via un outil, la Convention citoyenne pour le numérique responsable. Alexandra Besnard, adjointe à la maire de Poitiers, en charge de l’éducation populaire, des maisons de quartier et du numérique responsable, trois sujets aux liens forts, a co-porté cette démarche dans un contexte particulier, celui du déploiement de la 5G en France. Alors que plusieurs élus s’étaient mobilisés autour d’un moratoire contre la 5G - que la Ville avait soutenu - ils se sont heurtés au constat que ce sujet n’était pas de la compétence de la municipalité, mais de Grand Poitiers. L’équipe a donc recentré son attention sur le Plan numérique responsable qu’elle avait inscrit dans son programme de campagne.
- Objectifs du projet
L’ambition était double : d’une part, permettre aux habitants de mieux comprendre les enjeux du numérique ; et d’autre part, leur donner les moyens de fixer collectivement des règles et des usages en matière de numérique responsable.
- Déroulé du projet
Trente personnes ont été recrutées pour participer à cette Convention citoyenne pour un numérique responsable : dix volontaires, dix tirés au sort et dix personnes dites éloignées du numérique, repérées grâce aux associations locales. Elles se sont réunies sur six samedis au cours desquels elles ont bénéficié de formations et d’ateliers de sensibilisation menés par des experts et des services de la ville. Ces séances ont porté sur des questions d’inclusion numérique, de numérique écologique et de démocratie numérique. A l’issue de ces formations, les citoyens ont participé plus activement grâce à des facilitations graphiques, des débats mouvants ou encore des ateliers de travail au format “world cafés”. Ces travaux ont abouti à une quarantaine de propositions parmi lesquelles vingt-cinq ont été retenues. En mars 2022, le plan a été délibéré en conseil municipal où les participants ont pu intervenir et témoigner de leur expérience. Aujourd’hui, le projet est lancé et la municipalité s’est engagée à tenir un rendez-vous annuel de revoyure avec les participants et elle leur transmet une infographie des actions menées pour qu’ils restent engagés au cœur du processus.
- Conditions de réussite
- Enoncer et poser dès le départ de façon claire et précise les règles du jeu de sélection des propositions réalisées par les participants : les propositions sont sélectionnées au regard de trois critères que sont la faisabilité technique, le coût financier et la cohérence politique ;
- Respecter l’engagement et la promesse politique pris vis-à-vis des habitants ayant participé à la convention citoyenne en rendant compte au fil du temps des avancées et des suites du projet sur le temps long, afin de redonner du sens à l’action publique et politique et redonner confiance aux citoyens envers les institutions ;
- Mettre en place un système d’indemnisation des participants (ici, à hauteur de 250 euros par personne) ;
- Garantir le retrait/ la mise en recul des responsables politiques à l’origine de la démarche durant les temps de participation des habitants.
- Partenariats
- La Ville a bénéficié d’un accompagnement extérieur via un cabinet spécialisé pour mener cette démarche de convention citoyenne.
- La Commission nationale du débat public (CNDP) a suivi de près la démarche en étant présente aux côtés de la Ville afin de garantir l’impartialité de la démarche engagée.
- Grand Poitiers.
- Des associations locales ont été associées à la démarche, en tant qu’ acteur de médiation sociale, afin d’aller chercher les personnes éloignées du numérique pour établir un lien de confiance avec elles et les faire participer.
- Limites du projet
- L’exigence requise par la mise en œuvre d’une démarche de convention citoyenne représente le défi majeur de ce projet, celle-ci impliquant de grandes précautions et une charge de travail considérable tout au long du projet (en matière de formation au respect du cadre de la démarche de convention citoyenne, de conception d’animation …).
- La co-construction entre les acteurs institutionnels et l’articulation entre collectivité et intercommunalité a également été source de difficultés, notamment sur le plan du partage des compétences.
- Ressources
- Convention citoyenne pour le numérique responsable, ville de Poitiers
III. Atelier des solutions “Quelles propositions imaginer pour faire vivre la participation citoyenne en continu dans la politique de la ville ?”
Durant cette journée, les participants ont travaillé collectivement afin de répondre à la question suivante : quelles propositions imaginer pour faire vivre la participation citoyenne en continu dans la politique de la ville ?
Au cours de la journée, plusieurs points sont revenus dans les discussions entre les participants , les voici :
- Le besoin de vulgarisation/simplification des processus participatifs,
- Le souhait de réconcilier élus et habitants,
- L’importance de la pédagogie, l’écoute et l’inclusivité,
- La valorisation de l’engagement (rétribution, reconnaissance, accompagnement),
- L’envie de renouveler les méthodes (dynamiser les conseils citoyens, mixer les publics, favoriser la proximité, indemnisation).