A première vue, quasiment tous les indicateurs agricoles sont au vert en Nouvelle-Aquitaine. En effet, premièrement, elle dispose d’une Surface Agricole Utilisable (SAU) de 0,64 hectares (ha) par habitant. Cette surface constitue le double de ce qui est nécessaire pour nourrir un français. Deuxièmement, elle compte une production diverse et de qualité. En effet, elle comptabilise 295 produits sous Signes Officiels de Qualité et d’Origine (SIQO). Troisièmement, la région a 8,4 % de la SAU en Agriculture Biologique (AB). Et pour finir, cette dernière détient des outils de transformation nombreux. De plus, ils sont en adéquation avec les bassins de production.
Ainsi, une région de cocagne mais avec une sécurité alimentaire fragile. En effet, lors de la restitution de la première phase du programme (1), le jeudi 12 mai, Sidonie de Kermel a mis en exergue ce fait. Elle est ingénieure de recherche, missionnée par l’Ademe et suivie par Nathalie Corade et Bernard Delhomme, professeurs à Bordeaux Sciences Agro. Cela fait plus de six mois, qu’elle épluche rapports, études et synthèses. L’objectif étant en effet de réaliser un “diagnostic du système alimentaire de Nouvelle-Aquitaine”.
Une disponibilité importante, mais un accès incertain aux produits agricoles et alimentaires
A l’origine de cette fragilité, plusieurs facteurs. Par exemple, le poids important de l’export. En effet, en 2017, la Nouvelle-Aquitaine exportait seize millions de tonnes de biomasse agricole et aquatique (produits agricoles et alimentaires). Dans le même temps, la Nouvelle-Aquitaine en importait dix millions de tonnes.
“La disponibilité des denrées alimentaires est certaine, mais fragile en raison des exportations”, analyse Sidonie de Kermel.
Outre la précarité alimentaire, sujet encore peu documenté, les inégalités dans la répartition territoriale alimentent cette situation de fragilité. Les abattoirs se concentrent sur trois zones. Ceci pose ainsi la question de l’accès physique à ces outils pour les producteurs qui en sont éloignés. En effet, l’AB ne couvre pas l’ensemble de la région. De plus, elle concerne principalement la viticulture. Aussi, certains bassins de production sont hyper-spécialisés, et les bassins de production ne correspondent pas aux bassins de consommation. Ce décalage se compense néanmoins par le nombre et la diversité des canaux de distribution (commerces, Amap, magasins de producteurs, etc.). Par ailleurs, Sidonie de Kermel souligne le manque de données sur la consommation des néo-aquitains. De plus, cette dernière point aussi du doigt la présence de problèmes de santé qui interpellent. Ainsi, près de la moitié des habitants de la région sont en surcharge pondérale.
20 000 exploitations en moins en vingt ans
En matière de durabilité, le secteur agricole et agro-alimentaire de Nouvelle-Aquitaine affiche des faiblesses tant économiques que sociales et environnementales. Et ce, malgré :
- une valeur ajoutée importante (2),
- de nombreux emplois (3),
- un titre de premier exportateur de la région.
Cette faible durabilité s’explique par de multiples facteurs. En effet, sur le volet économique apparait d’abord, la dépendance notable aux importations d’énergie et d’engrais. De plus, il existe aussi une répartition inégale de la valeur ajoutée (captée par les distributeurs et les transformateurs). Aussi, il y a une disparition de 20 000 exploitations entre 2000 et 2021. Et pour finir, il apparait une perte de 150 000 ha de SAU sur la même période.
Ensuite, sur le volet social, le secteur agricole est plus exposé aux problèmes de santé. De plus, il impose des conditions de travail difficiles, tandis que les enjeux de précarité y sont prégnants. Egalement, une personne sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté, contre une personne sur huit dans la population régionale. Conséquence, le nombre d’actifs agricoles ne cessent de baisser depuis 30 ans.
Enfin, sur le volet environnemental, l’agriculture est le premier facteur de perte de biodiversité, et exerce de fortes pressions sur l’eau, le sol et l’air.
Un système alimentaire vulnérable
Mis bout à bout, l’ensemble de ces facteurs rendent le système alimentaire néo-aquitain vulnérable quant au.x :
- crises internationales,
- changement climatique,
- évolutions démographiques : un million d’habitants en plus d’ici 2040.
En cela, Sidonie de Kermel estime que sa résilience est “menacée”. Ce premier constat sera d’ailleurs très certainement approfondi par les prochaines phases du programme de recherche Serealina.
“Ce travail est plus un diagnostic de la situation alimentaire de la Nouvelle-Aquitaine, que de son système alimentaire. Ainsi, il manque des éléments sur l’agroéquipement, l’agrofourniture, la gestion des déchets, l’environnement ou encore les flux qui circulent dans ce système. De plus, des questions restent aussi en suspens : sur la notion de système alimentaire. Mais aussi sur l’échelle territoriale pertinente à laquelle un niveau de sécurité alimentaire doit être recherché et évalué.”
Le programme Serealina
(1) Serealina (Sécurité et résilience alimentaire en Nouvelle-Aquitaine) est un programme de recherche avec pour pilote, Nathalie Corade. Elle est économiste à Bordeaux Sciences Agro / INRAE. De plus, ce programme réunit une quarantaine de chercheurs en sciences humaines et sociales. D’autre part, ses principaux financeurs sont la Région Nouvelle-Aquitaine et l’Ademe. Pour travailler sur la façon dont la Nouvelle-Aquitaine assure la sécurité alimentaire, l’équipe de chercheurs part du postulat que la sécurité alimentaire d’un territoire ne peut être assurée que si le système alimentaire qui la sous-tend est résilient et durable. En cela, durant cinq ans, de 2021 à 2026, ils interrogeront la durabilité et la résilience du système alimentaire. Pour se faire, ils vont s’appuyer sur la globalité et des systèmes alimentaires des territoires qui composent la région. L’analyse se fera à trois échelles. D’abord, par celle de la région. EN suite, celle des acteurs qui participent aux systèmes alimentaires (des producteurs agricoles jusqu’aux mangeurs). Et pour terminer, celle des territoires qui composent la région et qui construisent à leurs échelles des systèmes alimentaires locaux.
(2) La valeur ajoutée de l’agriculture, de la sylviculture et de la pêche représentent 4,2 % de la valeur ajoutée de la région (contre 1,9 % à l’échelle nationale). Elle est de 3 % pour l’industrie agroalimentaire.
(3) 10 % des 2,5 millions d’emplois régionaux sont dans l’agriculture, l’agroalimentaire, l’artisanat commercial et le commerce alimentaire.
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