
Retour sur le webinaire #2 - Lutter contre la précarité alimentaire : le diagnostic et la gouvernance
En 2024, PQN-A a débuté un cycle de qualification sur la lutte contre la précarité alimentaire. Le 14 mai 2025, Pays et Quartiers de Nouvelle-Aquitaine (PQN-A) a organisé son second webinaire dans le cadre du cycle de qualification dédié à la précarité alimentaire. Intitulé « Lancer une démarche de lutte contre la précarité alimentaire sur mon territoire : diagnostiquer et construire une gouvernance des solutions », il a rassemblé élus, techniciens et acteurs associatifs pour répondre à une double question : comment poser un diagnostic territorial pertinent et comment organiser une gouvernance partagée pour agir efficacement ?
Pourquoi ce cycle ?
En cohérence avec son action de centre de ressources, PQN-A est financé par la DREETS dans le cadre du programme Mieux Manger Pour Tous pour accompagner les membres du réseau démarches alimentaires de territoire à structurer leur action en faveur d’un système alimentaire plus durable, juste et accessible. Ce cycle comprend une série de trois webinaires, des publications, et une rencontre et vise à inspirer, outiller et fédérer les acteurs locaux autour d’actions concrètes.
La précarité alimentaire, un phénomène transversal qui continue de s’aggraver.
La précarité alimentaire est multifactorielle : elle touche absolument tous les publics, qu’ils soient étudiants, retraités, familles monoparentales, personnes seules, avec ou sans emploi, et ce sur l’ensemble des territoires, qu'ils soient ruraux ou urbains. Malgré les difficultés pour mesurer ce phénomène, quelques chiffres existent : en 2023, les prix de notre alimentation ont bondi de 14% et 1 français sur 6 déclarait ne pas manger à sa faim (Secours Catholique, 2024). En Nouvelle-Aquitaine, ce sont plus de 300 000 personnes qui dépendent de l’aide alimentaire pour se nourrir et cette précarité continue de s’aggraver (CREDOC, 2023).
Comme le rappelle cet article, la précarité alimentaire est définie par le ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles comme l'incapacité d'accéder à une alimentation suffisante, diversifiée et de qualité. Ce n’est donc pas seulement une question de quantité : cette notion combine des dimensions économiques, sociales, culturelles et territoriales. C’est bel et bien un enjeu transversal qui questionne l’accès aux droits, la dignité, le lien social, et bien sûr le système alimentaire dans son ensemble, c’est-à-dire la façon dont nous produisons les denrées et la façon dont nous nous approvisionnons.
Poser un diagnostic : un levier de mobilisation
Pour rendre compte de la diversité des situations, il est nécessaire de croiser des données aussi bien sur la situation socioéconomique des ménages que des données spatiales de répartition de l'offre alimentaire. Or, Julie Erceau, responsable de projets à l'Agence Nouvelle des Solidarités Actives (ANSA), a rappelé qu’il n’existait pas d’indicateurs à l’échelle nationale comme locale, de consensus et d’indicateurs partagés de mesure de la précarité alimentaire. Les données statistiques nationales, lorsqu’elles existent, ne renseignent que partiellement sur la précarité alimentaire.
A l’échelle nationale, on retrouve quelques études :
- L’étude INCA 3 rappelle que plus de 11% des français sont en situation d'insécurité alimentaire (prisme quantitatif), en 2017
- Le CREDOC souligne que 16% des français déclarent ne pas manger à leur faim
- L'étude ABENA de 2013, qui dit que 2/3 des bénéficiaires de l’aide alimentaire sont en surpoids ou obésité (…) et que plus de la moitié de ces personnes se perçoivent en mauvaise santé.
A l’échelle territoriale, l’ANSA a développé une méthodologie recensée dans une boîte à outils pour mener son diagnostic local de précarité alimentaire. Cette méthodologie comporte plusieurs étapes :
- Analyse statistique via une dizaine d’indicateurs (revenus, composition des foyers, mobilité) qui donne un score en combinant les facteurs.
- Ce score est croisé avec la densité de population et l’offre alimentaire du territoire pour servir de base à la discussion, l’analyse et le développement de priorités d’action à définir à l’échelle du territoire.
- Croisement des données avec le regard des acteurs du système alimentaire et des solidarités. Ces acteurs peuvent être par exemple des acteurs économiques allant des producteurs aux acteurs des grandes et moyennes surfaces ; des acteurs institutionnels relevant du CCAS, du département ou de l’action sociale dans son ensemble ; d’associations du secteur caritatif et de l’aide alimentaire et des personnes concernées. L’objectif de cette étape est de pouvoir aboutir à une vision partagée entre les différents acteurs afin de prioriser les actions à mener pour lutter contre la précarité alimentaire.
Il existe également des outils clefs en main dont peuvent se saisir les territoires pour obtenir une vision d’ensemble comme l’outil Obsoalim, basé sur une méthodologie de caractérisation de la précarité alimentaire à l’échelle des villes et des quartiers. Il utilise des données publiques, en libre accès et disponibles pour l’ensemble du territoire français, permettant d’obtenir des cartes du risque de précarité alimentaire pour tous les départements.
Le diagnostic : détecter les réalités du terrain
Faire un diagnostic, ce n’est pas juste produire des chiffres : c’est mobiliser les acteurs, faire émerger des angles morts, enclencher une dynamique collective. Certains territoires choisissent de mener eux-même leur diagnostic. C’est le cas du Comité du Bassin d’Emploi du Seignanx dont l’expérience a été partagée par Aléna Homo, chargée de mission alimentation et solidarités et référente de la mission d’animation pour le mieux manger (MIAMM).
Cette dynamique est née d’un constat partagé par les acteurs de l’insertion : la précarité alimentaire constituait un frein majeur à l’accompagnement des publics. La démarche a débuté par un état des lieux global du territoire, co-construit avec les structures d’insertion, puis s’est poursuivie avec un diagnostic approfondi des structures d’aide alimentaire sur six mois. L’objectif : identifier les structures existantes, analyser leurs besoins en denrées, et mieux comprendre leurs modes d’approvisionnement pour les rendre plus justes et efficaces.
Ce travail s’est appuyé sur des outils existants et sur une collaboration étroite avec la chargée de mission PAT, qui a apporté une expertise précieuse sur le lien avec les producteurs locaux.
Plusieurs freins ont néanmoins été identifiés :
- Une grande variabilité des données liées à l’approvisionnement, rendant difficile une analyse fiable.
- Un décalage entre les denrées reçues et les besoins réels des publics, obligeant les structures à sans cesse s’adapter.
Ce retour d'expérience a bien montré que le diagnostic ne se résume pas à collecter des données : c’est un processus de coordination, de dialogue et d’ajustement constant, au plus près des réalités de terrain.
Le diagnostic de la précarité alimentaire en quartiers prioritaires
Laurence Liégeois, responsable du pôle Cohésion chez PQN-A, a rappelé que la politique de la ville (PV) vise à réduire les inégalités entre les quartiers prioritaires (QPV) et le reste des territoires urbains. Elle repose sur des contrats de ville, co-pilotés par l’État et les intercommunalités, et mobilise de nombreux partenaires.
Dans les QPV de Nouvelle-Aquitaine, près de la moitié des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, ce qui les rend particulièrement vulnérables à la précarité alimentaire. Pourtant, les contrats de ville abordent rarement cet enjeu de manière explicite : si l’alimentation y est parfois traitée sous l’angle de la santé, de l’environnement ou de l’insertion, la précarité alimentaire est peu documentée et fait rarement l’objet d’un véritable diagnostic. Laurence Liégeois souligne aussi que d’autres dynamiques locales, comme les démarches Quartiers Fertiles, peuvent exister en parallèle sans être visibles dans les contrats. Elle appelle donc à mieux objectiver la précarité alimentaire dans les QPV, à travers des données qualitatives et quantitatives, pour adapter les réponses aux réalités spécifiques de ces quartiers : non-recours à la restauration scolaire, domination de la restauration rapide, faible accès à des commerces de produits frais, freins à la mobilité, etc.
Construire une gouvernance locale : conditions et leviers
1. Il n’existe pas un modèle unique de gouvernance
Julie Erceau (ANSA) a rappelé qu’il n’existe pas un modèle unique de gouvernance pour lutter contre la précarité alimentaire : tout dépend de l’échelle territoriale (commune, intercommunalité, département) et des acteurs déjà engagés. Certains territoires s’appuient sur les CCAS, les Contrats Locaux de Santé ou les PAT, notamment pour des actions logistiques ou d’approvisionnement dépassant les frontières communales.
Elle a présenté plusieurs formes de coordination ayant fait leurs preuves :
- Le collectif “L’Ain pour l’Autre”, qui regroupe une quinzaine d’acteurs (associatifs, DDETS, Conseil départemental) et définit ensemble les priorités d’action (formation des bénévoles, mutualisation des ramasses, etc.).
- La formation-action Alim’activ, qui aide des binômes d’acteurs d’un même territoire à structurer une instance de coordination. Elle allie montée en compétences, appui méthodologique et accompagnement opérationnel sur plusieurs mois.
Mais Julie Erceau a aussi pointé les limites : difficultés à mobiliser certains acteurs clés comme les grandes et moyennes surfaces, souvent absentes des dynamiques collectives.
2. Une gouvernance efficace est à la fois politique, collective et animée : elle repose sur une volonté claire, une pluralité d’acteurs, et une méthode pour faire vivre le collectif.
Aléna Homo, pour sa part, a partagé l’expérience de gouvernance mise en place autour du projet MIAMM dans le Seignanx. Celle-ci repose sur deux niveaux :
- Un comité de pilotage (COPIL) décisionnaire, où sont restitués les travaux menés.
- Des commissions opérationnelles bimensuelles, centrées sur des thématiques précises, qui permettent aux acteurs de co-construire des dispositifs, de tester des outils (comme un flyer d’orientation), et de décider collectivement en fin de séance.
Des outils d’animation ont été mis en place pour garantir une participation équilibrée : régulation de la parole, travail en sous-groupes, obligation que chacun s’exprime au moins une fois, etc.
Enfin, la collaboration avec la chargée de mission PAT du territoire s’est révélée essentielle, notamment sur les enjeux d’approvisionnement, d’identification des producteurs locaux et de structuration de nouvelles filières. Le PAT et le projet MIAMM s’alimentent mutuellement, dans une logique de complémentarité des expertises et des missions.
3. PAT et politique de la ville : des liens qui restent à créer
Sur la question de la gouvernance, Laurence Liégeois a insisté sur un point clé : les articulations entre les Contrats de Ville et les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) sont aujourd’hui trop faibles, alors même qu’elles sont essentielles pour une réponse cohérente à la précarité alimentaire dans les quartiers prioritaires (QPV). Si les PAT sont parfois mentionnés dans les contrats de ville, les coopérations concrètes restent rares.
Pour structurer une gouvernance efficace, plusieurs acteurs doivent être mobilisés :
- Les associations spécialisées dans l’alimentation, comme VRAC, qui connaissent bien les réalités des QPV.
- Les bailleurs sociaux, proches des habitants, et disposant de leviers d’action importants (foncier, financement via la TFPB).
- Les médiateurs sociaux et professionnels de terrain, en capacité d’aller vers les publics précaires.
- Et bien sûr, les habitants eux-mêmes, dans une logique de participation citoyenne, via conseils citoyens ou autres formes collectives.
La précarité alimentaire en milieu rural
Cette question a été évoquée en fin de webinaire dans les échanges entre nos participants. En effet, comme nous l’avons rappelé en introduction, les personnes en situation de précarité qui habitent en milieu rural peuvent rencontrer des freins dans l’accès à l’alimentation. Contrairement aux idées reçues, vivre à la campagne ne garantit pas un meilleur accès à l’alimentation. Bien que les espaces ruraux soient souvent associés à l’agriculture et au “bien manger”, les habitants y rencontrent des freins spécifiques et cumulés :
Des contraintes structurelles fortes :
- Mobilité indispensable pour les achats alimentaires (voiture obligatoire dans 90 % des cas).
- Coûts élevés liés aux déplacements (carburant, entretien, etc.).
- Offre alimentaire dispersée et souvent peu accessible (horaires restreints, peu de commerces de proximité).
- Manque d’anonymat qui freine le recours à l’aide alimentaire (peur du regard, interconnaissance avec les élus ou bénévoles).
- Dispositifs d’aide moins présents et services sociaux parfois peu professionnalisés.
Des réponses adaptées émergent :
- Dispositifs itinérants : épiceries mobiles, groupements d’achats comme VRAC Drôme, ou camions solidaires (Roul’Contact).
- Partenariats avec les producteurs locaux, bien que complexes à mettre en œuvre (logistique, prix, quantités).
- Participation des habitants : diagnostics partagés, ateliers culinaires, échanges non marchands, mutualisation de trajets.
- Mobilisation des élus ruraux encore trop limitée, mais cruciale pour faire levier sur les ressources locales et favoriser les coopérations.
Pour en savoir plus, vous pouvez consulter cette ressource de la Chaire UNESCO Alimentations du monde sur les liens entre milieu rural et précarité alimentaire.
En conclusion par la DRAAF - Le rôle stratégique des PAT
En conclusion du webinaire, Isabelle Blanchard, chargée de mission Alimentation à la DRAAF Nouvelle-Aquitaine, a souligné l’ampleur croissante de la précarité alimentaire dans la région, et le rôle central que peuvent jouer les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) pour y répondre de manière structurelle et durable.
“Les PAT peuvent apporter des réponses concrètes à la précarité alimentaire.”
Elle a présenté plusieurs initiatives concrètes portées par les PAT de la région :
- Des chèques alimentaires locaux en lien avec des AMAP,
- La tarification sociale dans les cantines scolaires,
- La distribution de paniers de produits locaux à prix réduits,
- Des expérimentations de sécurité sociale de l’alimentation,
- L’implication des citoyens dans la gouvernance des PAT.
Plusieurs territoires mènent déjà des actions significatives :
- Bordeaux Métropole avec ses bons alimentaires numériques,
- Le Pays Basque et ses paniers solidaires,
- Grand Angoulême qui soutient les épiceries sociales via les circuits courts,
- Marennes, Rochefort Océan et Royan avec leur solution logistique partagée IEPR Services.
Selon elle, les PAT évoluent pour s’adapter aux spécificités locales, mais les enjeux de demain seront de :
- Pérenniser les actions solidaires, au-delà des expérimentations ponctuelles,
- Renforcer les financements,
- Et améliorer la coordination entre les acteurs (habitants, associations, producteurs, collectivités).
En somme, les PAT apparaissent comme des leviers puissants pour garantir un accès équitable à une alimentation de qualité, tout en soutenant des dynamiques locales durables et inclusives.
Et maintenant ?
Ce webinaire a permis d’illustrer concrètement que la lutte contre la précarité alimentaire ne se résume pas à une meilleure distribution de colis : c’est un projet politique, transversal et de territoire. Diagnostic et gouvernance sont les deux piliers d’une stratégie pérenne. PQN-A poursuivra ce cycle avec un prochain webinaire intitulé “Démocratie alimentaire : faciliter le pouvoir d’agir des personnes en situation de précarité”, une rencontre au second semestre 2025 et une publication de synthèse.
Ressources
- Le rapport l’injuste prix de notre alimentation. https://www.secours-catholique.org/sites/default/files/03-Documents/RAP-CoutCache2024BD.pdf
- L’étude INCA 3 : https://www.anses.fr/fr/content/inca-3-evolution-des-habitudes-et-modes-de-consommation-de-nouveaux-enjeux-en-mati%C3%A8re-de
- L’étude CREDOC : https://www.credoc.fr/publications/en-forte-hausse-la-precarite-alimentaire-sajoute-a-dautres-fragilites
- Observatoire des vulnérabilités de la Fondation Nestlé : https://www.nestle.fr/fondation-nestle/observatoire-vulnerabilites
- Etude ABENA : https://www.banquealimentaire.org/sites/default/files/2018-08/enquete_abena_2013_synthese_0.pdf
- La boîte à outil alim activ (ANSA) : https://www.solidarites-actives.com/fr/nos-projets/une-boite-outils-pour-coordonner-localement-la-lutte-contre-la-precarite-alimentaire
- La ressource sur les résultats de la Fabrique Prospective
- https://anct.gouv.fr/ressources/comprendre-comment-renforcer-l-accessibilite-une-alimentation-durable-et-de-qualite-pour