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Retour sur les Assises territoriales de la transition agroécologique et de l’alimentation durable

Publié le 12/10/2022
Temps de lecture : 13 min
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« À Nantes, nous avons de quoi nourrir les échanges ». Voilà le slogan de la métropole hôte de ces deuxièmes assises de la transition agroécologique et de l’alimentation durable des 12 & 13 septembre derniers. Deux jours de plénières, ateliers, conférences, visites et déambulations pour rassembler et inspirer les acteurs et actrices territoriaux de l’agriculture et de l’alimentation.

 

La démocratie alimentaire semble être un des fils rouges à tirer pour réaliser cette transition. En effet, en dépit des nombreuses actions de terrains, entreprises soit par des acteurs économiques et associatifs depuis de nombreuses années, ou plus récemment par les territoires, la pierre d’achoppement semble être politique. La reconnaissance de ces enjeux dans les arènes politiques nationalesff et européennes notamment, est perçue comme un tremplin crucial.

1 / Démocratie alimentaire, point de départ de la transition ?

 « En deux générations, nous avons perdu tous nos acquis de 10 000 ans, tous nos acquis du Néolithique sur la culture et la cuisine. », se désole Laurence Baudelet-Stelmacher, ethno-urbaniste et coordinatrice de l’association Graine de Jardins.

Avant de parler d’urgences sociale et environnementale, il fallait peut-être tout simplement en revenir là. Évoquer les simples gestes de cultiver et se nourrir. « Cette belle responsabilité de nourrir l’autre, qui est in fine, de prolonger la vie de l’autre », abonde Olivier Roellinger, cuisinier étoilé, n’aurait « jamais dû devenir une industrie, c’est-à-dire un système élaboré qui permet la création de profit. ». Aujourd’hui, entre 80 et 90% de la nourriture qui se retrouve dans les assiettes des Françaises et Français a transité via 4 centrales d’achat, rappelle Arthur Grimonpont, co-fondateur de l’association Les Greniers d’Abondance. 

Faut-il en conclure que c’est par un mouvement de dépossession du contrôle de la production et de l’offre alimentaire que nous en sommes arrivés à cette situation d’urgence sociale et environnementale ? Et que c’est justement par un mouvement de réappropriation et de recréation de droits, et donc d’une citoyenneté alimentaire, que nous parviendrons à transformer la situation actuelle ? Très certainement, semble être la réponse en filigrane des différentes interventions.

 

Comment se réapproprier l’alimentation ?

« La démocratie alimentaire » terme de Tim Lang qui propose de reprendre les pouvoirs décisionnels et d’agir sur son alimentation, naît dans les années 1990 au Royaume-Uni. Des mouvements citoyens visent leur empowerment (se redonner du pouvoir sur) sur la production agricole et la consommation, et veulent les reconnecter. Cependant les classes populaires en sont rarement à l’initiative ou intégrées. Aujourd’hui émergent toutefois de nouvelles formes de solidarités alimentaires, qui prennent en compte ces dernières, mais aussi les agriculteurs et agricultrices dont 18% vivent sous le seuil de pauvreté[1]. Une citoyenneté alimentaire se développe via la redistribution matérielle (de denrées, de valeur à l’amont), et via la prise en compte de la dignité. Mais cette vision-là n’est pas encore assez transformatrice.

 

L’alimentation comme commun ?

Pour aller vers une transformation significative et nécessaire, Pauline Scherer, sociologue, mentionne les débats qui suggèrent de considérer l’alimentation comme « commun », pour la consacrer comme droit humain fondamental. La Sécurité Sociale de l’Alimentation, ou encore les expérimentations de gestion de caisses locales de l’alimentation à Montpellier (sur le modèle des caisses locales des assurances gérées par les travailleurs) sont des moyens d’instituer le droit à l’alimentation, et son corollaire : la citoyenneté alimentaire.

 

Faire basculer les choix alimentaires, sans injonction

L’alimentation est un marqueur social très fort, rappelle Pauline Scherer. Il faut en tenir compte pour le changement des comportements alimentaires. On ne mange pas que pour se nourrir. Le goût, la culture, le lien social, la santé sont autant de dimensions de l’alimentation qui sont personnelles et qu’il ne faut pas négliger. Beaucoup de personnes qui sont en situation de précarité alimentaire le sont sur tous ces volets, et n’ont pas le choix de ce qu’elles vont pouvoir manger. La transition agro-écologique et alimentaire doit répondre à cet enjeu d’un droit à l’alimentation pour toutes et tous, sans quoi elle laisserait sur le bas-côté une partie de la population. Mais comment faire pour rendre désirable une alimentation saine, durable et locale, qui reste encore bien souvent vue comme –et dans les faits- réservée aux personnes sensibilisées et qui ont les moyens financiers adéquats ? Comment faire pour accepter de payer le « vrai prix de l’alimentation », quand on sait qu’aujourd’hui elle ne représente que 7% du budget des ménages en moyennes (contre logement : 25%, 35% à Paris, vs 10% en Allemagne)… et qu’on ne paie qu’un tiers de son prix ?

Il n’est plus question qu’elle soit la variable d’ajustement du budget des ménages précaires. Mais il n’est plus non plus question que les agriculteurs et tous les employés de la chaîne de valeur soient la variable d’ajustement d’une alimentation accessible. Alors comment faire ? Accepter de manger moins, de meilleure qualité au juste prix?

 

De la société de consommation, à la sobriété : un choix à faire collectivement ?

Marianne Bléhaut,  directrice du pôle Data & Economie qui porte l’activité alimentaire au CREDOC, dessine l’amer portrait d’une société où le paradigme culturel dominant reste celui de la consommation. Toutefois, elle note une stabilisation de l’intérêt pour les enjeux environnementaux. « Il faut pouvoir se représenter ce que ça veut dire de renoncer à la consommation dans une société qui la valorise à ce point. Il nous faut travailler sur la valorisation de la sobriété. », affirme-t-elle. Il est d’autant plus essentiel de le faire, que les deux scénarii (de l’ADEME) les plus à même de réaliser la transition sont sans doute les plus sobres. C’est ce que souligne Sarah Martin, en charge de la thématique de l’alimentation durable, sous l’angle des enjeux environnementaux, à l’ADEME. Elle conclut toutefois en disant que la bonne voie à suivre « est sans doute un choix à faire collectivement. ».  In fine, comme le souligne Arthur Grimonpont, « Il va falloir gérer ce temps nécessaire du débat, et ce temps de l’urgence. »

 

2 / Des territoires qui multiplient les actions sur la transition agro-écologique

La multitude d’ateliers proposés pendant les Assises démontre la montée en puissance qualitative des territoires sur la transition agro-écologique, dans la diversité de ses enjeux.

 

L’alimentation et l’agriculture locale et durable, d’un sujet niche à un sujet phare pour les collectivités

Catherine Darrot, Ingénieure agronome, enseignante-chercheuse en sociologie rurale à Agrocampus Ouest souligne cette maturation des territoires sur le sujet grâce à un retour historique. D’après son analyse, dans les années 2010, les enjeux sont abordés différemment. En effet, on se demande si les circuits alimentaires locaux seront un jour portés par d’autres acteurs que les pionniers. Cependant, la création des PAT (Projet Alimentaire de Territoire)  et la déclaration de Rennes en 2014, le Pacte de Milan en 2015 cristallisent ceux-ci comme une politique alternative territorialisée et légitime. Les crises en série récentes opèrent une nouvelle bascule dans la rhétorique politique et sur le terrain. La réflexion porte désormais sur les « ressources », et la « résilience ».

Sarah Martin, de l’ADEME, renchérit d’ailleurs ce propos en soulignant le fait que les crises arrivent plus vite que prévu dans les scénarii. Toutefois ces crises, si elles représentent à bien des égards des menaces et soulignent les failles des systèmes alimentaires locaux, sont aussi des fenêtres d’opportunités. Ainsi, les circuits courts se sont multipliés par trois seulement quelques jours après le début du premier confinement en mars 2020. Si cela illustre ainsi une certaine résilience, la pérennité de ces dynamiques interroge. En effet, s’appuyant sur les réponses de 800 enquêtés, le RMT Alimentation locale démontre qu’en dépit de difficultés ponctuelles, la consommation en circuit court  augmente depuis 2019.

 

L’enjeu de la pérennisation de la transition

Mais comment faire pour pérenniser ? Privilégier le changement d’échelle en dépassant la masse critique qui fera basculer vers un nouveau système ? Christian Caillet, Vice-Président à l’agriculture, l’alimentation et l’irrigation de Val de Drôme en Biovallée et agriculteur, en fait son cheval de bataille : il faut « ramener l’agroalimentaire dans la discussion ». Face à ses collègues agriculteurs qui « le prennent pour un fou », il ne rechigne pas à évoquer la réalité et la nécessité d’une « rupture du système agricole actuel ». Et ça marche, prouve-t-il, en citant l’exemple de sa CUMA ou de seul adhérent en bio en 2003, huit sur les neufs le sont aujourd’hui.

Il ne s’agit évidemment pas de dire que la transition vers le bio est simple. Véronique Lucas, sociologue rurale à l’INRAE de Rennes explique que les agriculteurs qui « arrivent à avancer » sont soit dans un contexte favorable comme par exemple le climat méditerranéen pour les viticulteurs bio. Soit ils font partie d’un collectif, et coopèrent pour faire la transition.

 

La transversalité, gage de pérennité 

L’approche systémique de la transition agro-alimentaire se reflète dans la diversité des ateliers. De l’agriculture urbaine à la justice sociale et à la démocratie alimentaire, en passant par la lutte contre le gaspillage alimentaire, les initiatives citoyennes, la coordination de l’action publique, la construction de la résilience alimentaire des territoires… Les différents sujets et formats d’ateliers ont nourri les participants et témoignent la prise en compte des enjeux de manière globale.

Chaque collectivité, association, acteur, réseau qui animait un atelier a répondu à de nombreuses questions. Néanmoins cela soulève autant d’interrogations :

Notamment, comment :

–        Intégrer les consommateurs dans les choix de l’offre et notamment les bénéficiaires d’actions d’accessibilité alimentaire ?

–        Redonner sa place au plaisir dans l’alimentation ?

–        Sensibiliser aux enjeux environnementaux et de santé sans injonctions ?

–        Sensibiliser tous les niveaux sociaux au « vrai prix » de l’alimentation ?

–        Assurer l’accessibilité alimentaire en milieu rural ?

–        Mutualiser les outils des collectivités pour favoriser l’accessibilité alimentaire ?

–        Assurer la logistique des circuits-courts ?

–        Intégrer les acteurs économiques, et les l’industrie de l’agroalimentaire dans les discussions ?

–        Partager les risques avec les producteurs et productrices via la planification, la contractualisation ?

–        Se développer sans se déterritorialiser ?

–        Utiliser les outils du design pour solutionner des enjeux,

–        Favoriser le développement de l’agriculture saine à l’échelle d’un territoire

etc…

 

« Plus vite, plus haut, plus fort », les recommandations du rapport d’évaluation des PAT donnent des pistes pour pérenniser la transition

Le rapport de Frédéric Marchand, sénateur du Nord (présent aux Assises) et Dominique Chabanet, Inspecteur Général de Santé Publique Vétérinaire, prolonge le constat que l’alimentation est un sujet plus que prioritaire aujourd’hui. Le rapport ajoute qu’une étape a été franchie dans le développement des PAT grâce au plan de relance. Toutefois, les recommandations du rapport sont émises pour poursuivre l’effort. La responsabilité de l’État comme pilote est la première mesure à suivre, et notamment via une enveloppe de 80 millions. La reconnaissance du rôle des collectivités porteuses de PAT est la seconde. Il faudrait reconnaître une « compétence partagée d’organisation de l’alimentation durable et résiliente et en faire des Autorités organisatrices de l’alimentation durable et résiliente ».

Suite aux nombreuses auditions réalisées, les auteurs affirment en effet que « « Ce sont les territoires qui vont inventer les solutions », et qu’en matière de politique alimentaire, c’est encore plus vrai ! ». La contractualisation des PAT est aussi vue comme garantie dans la durée. Enfin, le rapport propose de créer des réseaux décentralisés qui doivent permettre l’échange de bonne pratique et une co-visibilité des actions. En somme, ce que la Mission Démarches Alimentaires de Territoires s’efforce au quotidien de faire.

 

3 / La politisation comme premier levier d’action de la transition

Toutefois, avant de répondre à la question du « Comment », il faudrait se mettre d’accord sur le « pourquoi ? »

Malgré toutes les initiatives qui fonctionnent sur les territoires, la transition n’en est qu’à ses débuts. Alors, comment opérer rapidement le passage à l’échelle nécessaire ? La réponse est très certainement politique, arguent la plupart des intervenants. Arthur Grimonpont s’interroge : si l’on fait le maximum en tant que collectivité territoriale, mais qu’on n’y arrive pas, c’est que les leviers d’actions ne sont pas à notre échelle. Une personne du public renchérit. Il y a certes besoin d’actions de terrain, mais celles-ci ont lieu depuis des années. Il faut également parvenir à se mobiliser collectivement pour porter un message politique.

 

La Déclaration de Nantes, une promesse pour la transition ?

Porter un message politique, voilà précisément l’ambition de la Déclaration de Nantes.

Il s’agit d’un appel à porter des politiques ambitieuses et systémiques, pour briser le « cercle vicieux » de la pauvreté, la malnutrition, l’instabilité sociale, la gestion non durable des ressources, la pollution des milieux, l’effondrement de la biodiversité et le changement climatique.

Très concrètement, les collectivités signataires s’engagent à mener une politique agroécologique et alimentaire. Cela implique d’assurer le suivi, l’évaluation et l’actualisation du socle de principes sur lequel se basent les actions, par un Comité de pilotage et un Conseil technique et scientifique.

En complément de leur propre engagement, les signataires interpellent le gouvernement sur « quatre faisceaux d’actions immédiates ».

Ceux-ci sont :

–        La lutte contre la précarité alimentaire, et l’assurance d’une accessibilité alimentaire à tous les citoyens

–        La lutte contre la précarité économique des producteurs

–        La protection et la reconquête du foncier agricole qui doit servir la souveraineté et la résilience alimentaire des territoires

–        L’affirmation de l’alimentation comme un service public et un bien commun, notamment dans le cadre de la restauration scolaire

Pour le moment Nantes Métropole, Montpellier Méditerranée Métropole et Terres en Ville ont signé aux Assises. Toutes les collectivités engagées sont invitées à signer la déclaration d’ici au 31 décembre. Par la suite, la déclaration restera ouverte et sera complétée dans son contenu, et dans ses signataires, au fur et à mesure des éditions successives des Assises.

 

Notes

[1]  18% des ménages agricoles vivent sous le seuil de pauvreté qui correspond à 13 000 euros par an pour une personne seule en 2018 (INSEE, 2021)

 

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