Les intervenantes de la web-conférence
- Marie-José Sallaber, élue déléguée à la politique de la ville à la Ville de Lormont (33)
- Véronique Abelin-Drapron, élue déléguée à la politique de la ville de Saintes Grandes Rives, l’Agglo (17)
- Manon Loisel, consultante associée au sein du cabinet Partie Prenante, enseignante chercheuse à Sciences Po Paris (75)
Comment et pourquoi devient-on élu.e à la politique de la ville et pourquoi est-ce important d’avoir des élus en charge de cette politique publique ?
Les élus à la politique de la ville sont généralement peu visibles avec des profils souvent militants, bénévoles, issus de l’éducation populaire et qui accordent une place importante au travail de terrain. La grande particularité de ces élus tient par ailleurs au fait qu’ils ont davantage de difficultés à faire entendre leurs revendications ou celles des quartiers par manque de pouvoir. En effet, les quartiers prioritaires ont de très faibles taux de participation aux scrutins électoraux avec des taux d'abstention records. Les élus à la politique de la ville ont ainsi peu de pouvoir lors d’arbitrages, de part leur faible électorat, ce qui crée, de fait, des difficultés de portage politique. La mission des élus en charge de cette délégation est de porter la voix de ces habitants qui ne votent pas et qui ne s’expriment pas dans les canaux institutionnels de la politique de la ville et qui sont donc, moins représentés.
Des profils variés d'élu(e)s
Marie-José Sallaber
Marie-José Sallaber est militante depuis sa jeunesse et porte des valeurs de liberté et de respect de l’autre dans sa dignité, dans sa diversité et dans sa culture. Après un long parcours professionnel dans le milieu culturel, son militantisme politique et les valeurs qu'elle porte l'amènent à devenir élue déléguée à la politique de la ville de Lormont en 2020. La ville de Lormont, située sur la rive droite de la métropole bordelaise, compte 24 000 habitants avec 56% de la population en quartiers prioritaires. Les 3 quartiers, de la ville, Carriet, Alpilles Vincennes / Bois Fleuri et Génicart Est, concentrent de forts taux de chômage et de pauvreté avec une difficulté de mixité sociale. “La diversité des quartiers de Lormont est passionnante mais très complexe.”
Élue de terrain, Marie-José Sallaber déambule régulièrement dans les quartiers de Lormont et lors d'événements (fêtes d’écoles, fêtes de quartiers) ainsi que sur les marchés pour discuter, pour répondre aux questions, pour rassurer, pour ressentir et être disponible auprès des équipes de terrain. Créer du lien avec les habitants est pour elle très important et sa présence permet de faire remonter des problèmes, des constats ainsi que des idées pour les quartiers.
Véronique Abelin-Drapron
Véronique Abelin-Drapron, anciennement bénévole à la Croix-Rouge, a commencé son parcours professionnel en politique de la ville à l’occasion de stages réalisés dans les quartiers prioritaires de la banlieue parisienne au cours de ses années d’études. Par la suite, ses expériences professionnelles l’ont amené à exercer au sein de collectivités territoriales, sur les volets de l'emploi, l'insertion et la vie associative, en lien avec les quartiers. Son engagement s’est ensuite poursuivi en devenant élue déléguée à la politique de la ville de Saintes Grandes Rives, l’Agglo, en 2020. “C’était à la fois un grand honneur et une grande pression.” Le quartier prioritaire de la ville de Saintes, “Boiffiers-Bellevue”, est un quartier très vert, imbriqué dans le reste de la ville, avec de nombreux équipements publics et d'événements organisés. Toutefois, il est l’un des quartiers les plus pauvres de Nouvelle-Aquitaine avec une forte proportion de personnes aux revenus modestes et de nombreuses familles monoparentales.
Également élue de terrain, Véronique Abelin-Drapron arpente régulièrement le quartier avec une forte présence aux événements organisés (fêtes de quartiers, fêtes d’écoles, manifestations) sur le marché, lors des permanences de quartiers ou au conseil d’école. “J'ai besoin d’être sur le terrain pour comprendre la situation et pour m'immerger.” / “Il y a des ressources de résilience dans les quartiers qui peuvent être des exemples pour tout le monde. On y trouve beaucoup d’imagination et d’humour et on s'aperçoit vite qu’il y a de nombreuses opportunités d’expérimentations.”
Le rôle et la place de l’élu dans la gouvernance de la politique de la ville et dans la contractualisation
La politique de la ville, une délégation à part ?
L’élu à la politique de la ville porte une vision et un projet de territoire pour les quartiers prioritaires. Pour mener à bien son ambition, son rôle est de mobiliser les acteurs, d’œuvrer pour la transversalité et de s’assurer de la prise en compte des besoins des habitants des quartiers. Toutefois, la politique de la ville contient des complexités auxquelles les élus ayant cette délégation sont confrontés. Cette politique est en premier lieu très technocratique avec des procédures complexes, des lourdeurs bureaucratiques et une gouvernance partenariale à mettre en place. "On constate également un affaiblissement à l’échelle nationale de cette politique au risque que l’élu à la politique de la ville devienne un élu chargé de la dynamique associative dans les quartiers prioritaires", selon Manon Loisel.
De plus, le sujet de la mobilisation du droit commun à destination de ces quartiers qui concentrent des problématiques particulières n’est pas évidente. Si en théorie, le droit commun doit être mobilisé équitablement sur l’ensemble du territoire, en réalité les quartiers prioritaires en bénéficient moins que les autres. La mobilisation du droit commun est ainsi un défi majeur pour les élus à la politique de la ville avec un questionnement sur la capacité redistributive de l’action publique locale de “donner plus à ceux qui en ont le plus besoin” dans une logique de priorisation en faveur des quartiers prioritaires.
L’élu.e comme cheville ouvrière de la coopération territoriale
La ville de Lormont, située sur la rive droite de la métropole bordelaise, côtoie trois autres communes, Floirac, Cenon et Bassens, qui elles aussi ont une longue histoire en politique de la ville. Ces territoires ont de nombreuses caractéristiques en commun ainsi qu’une habitude de travail en coopération par exemple à travers le GPV Rive Droite (groupement d’intérêt public du Grand Projet des Villes Rive Droite) qui soutient le développement des quatre villes de la rive droite et coordonne leur projet de territoire. Les élus de chaque communes ont ainsi pris le parti de travailler ensemble sur une convention territoriale avec une base commune qui sera la déclinaison locale du contrat de ville métropolitain. “A travers les échanges d’expériences, l’envie de travailler ensemble et de faire avancer les projets ensemble, pleins d’idées d’expérimentations ont émergées. L’idée est d’être plus fort ensemble et de faire communes nos différences pour mieux les défendre à travers cette convention territoriale.” / Marie-José Sallaber
Les nouveaux contrats de ville : des outils engagés et engageants ?
“On ne peut plus se satisfaire de contrats de ville qui soient une addition de grands mots d’ordre sur ce que devraient être les quartiers. Les objectifs doivent être partagés avec des engagements respectifs. Chacune des institutions doit s'engager à mettre des moyens pour atteindre les objectifs. Cette logique partenariale est un processus complexe.” / Manon Loisel
“L’élaboration des nouveaux contrats de ville a permis de réinterroger la politique de la ville et d’associer les habitants à cette démarche. Toutefois, la phase finale de l’élaboration a été plus complexe avec notamment certains points de blocage avec les partenaires du contrat de ville. Le véritable enjeu a été d’obtenir des engagements concrets et écrits de leur part.” / Véronique Abelin-Drapron
“Il y a trois ans, l'organisation interne des services de la ville de Lormont a été modifiée pour favoriser la transversalité entre les services et augmenter les marges de manœuvre. Des pôles thématiques ont ainsi été créés. Cette nouvelle organisation a été très complexe à mettre en œuvre, notamment pour changer les habitudes ancrées de longue date au sein des services." / "Depuis cette réorganisation, on constate une meilleure appréhension des projets et la mise en commun de solutions avec toutefois un manque de fluidité dans la communication qui reste à améliorer. Ce tissage de liens entre les services et le co-pilotage de la politique de la ville avec tous les services et tous les élus de la ville de Lormont permet d'engager tout le monde.” / Marie-José Sallaber
“Avoir différents mandats politiques à l’échelle locale est un véritable atout en politique de la ville. Cela permet d’avoir une vision plus large et de pouvoir agir sur différents leviers plus facilement.” / Véronique Abelin-Drapron
La gouvernance de la politique de la ville est-elle complexe ?
Il y a un décalage entre la faiblesse des moyens de la politique de la ville et la transversalité des sujets et des problématiques auxquelles elle doit faire face. De plus, se mettre à la disposition des autres services sectoriels avec une logique de transversalité est très complexe pour les élus et les techniciens, mais nécessaire pour mener à bien cette politique publique.
Les nouveaux enjeux et les nouveaux défis auxquels sont confrontés les élu(e)s de la politique de la ville
La transition écologique, une priorité majeure des prochains contrats de ville
La transition écologique est une priorité majeure des prochains contrats de ville et un enjeu fort pour les habitants des quartiers prioritaires, davantage victimes des conséquences de la crise climatique et cumulant les fragilités. Les inégalités environnementales mises en évidence par le dérèglement climatiques (exemple : les récents épisodes de canicule) et la prise en compte du défi climatique sont des sujets à saisir pour les prochains contrats de ville. “Les habitants des quartiers prioritaires ont peu de ressources, alors pour eux, il faut qu’elles soient durables. Les quartiers sont sources d’innovation sur ces sujets de transitions.” / "La transition numérique est également un nouveau défi. La surexposition aux écrans sur les plus jeunes (notamment issues des quartiers prioritaires) entraîne de nombreuses conséquences sur leur développement, leur apprentissage et sur leur capacité d’attention et de concentration.” / Véronique Abelin-Drapron
La lutte contre les discriminations, un enjeu difficile à mettre au coeur des projets
La lutte contre les discriminations est un enjeu ancré dans la politique de la ville. Déjà prise en compte dans les précédents contrats de ville en tant que priorité transversale, on constate une difficulté de cette politique à s’emparer du sujet et de remettre la question du respect des droits fondamentaux au cœur de son projet. "L’enjeu actuel est, qu'au-delà des sensibilisations sur le sujet, il y a un travail de réflexion à mener sur les propres pratiques discriminatoires des institutions publiques", rappelle Manon Loisel.
Réinventer la participation citoyenne pour remédier à l’essoufflement des dynamiques participatives
La participation citoyenne est désormais un axe majeur dans les contrats de ville avec la prise en compte systématique de la parole des habitants sur toute la durée des contrats. L’enjeu est de réinventer les modalités des pratiques participatives des habitants et de redistribuer l’écoute pour ne pas toujours entendre la parole des mêmes habitants. Pour cela, il faut multiplier les dispositifs d’écoute à destination de tous les publics et surtout à destination des publics dits “invisibles”.
“Il est préférable de réunir des petits groupes d’habitants et de co-construire des projets sur des thématiques précises afin de les remobiliser.” / Véronique Abelin-Drapron
“Ce qui est essentiel, c’est l’engagement à un moment donné par les habitants et la transmission de cette implication aux nouvelles générations.” / Marie-José Sallaber
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Contactez Laurence Liégeois, Responsable du Pôle Cohésion
07 56 36 28 14 / laurence.liegeois@pqn-a.fr