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Bien vieillir dans les quartiers populaires : quels défis, quelles réponses ?

Publié le 10/07/2025
Temps de lecture : 8 min
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  • “Depuis 4 ans, je ne sors plus de chez moi à cause de problèmes de santé et le fait de ne pas avoir d’ascenseur rend les sorties impossibles. La solitude me pèse beaucoup.” - David, 80 ans
  • “Je souffre de solitude. Je ne peux pas sortir de mon logement, étant sous oxygène et marchant très difficilement.” - Kamel, 62 ans
  • “Être isolé, c’est pas facile. Je suis dans une prison vivante.” - Hamid, 73 ans

 

Ces témoignages, recueillis par les Petits Frères des Pauvres, ont ouvert le webinaire du 16 juin 2025 organisé par Pays et Quartiers de Nouvelle-Aquitaine (PQN-A). Leur force brute a rappelé à tous les participants une réalité encore peu visible : les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) vieillissent aussi.

Mots introductifs

Cette web-conférence a réunit 60 participants autour de 4 intervenants : 

  • Manon Ribaut, chargée de mission rénovation urbaine du quartier Saragosse à la Communauté d’Agglomération Pau Béarn Pyrénées
  • François Apouey, référent de la politique séniors et accessibilité chez Domofrance 
  • Raphaël Rogay, responsable du pôle action publique et territoriale au Gérontopôle Nouvelle-Aquitaine  
  • Cécile Tagliana, directrice générale adjointe de l’ARS Nouvelle-Aquitaine

I. Le vieillissement en QPV : quelles réalités ?

Dans les QPV, quatre habitants sur dix ont moins de 25 ans – contre trois sur dix au niveau national. Cette sur-représentation de la jeunesse a longtemps masqué une autre dynamique : entre 1990 et 2010, le nombre de personnes de plus de 60 ans a pourtant augmenté de 25 %, et celui des plus de 75 ans, de 50 % (Observatoire National de la Politique de la Ville, 2017). En Nouvelle-Aquitaine, plus de 20 % des habitants des QPV ont plus de 60 ans, dont 8 % plus de 75 ans, avec des pics dans certains départements comme la Dordogne (24), la Charente-Maritime (17) ou les Pyrénées-Atlantiques (64). Le profil type du senior en QPV ? Une femme seule, autour de 75 ans, vivant avec de faibles ressources, parfois coupées du numérique et du monde extérieur.

Ces chiffres cachent des réalités souvent difficiles : précarité socio-économique des ménages, isolement social et conditions de logement dégradées qui affectent la santé de leurs occupants. L’enclavement de certains quartiers peut entraver le parcours de soin des personnes et limiter leur accès à des services de proximité. Vieillir en quartier prioritaire, c’est non seulement être plus vulnérable mais c’est aussi faire face à un double stigmate : celui du vieillissement dans un quartier où la jeunesse prédomine et celui d’appartenir à une catégorie sociale modeste, objectivée par son lieu de vie (Conseil National des villes, 2021). 

Malgré ces constats, le vieillissement reste un impensé des politiques publiques qui agissent en politique de la ville et les acteurs qui accompagnent le bien-vieillir n’ont pas d’approche particulière appliquée aux quartiers prioritaires malgré les difficultés socio-économiques et spatiales que nous avons citées plus haut. Pourtant, comme l’a rappelé François Apouey (référent de la politique séniors et accessibilité chez Domofrance),  beaucoup de ces seniors ne nécessitent pas encore d’adaptation lourde dans leur logement : un signal fort pour agir en amont, dès maintenant.

Comme l'a souligné Raphaël Rogay (responsable du pôle action publique et territoriale au Gérontopôle Nouvelle-Aquitaine), la politique de la ville cible historiquement les jeunes. Les seniors d’aujourd’hui sont les jeunes d’hier : ils ont vieilli dans des logements construits dans les années 1960-1970, où ils résident souvent encore aujourd’hui, et pour lesquels ils éprouvent un fort attachement.

Quant à la politique de la ville, elle s’inscrit dans le mouvement initié par la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement. Cette loi vise à anticiper les conséquences de ce processus en répondant le plus possible aux besoins des personnes en matière de logement, de transports, de vie sociale et citoyenne. Dans la plupart des cas, les contrats de villes prennent en compte le vieillissement des habitants dans leur diagnostic et dans leurs orientations avec des priorités en faveur de la prévention contre l’isolement, de l’adaptation des logements et du cadre de vie, de la construction d’habitat spécifique. En revanche, en termes de programmation, peu d’actions concernent les personnes âgées : seules 2 % des actions des contrats de ville financées en 2016 concernaient exclusivement les personnes âgées, malgré leur poids démographique croissant.

II. Adapter le logement et le cadre de vie : un enjeu concret

Face au vieillissement de la population, l’adaptation du logement devient un levier essentiel. Domofrance, acteur majeur du logement social avec 40 000 logements, constate déjà qu’un tiers de ses locataires âgés ont été victimes de chutes, souvent en l’absence de soutien d’aidants. Cela révèle l’urgence à adapter non seulement les logements mais aussi l’environnement de vie de ces publics.

Comme l’a rappelé Raphaël Rogay, accessibilité et adaptation sont deux notions complémentaires. La première, de nature juridique, vise à garantir une circulation fluide et sécurisée dans l’immeuble : accès à l’entrée, parties communes, ascenseur. Si les normes d’accessibilité ont été assouplies récemment, elles restent indispensables. L’adaptation, quant à elle, porte davantage sur la réponse apportée face aux capacités spécifiques des habitants : salle d’eau repensée, mobilier ergonomique, domotique. Elle implique souvent des expertises médico-sociales, notamment celles d’ergothérapeutes.

Manon Ribaut (chargée de mission rénovation urbaine à la Communauté d'Agglomération Pau Béarn Pyrénées), a présenté le quartier politique de la ville de Saragosse dont le projet  illustre une approche intégrée de ces enjeux (voir le document joint ci-dessous). Sur les 1400 logements réhabilités, le bailleur Pau Béarn Habitat a raisonné à l’échelle du parcours résidentiel, en améliorant l’ensemble de la chaîne des déplacements : de l’appartement jusqu’au commerce ou service de proximité. Escaliers retravaillés avec des barres d’appui, halls d’immeubles mieux éclairés, mobiliers variés, fontaines accessibles, signalétique claire : tout a été pensé pour lever les freins à la mobilité. Certains logements ont même été adaptés pour permettre l’accueil des aidants. Ces bonnes pratiques ont été réunies dans le guide d’Us’âges, disponible en ligne

Ces bonnes pratiques inspirent aujourd’hui un nouveau projet porté par Domofrance dans le quartier prioritaire de Gershwin à Pau (64). L’idée : aller au-delà de la réhabilitation thermique classique en intégrant des briques spécifiques au vieillissement. Trois niveaux d’intervention sont envisagés : 

  1. Un socle préventif pour les personnes encore autonomes, 
  2. Un socle évolutif pour anticiper la perte d’autonomie (portes élargies, volets motorisés),
  3. Un socle inclusif intégrant domotique et équipements spécifiques.

 

Mais adapter le logement ne suffit pas. Le rôle des bailleurs s’étend bien au-delà de la réponse technique. Ils peuvent agir à trois niveaux : 

  1. Le logement individuel,
  2. La résidence, 
  3. Le territoire. 

C’est à cette dernière échelle que les coopérations avec les collectivités et acteurs locaux prennent tout leur sens, notamment pour développer une offre de services et maintenir les liens sociaux. C’est ce que Domofrance souhaite pouvoir développer à terme, en s’appuyant sur les dynamiques portées par l’agglomération paloise.

L’enjeu est d’autant plus fort que le non-recours à l’adaptation a un coût social important : chaque année, on compte plus de 10 000 décès et 100 000 hospitalisations liés aux chutes. Des aides existent (comme l’abattement de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) ou les conventions avec les caisses de retraite), mais restent insuffisantes pour massifier les interventions.

Enfin, la temporalité est cruciale. Intervenir trop tard, c’est souvent acter une rupture dans le parcours de vie. À l’inverse, anticiper suppose de dépasser la stigmatisation de l’âge et de penser des logements flexibles, évolutifs et ouverts sur leur quartier.

Au-delà du bâti, un défi majeur demeure : celui du lien social et de l’accès aux services. Car au-delà des murs, ce sont bien les liens, les réseaux et les présences humaines qui permettent aux personnes âgées de continuer à vivre dignement. Dans les QPV, où les freins sont multiples – mobilité, accès aux soins, isolement linguistique ou numérique, etc. – quelles solutions peuvent être déployées pour recréer du lien ? Quels rôles pour les bailleurs, les collectivités et les professionnels du bien-vieillir ?

III. Seniors et lien social : des leviers à valoriser

Raphaël Rogay a rappelé l’importance de la distinction entre solitude et isolement : la première, subjective, renvoie à la qualité perçue des relations, tandis que le second est plus quantitatif, lié au nombre de liens entretenus. L’isolement social, lui, combine ces deux dimensions, traduisant une situation de souffrance et de vulnérabilité. Selon la Fondation de France, l’isolement social touche toutes les générations, mais concerne environ deux millions de personnes âgés de plus de 60 ans. Dans les quartiers prioritaires, cette « pauvreté relationnelle » vient souvent s’ajouter à d’autres formes de précarité. Elle peut avoir des conséquences lourdes sur la santé pouvant engendrer des risques accrus d’obésité, de dépression voire de troubles cognitifs chez les publics touchés. Le manque de relations se traduit par un risque accru de décès prématuré de 30 %. Sur le plan collectif, elle est aussi source de surcoûts, d’hospitalisations et d’absentéisme au travail. C’est dans ce contexte qu’a été lancée l’initiative Monalisa (Mobilisation nationale contre l’isolement des âgés), déployée à l’échelle nationale dans le cadre de la loi sur l’adaptation de la société au vieillissement.

1. L’expérimentation du quartier de Thouars à Talence

Depuis 2022, Domofrance expérimente, en lien avec plusieurs partenaires, un projet pour lutter contre l’isolement des seniors dans le quartier de Thouars à Talence. Sur les 860 logements que compte le quartier, plus de 150 sont occupés par des personnes âgées de plus de 65 ans, dont la moitié vivent seules, souvent dans un isolement total. Le projet s’appuie sur les ressources locales (commerces, services) et sur une coopération d’acteurs : jeunes en service civique via l’association Faits de cœur, collégiens avec l’appui de CarréVie, et l’association Bonjour les Hirondelles pour créer une webradio. Grâce aux financements d’Action Logement et de la caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS), un local a été rénové avec les Compagnons Bâtisseurs, devenu un lieu de rencontre et d’activités. Une équipe citoyenne de dix seniors s’est constituée, accompagnée par le CCAS et Monalisa, jouant un rôle actif dans la vie du quartier. Elle contribuera notamment au projet de réaménagement prévu à partir de 2026, qui concernera 850 logements, des démolitions et une transformation des espaces publics.

2. À Pau : un écosystème mobilisé autour du lien social

À Pau, dans le quartier Saragosse, un tissu associatif dense joue un rôle clé auprès des publics âgés. Plusieurs actions sont menées pour favoriser les rencontres : aménagement d’espaces conviviaux, animations dans le cadre de la rénovation urbaine, rendez-vous réguliers autour de jeux de société, ou encore présence de « managers de quartier » qui assurent le lien entre les habitants et les associations. La ville s’est également dotée en 2018 d’un « plan anti-solitude », porté par le maire, afin d’encourager les Palois à se rencontrer et à recréer des liens de proximité, notamment à travers des temps d’échange et d’engagement citoyen.

3. La notion d’aller-vers pour lutter contre l’isolement social

Raphaël Rogay a également insisté sur l’importance de la démarche d’aller-vers, particulièrement dans les quartiers politique de la ville, souvent enclavés et où la précarité est plus marquée. Il a présenté plusieurs exemples de solutions mobiles, comme le "Ella car", le bus d’ergothérapie mis en place par Gironde Habitat qui propose des conseils pour l’adaptation du logement (aide technique, domotique), tout en assurant une sensibilisation via la médiation culturelle. Ces approches itinérantes permettent de créer des ponts avec les habitants tout en s’appuyant sur les acteurs locaux pour éviter une logique descendante et favoriser l’appropriation des outils et dispositifs.

IV. Le vieillissement en quartier prioritaire : une question de santé publique

Cécile Tagliana, directrice générale adjointe à l’ARS, a rappelé que le vieillissement en quartier prioritaire est une question de santé publique. Le vécu et la trajectoire de vie de ces personnes témoignent d’une plus grande précarité sociale. Elle a souligné que 80 % des déterminants de santé sont extérieurs au système de soins : il s’agit de l’ensemble des facteurs qui influencent notre état de santé au quotidien, comme le logement, l’alimentation, les relations sociales, l’éducation ou encore les conditions de travail. L’environnement des QPV, souvent moins favorable que dans d’autres quartiers, a donc un impact direct sur la santé. L’isolement et le manque d’interactions sociales affectent également le bien-vieillir.

On ne vieillit pas de la même manière en quartier prioritaire de la ville qu'ailleurs. Le vieillissement en QPV est aggravé par des situations socio-économiques souvent difficiles auxquelles s'ajoutent parfois l'enclavement de ces territoires et conditions de logement dégradées.

Cécile Tagliana Agenre régionale de santé Nouvelle-Aquitaine

 

Quels leviers d’action ?

1. Améliorer l’accès aux soins

  • Intégrer davantage le public vieillissant des QPV dans les Contrats Locaux de Santé (CLS) à travers des actions ciblées.
  • Généraliser l’implantation de centres de santé dans tous les QPV, en s’inspirant d’initiatives innovantes comme le Centre participatif en santé de Poitiers.
  • Renforcer la médiation en santé, en particulier pour les publics allophones.
  • Les QPV ont été identifiés comme zones prioritaires pour l’aide à l’installation des médecins, afin de réduire les inégalités d’accès.

2. Renforcer la prévention

  • La lutte contre les inégalités sociales et territoriales de santé doit accorder une priorité claire aux QPV.
  • Des programmes comme ICOPE, qui visent à repérer les personnes âgées fragiles, ou les campagnes de vaccination contre la grippe, sont des outils concrets à déployer en priorité dans ces quartiers.

3. Mobiliser le médico-social

  • Bien que le médico-social ne soit pas la seule réponse, il offre une palette de solutions complémentaires, y compris dans les QPV.
  • L’habitat inclusif, porté par les bailleurs sociaux, constitue une alternative intéressante à l’EHPAD.
  • L’appel à manifestation d'intérêt « Vieillissement en QPV », soutenu notamment par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), a déjà permis de faire émerger des initiatives, comme à La Rochelle (17).
  • Le développement des services à domicile est essentiel pour permettre aux personnes âgées de rester chez elles, même dans des quartiers peu dotés.

4. Favoriser une gouvernance territoriale intégrée

  • Les CIAS et CCAS jouent un rôle central comme repères de proximité pour les personnes âgées et les publics en difficulté.
  • Il est nécessaire de développer des solutions de proximité, ancrées dans les territoires, qu’il s’agisse de QPV ou de zones rurales, tout en assurant la coordination entre les acteurs, quels que soient les points d’entrée dans le parcours (soins, social, aidants…).
  • Le Service départemental pour l’autonomie (SPDA) peut être un outil clé pour organiser des parcours cohérents et adaptés.

V. Sources et Ressources

Contactez nous

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Contactez Charlie Delorme, chargée de mission politique de la ville et participation citoyenne / Tél : 07 57 00 54 59

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