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Article expérimentations territoriales

Les expérimentations territoriales : un outil pour accélérer les projets de filières locales ?

Publié le 11/10/2023
Temps de lecture : 10 min
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Depuis 2021, PQN-A, centre de ressource sur le développement territorial, et Bordeaux Sciences Agro (BSA), ont proposé à trois territoires néo-aquitains un accompagnement sur un de leurs projets concourant à la relocalisation d’une alimentation saine et durable. L’ambition est triple : permettre à un territoire sélectionné de bénéficier de l’expertise scientifique de BSA et de l’accompagnement de PQN-A sur un projet concret, fournir un terrain d’expérimentation à des étudiants en formation, et diffuser à l’ensemble du réseau un retour d’expérience via des outils de vulgarisation. Retour sur le partage des résultats de ces expérimentations, qui a eu lieu le 28 septembre 2023.

 

Retrouvez le replay du webinaire ici  et les documents de synthèse en bas d'article !

Trois démarches alimentaires accompagnées

Le Syndicat Mixte Est Creuse Développement (23) a souhaité être accompagné en 2021-2022 sur un projet de création d’une filière noisette creusoise. En 2022-2023, ce sont deux territoires qui ont été choisis pour accélérer leur démarche : 

- la Communauté de Communes (ci-après “CC”) Haut Val de Sèvre (79), sur les conditions de structuration d’une filière locale de légumes

- la Communauté de Communes Lavalette Tude Dronne (16) sur des scénarii d’approvisionnement local de la restauration collective publique, sans perturbation du tissu économique local existant

 

Une quatrième expérimentation est en cours de lancement sur la commune de Salle Lavalette autour d’une micro filière de pain. La restitution publique des deux projets sur le territoire Lavalette Tude Dronne (Salle Lavalette en faisant partie) sera organisée en 2024.

A l’origine, deux projets qui mêlent filière et territoire

Une filière noisette, pour ramener de la valeur ajoutée et renforcer l’image territoriale

En 2019, le Syndicat Mixte Est Creuse travaille avec trois autres territoires français du Massif Central et AgroParisTech, sur les marqueurs territoriaux. Rapidement, la noisette fait consensus : qui méconnaît le gâteau Le Creusois ? Mais qui sait en revanche, que si les industriels de la transformation des noisettes sont bien en Creuse, les noisettes elles, viennent de loin : Italie ou Turquie majoritairement, et dans une moindre mesure, depuis le Lot-et-Garonne via la coopérative Unicoque. 


 

Le Syndicat se prend à rêver : et si la noisette du Creusois était d’origine creusoise ? Et si la production de noisettes permettait aux éleveurs bovins, majoritairement en difficulté sur le territoire, de diversifier leurs revenus, nous explique Claire Paternostre, élue au Syndicat Mixte Est Creuse Développement, et Présidente déléguée du GAL. 

? Si cette filière permettait de récupérer un peu de la valeur ajoutée de la filière noisette sur le territoire ? Et si cette filière renforçait la fierté autour de cette spécificité territoriale…?


 

La production de noisettes, en termes de quantité de travail et de saisonnalité, est compatible avec une activité d’élevage bovin. L’association des pâtissiers qui produisent le Creusois n'a pas besoin d’une quantité astronomique de noisettes… Mais le territoire accueille aussi des industriels de type Jean Hervé, spécialisés dans la pâte à tartiner bio ou Les Comtes de la Marche pour le gâteau à la noisette en supermarché qui se vend à plus gros volumes. Et le minimum pour pouvoir se générer un revenu à partir de la noisette en prenant en compte les investissements spécifiques à la production est de 10 hectares…


 

Le Syndicat va donc interroger divers acteurs du territoire, qui semblent partants. Cependant, la dynamique a du mal à s’enclencher, et le projet connaît une stagnation en 2021, d’après Sandrine Ledieu, chargée de mission Agriculture économie au Syndicat.


 

Développer une filière locale de légumes pour soutenir l’activité agricole et répondre aux besoins du territoire.

De 2019 à 2021, la CC Haut Val de Sèvre rédige son PAT en partenariat avec la Communauté d’agglomération du Niortais. Il ressort du diagnostic que la production en fruits et légumes du territoire est loin de répondre aux besoins des habitants et habitantes. Début 2022, les élus s’interrogent sur la possibilité que des agriculteurs et agricultrices utilisent un ancien restaurant intercommunal (comprenant une cuisine, un réfectoire, des espaces de stockage, etc.) pour leurs activités. Guillaume Michel, chargé de développement économique agricole, interroge alors des productrices et des producteurs du territoire et des communes alentour sur leurs besoins et leurs projets. Certains font part de leur souhait de développer la production de légumes et de leur besoin d’accompagnement pour structurer la filière. C’est à ce moment que les élus se saisissent de l’Appel à Candidatures de PQN-A et de Bordeaux Sciences Agro pour mettre un coup d’accélérateur au développement d’une filière territoriale de légumes.
 

Des étudiants dans les territoires, pour “ouvrir le champ des possibles” et définir des voies praticables vers la prise en main des projets

Passer le projet à la moulinette de l'intelligence collective : l'animation au coeur de l'expérimentation

"Ouvrir le champ des possibles". C'est ainsi que Nathalie Corade décrit l’intention donnée au travail des étudiant(e)s de deuxième année du Master APTERIA (Agricultures, Proximité et Territoires d'Ici et d'Ailleurs) de Bordeaux Sciences Agro, dont elle est la responsable. Les étudiant(e)s dialoguent avec le territoire pour mieux comprendre ses attentes, font un état des lieux de la recherche existante sur les filières, et se rendent une semaine dans le territoire pour réaliser des entretiens semi-directifs. Ce sont ainsi 34 entretiens qui sont menés en Haut Val de Sèvre, dont plus de la moitié auprès d’agriculteurs et d’agricultrices du Haut Val de Sèvre et des territoires limitrophes, mais aussi des organismes agricoles (chambre d’agriculture, lycée agricole…), des associations, des élus et agents de collectivités… Le but était de comprendre la vision de chacun des acteurs sur le développement de la filière. La même méthode est déployée en Creuse.


 

Une fois les propos recueillis, les étudiant(e)s les analysent et reviennent sur le terrain pour présenter les enjeux du projet selon les dires d’acteurs. Avec l’appui de PQN-A pour l’animation, ces enjeux sont travaillés en petits groupes qui réfléchissent aux chantiers clés à mener. Une restitution finale du travail des étudiantes est ensuite organisée à Saint-Maixent-L’Ecole en présence d’une trentaine d’acteurs intéressés par le projet, dont une moitié d’agriculteurs et d’agricultrices.


 

Les enjeux et chantiers clés pour les deux projets de filière sont disponibles ici pour le projet de filière locale de légumes en Haut Val de Sèvre. 


 

Confronter et écouter les avis et positions de chacun des acteurs

En Creuse, les étudiant(e)s ont interrogé la volonté des acteurs de créer une filière noisette, et la faisabilité de cette filière. Si la volonté est affirmée, la faisabilité, elle, s’envisage selon trois scenarii qui n’ont pas les mêmes implications ni soutien (voir les différents scénarii en bas d'article). La perspective d’une filière qui s’approvisionnerait davantage chez la coopérative lot-et-garonnaise Unicoque est une des solutions présentées. Pour certains, il n’y a pas d’alternative à une filière avec Unicoque, qui dispose d’un savoir-faire. Pour d’autres au contraire, bâtir une filière avec cet acteur serait trop contraignant. Ils souhaitent conserver une certaine forme d’indépendance au profit d’une filière intégralement creusoise. Différents choix sont donc à faire, notamment celui de(s) l’opérateur(s) de transformation de la noisette. Pour chacun des scénarii, nommés “Unicoque”, “100% local” et “Intermédiaire”, l'implication des différents acteurs sur les questions de gouvernance, sur des aspects de financement, de gestion administrative, d'animation et d'accompagnement technique est différente selon les scénarii. Le niveau d'ancrage territorial est graduel selon les scénarii. D’après Sandrine Ledieu, “la restitution par les étudiant(e)s a ainsi permis de confronter et d’entendre les avis et les positions de chacun des acteurs. Ceci a permis de cheminer vers des actions communes”.


 

L’objectif de l’expérimentation territoriale n’est pas en effet de trouver “la” bonne solution. L’enjeu est plutôt d’objectiver et d’ouvrir l’horizon des possibles face au collectif que représente le territoire. Le travail d’animation et de co-construction avec les acteurs permet véritablement d’éclaircir les positions et ressources de l’écosystème d’acteur territorial, qui sont autant de freins à dépasser, et de leviers à mobiliser. Libre ensuite à cet écosystème de de prendre la direction qu’il souhaite, parmi les propositions éclaircies par l’accompagnement de BSA et PQN-A.


 

Des dynamiques de projet (ré)enclenchées

De la stagnation du projet au recrutement d’une chargée de mission dédiée à la filière noisette

Les élus et techniciens du Syndicat Mixte Est Creuse Développement l’indiquent : le travail des étudiants ne leur a pas appris grand-chose de nouveau en termes de faisabilité technique. La valeur ajoutée de leur travail réside en revanche dans un regard neuf, neutre, qu’ils ont pu apporter, une forme d’objectivation des enjeux qui a permis de repartir sur des bases de dialogue communes. “Cela a vraiment permis de sortir de cette stagnation du projet et de relancer une dynamique”, affirme Sandrine Ledieu, chargée de mission Agriculture économie au Syndicat Est Creuse Développement. Aujourd’hui, le Syndicat Mixte est légitimé dans son intervention sur ce projet de filière, et a conventionné avec la Chambre d’Agriculture pour pouvoir intervenir sur l’ensemble du département (le Syndicat n’en couvrant qu’un tiers) pour accompagner les projets de production de noisettes des éleveurs et agriculteurs intéressés. Grâce à un financement de la DATAR (Région Nouvelle-Aquitaine), une chargée d’accompagnement est recrutée pour trois ans à temps plein, et va suivre les itinéraires techniques et le travail sur la construction d’outils collectifs avec Interbio Nouvelle-Aquitaine via le Fonds Avenir Bio. Claire Paternostre, élue, affirme que grâce au travail des étudiant(e)s, la chargée de mission a toutes les informations pour “pouvoir être efficace, et lancer la vitesse supérieure.” Le Syndicat a récemment emmené une dizaine d’agriculteurs intéressés en voyage en Italie, pour rencontrer les acteurs locaux des filières noisette bio et conventionnelle. 


 

Une cinquantaine d’hectares de noisetiers est déjà plantée, mais la production ne sera possible que dans cinq ans. Un agriculteur de l’Indre, limitrophe à la Creuse, aura 20 hectares en production l’année prochaine.


 

D’un engouement général à la construction de business plans entre maraîchers et légumiers

L’expérimentation territoriale sur la structuration d’une filière locale de légumes a permis une chose essentielle : l’interconnaissance des producteurs de légumes sur le territoire du Haut Val de Sèvre. La cohésion entre producteurs pour créer une dynamique collective facilitant le travail - enjeu identifié par les étudiantes - semble bien partie. “Les producteurs étaient en attente qu’il se passe quelque chose, et maintenant ils ont les pieds dans le projet”, témoigne Guillaume Michel, chargé de développement économique agricole. La CC Haut Val de Sèvre va proposer aux producteurs de travailler ensemble sur le business plan du projet qu’ils doivent identifier eux-mêmes. L’intérêt est d’apprendre à travailler ensemble sur un projet concret tout en posant des “chiffres” sur les ambitions : ressources financières, volumes de production, débouchés… En fonction des résultats, un business plan bien ficelé pourrait être présenté aux partenaires, banques, etc. In fine, le travail des étudiantes aura permis d’engager une dynamique “où tout le monde est dans la barque, légumiers qui font de gros volumes, et maraîchers qui en font de plus petits”, pointe Didier Proust, vice-président de la CC Haut Val de Sèvre en charge de l’agriculture. En parallèle, la CC travaille avec la SAFER et la Chambre d’Agriculture sur la mobilisation de foncier pour de nouvelles activités maraîchères. “Nous en sommes à un stade où travailler sans partenaire est impossible”, souligne Guillaume Michel.

Halte au copier-coller, pour laisser place à l’intelligence du territoire !

“Ne nous méprenons pas”, avertit Nathalie Corade, chercheuse en économie territoriale à Bordeaux Sciences Agro. Les solutions qui sont présentées sont spécifiques à chaque territoire. “Il n’y a pas de recette miracle de structuration de filière, il ne s’agit pas d’avoir chacun sa légumerie locale, mais bien d’interroger les besoins spécifiques et ressources qu'ont les acteurs locaux”, poursuit-elle. L’intention de Bordeaux Sciences Agro et de PQN-A, est plutôt de donner à voir comment des méthodes d’ingénierie basées sur l’intelligence collective de l’écosystème d’acteurs existant, permettent d’avancer sur des feuilles de route et plans d’actions.

Des projets de filières locales favorables aux voisins ?

Les questions du public ont amené vers les enjeux de coopération territoriale. Qu’en est-il de rapprochements entre territoires consommateurs et territoires producteurs ? Il faut admettre que l’objectif de souveraineté alimentaire des territoires à l’échelle locale est un vœu pieux, voire peut être dangereux pour certains territoires densément peuplés, à l'autonomie alimentaire limitée. Il est possible que la filière noisette creusoise cherche des débouchés plus largement, l’offre étant amenée probablement à dépasser la demande locale. Mais des alliances se forment pour permettre aux territoires qui recherchent de l’alimentation de s’approvisionner le plus localement possible. C’est le cas de Coo-Alliance, coopérative néo-aquitaine encouragée par la DRAAF N-A qui rassemble six organisations de producteurs de fruits et légumes, pour mieux répondre aux marchés de la restauration collective publique en vue d’atteindre (ou de dépasser) les objectifs de la loi EGAlim. Le Directeur de la SICA Maraîchère, la coopérative girondine, alerte cependant : la réalité du terrain montre que les commandes ne sont pas forcément en correspondance avec les discours politiques, pointant ainsi la volonté politique comme levier primordial pour soutenir ces filières.


 

Pour en savoir plus

Pour approfondir sur les travaux des étudiants, voir ci-dessous :

 

 

Re-visionnez la vidéo-replay du webinaire de partage des résultats des expérimentations

Si des questions subsistent, contactez : 

  •  Sur la filière noisette en Creuse : Sandrine Ledieu, chargée de mission Agriculture économie au Syndicat Est Creuse Développement : s.ledieu@estcreuse.fr
  •  Sur la filière légume en Haut Val de Sèvre : Guillaume Michel, chargé de développement économique agricole à la Communauté de  Communes Haut Val de Sèvre
  • Sur la formation APTERIA, et des références de travaux sur les filières territorialisées : Nathalie Corade, maîtresse de conférences en économie à Bordeaux Sciences Agro : nathalie.corade@agro-bordeaux.fr 
    ou Bernard Del’homme maître de conférences en gestion à Bordeaux Sciences Agro : bernard.delhomme@agro-bordeaux.fr
  • Sur l'expérimentation territoriale et les démarches alimentaires de territoire en Nouvelle-Aquitaine, contactez les chargées de mission Démarches alimentaires de territoire de PQN-A
     

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