Dans le cadre de cette rencontre l’équipe de PQN-A, en lien avec ses partenaires Etat et région Nouvelle-Aquitaine, vous a proposé des temps « politiques publiques » pendant la plénière. Retrouvez les interventions État et région dans le replay de cette table ronde ou de façon plus complète dans l’article qui reprend tous les dispositifs de financement et leurs fondements.
Les intervenants de cette table ronde étaient :
- Alice Dubre : ancienne épicière ambulante dans les Landes, elle accompagne aujourd’hui la mise en place d'épiceries collaboratives.
- Diana Guarduño-Jimenez : de Nourish Scotland, une association écossaise ayant mené de nombreux travaux sur la sécurité alimentaire et la dignité.
- Matthieu Duboys de Labarre : de l'université de Dijon, sociologue sur les vulnérabilités sociales et la précarité dans l'alimentation.
1- Le don alimentaire n’est une solution, ni pour les bénéficiaires ni pour les agriculteurs
La charité, une « solution » précaire qui va à l’encontre de la dignité des bénéficiaires
Dès les premiers échanges, Diana Guarduño-Jimenez s’attaque au problème de fond que représente la charité lorsque l’on parle d’alimentation. Elle nous parle de la situation en Écosse où son association, Nourish Scotland, mène depuis plusieurs mois un programme sur la dignité : Dignity in practise. Si la charité permet, à travers le don alimentaire notamment, de donner accès à tous à de la nourriture, elle met d’emblée le bénéficiaire dans une position très précaire. Une position qui n’est pas tenable sur la durée.
En premier lieu, elle explique que les bénéficiaires sont « à la merci » des bénévoles. La pandémie a d’ailleurs bien mis en avant cet écueil de l’aide alimentaire. Au plus fort de la pandémie, les bénévoles ont dû rester chez eux ou sont eux-mêmes devenus bénéficiaires de l’aide alimentaire. Faire face aux 45% d’augmentation de la demande de colis alimentaires relève dès lors de l’impossible.
Ainsi, à travers son projet Dignity in practise, Nourish Scotland essaie de mettre en avant les causes de cette précarité alimentaire. Leur travail consiste à sensibiliser aux causes de la précarité alimentaire que sont l’absence de sécurité sociale ou les salaires très bas. Compenser avec l’aide alimentaire ne suffit pas, il faut pouvoir s’attaquer aux problèmes de fond.
Matthieu Duboys de Labarre, enseignant chercheur à l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRAE) de Dijon, nous propose de creuser : pourquoi le don alimentaire va-t-il à l’encontre de la dignité du bénéficiaire ? Pour lui « la main qui donne est forcément au-dessus de celle qui reçoit ». Malgré toute la bonne volonté, la charité instaure un rapport de force. Elle génère dès lors des sentiments qui vont à l’encontre de l’estime de soi. Il s’agit là d‘un des grands paradoxes de la charité.
Un système à dépasser pour redonner du pouvoir aux bénéficiaires comme aux producteurs
« Quand on va à l‘aide alimentaire on ne va pas dire « Non j’aimerais autre chose ». Ce n’est pas le lieu. » Diana Guarduño-Jimenez – Nourish Scotland
Matthieu précise alors que les surplus qui constituent les produits de l’aide alimentaire sont les invendus de la grande distribution. Ces invendus sont issus d’un système alimentaire qui comprend alors, dans son ADN, le principe de la surproduction et du gaspillage. Ces liens étroits entre le don alimentaire et la grande distribution n’augurent en rien une meilleure valorisation du produit brut payé à nos agriculteurs.
Pour aller plus loin, Fabian KESSL, chercheur en économie de la solidarité a mis en avant ces liens. Ses travaux sont majoritairement en anglais ou allemand excepté cette publication sur l’économie de la charité. Le projet de recherche-action Accessible de la Fédération nationale des Centres d’initiatives pour la valorisation de l’agriculture en milieu rural a également creusé ce sujet. Un film documentaire et un outil d’auto-diagnostic issus du programme sont à découvrir sur le site. Le projet a également été présenté lors d’un atelier.
Diana conclut les échanges en suggérant de mieux appuyer les producteurs. Cela afin qu’ils puissent produire différemment et de façon plus sécurisée. Elle souligne enfin l’importance de donner plus de pouvoir aux publics en situation de précarité alimentaire. D’après les travaux réalisés en Écosse, les projets où les bénéficiaires se sentaient le mieux inclus et respectés étaient ceux où la mixité sociale était la plus forte.
Ainsi, dépasser la charité correspondrait avant tout à créer des environnements favorables au développement du pouvoir d’agir des personnes. Partir des problématiques propres à chacun et leur donner plus de place permettrait de pallier à la fois les problématiques d’accès : économique, géographique (voir la notion de désert alimentaire), culturelle et sociale.
2- Quantité, qualité et prix bas, une équation impossible ?
Alice Dubre inaugure les échanges sur la place des questions de qualité et de quantité lorsque l’on parle d’alimentation sociale et solidaire. Elle nous parle ici de son expérience en tant qu’ancienne épicière ambulante en milieu rural dans les Landes. Si son objectif était de rendre accessible à tous les habitants isolés de la nourriture de qualité, locale et/ou biologique, l’équation du prix a été un véritable casse-tête. En l’écoutant expliquer son modèle, on comprend qu’Alice ne pouvait commander que des petites quantités de denrées. Pourtant, une des composantes majeures de son projet restait le juste prix aux producteurs. Dès lors, rendre les produits accessibles économiquement ou les proposer à un prix qui parle au consommateur était incompatible avec l’existence d’une marge raisonnable pour sa petite entreprise. Comment alors concilier aide alimentaire et produits de qualité ?
Matthieu propose une prise de recul : les produits donnés dans le cadre de l’aide alimentaire sont-ils toujours de mauvaise qualité ? Réponse : oui mais on s’améliore !
Dans les années 2000, les acteurs français de l’aide alimentaire commencent à se poser la question de la qualité nutritionnelle des produits de l’aide alimentaire. Jusque-là, l'aide alimentaire proposait essentiellement des produits très transformés.
« On en revient à l’idée de la charité. Quelque part tout ça était justifié car moralement on donnait à des gens qui en avaient besoin. On ne gaspillait pas, on donnait. Alors tout allait bien. » Matthieu Duboys de Labarre
Ce n’est qu’en 2010 que la question de l’alimentation durable émerge suite à des initiatives de l’économie sociale et solidaire. La question du circuit court ou du bio fait son entrée et s’accompagne de nouvelles pratiques pour apporter plus de qualité dans ces circuits. Depuis, les associations essaient d'introduire plus de légumes et de produits frais. Cette question reste néanmoins, en 2021 encore, un casse-tête logistique.
Pour aller plus loin. Retrouvez l’atelier du 25 février 2021 dédié aux questions d’approvisionnement de l’aide alimentaire en ligne sur notre site !
3- Comprendre ce que l’on mange, entre injonctions et pédagogie
Travailler pour et avec les bénéficiaires
Matthieu ouvre la dernière partie des débats en "tiquant" sur les termes de « pédagogie » ou « d’éducation ». Il nous met en garde contre ces intentions, pourtant louables, qui peuvent parfois faire plus de mal que de bien. Ainsi, si les aspects de qualité sont importants, il vaut mieux éviter d’imposer dans les actions un modèle «bio, circuit-court et durable ». Les préférences appartiennent à chacun, elle sont diverses et surtout, ne sont pas figées. Éviter les injonctions est une des clés pour l’action inclusive. On rejoint alors l’idée de la dignité : « décider pour soi c’est ça aussi la dignité ! » Les actions de sensibilisation doivent avant tout donner le pouvoir de comprendre et d’agir par soi-même. C'est ainsi que l’on fera bouger durablement les préférences individuelles.
En tant que mangeur, chacun est travaillé par de multiples dimensions. C’est ce qui fait les préférences culturelles et individuelles. C‘est de ce constat qu’émerge la notion de démocratie alimentaire. Est-ce que chaque mangeur est en capacité d’avoir un libre arbitre ? Est-ce que chacun a les moyens de maîtriser ses pratiques alimentaires ? C’est seulement en se posant ces questions-là que l’on est en capacité de s’interroger ensuite sur la nutrition ou sur la qualité. Réfléchir à son projet à la lumière du respect de chaque individu dans ses choix devient dès lors un garde-fou très intéressant.
Valoriser ce que chacun peut donner : du temps et de l’énergie
Pour Alice, les épiceries participatives sont de formidables initiatives en matière d’inclusion et de participation. Dans ces magasins alimentaires gérés par les bénéficiaires, les économies se font sur la gestion du lieu. Les bénéficiaires sont clients et peuvent investir du temps personnel. Au sein de l'épicerie, ils choisissent les denrées, effectuent les commandes et gèrent la logistique.
« Dans ces épiceries on donne du temps et pas de l’argent. C’est l’investissement qui est valorisé, on devient véritablement acteur. » Alice Dubré
Diana rappelle ici l’enjeu d’information et de compréhension. Un choix libre et éclairé, cela sous-entend que le consommateur connaît les conséquences de son achat. Aujourd’hui, l’accès à l’information pour comprendre le lien entre l’alimentation carnée et la déforestation n’est pas donné à tous.
En 2021, donner accès à une alimentation saine et durable à tous est un défi. Un défi d’autant plus important que la fracture s’est aggravée suite à la crise Covid. Les personnes qui étaient déjà orientées vers le bio-local ont accentué leurs pratiques dans ce sens. De leur côté, les précaires s’en sont encore éloignés.
Aujourd’hui, de nombreuses initiatives montrent qu’il est possible de concilier prix juste, respect du bénéficiaire et qualité pour faire face aux inégalités d’accès à une alimentation saine et durable. Retrouvez-les dans les ateliers « Passage à l’action » de notre cycle « Alimentation sociale et solidaire » en bas de page.
Retrouvez l’intégralité des échanges sur la captation vidéo de la rencontre.
4 - Sept ateliers pour passer à l'action
Retrouvez les comptes rendus des sept ateliers qui ont eu lieu le 25 février :
1 - Articulation Contrats locaux de santé (CLS) et Projets alimentaires territoriaux (PAT) : quelle méthode pour une mise en œuvre conjointe ?
- La présentation diapositive du PETR du Grand Libournais, commanditaire de l'atelier de co-développement
2 - L’alimentation et la cuisine, vectrices de solidarité, de mixité sociale et de développement local
- Le site internet de l'association Ouvre boîtes porteuse du projet La Cantine.
3 - Repérer et travailler avec les acteurs de l'alimentation et de la solidarité
- Le site de Soli'Niort, association porteuse du Cabas solidaire
4 - Comment un système alimentaire local peut-il être porteur d’insertion et d’emploi ? - Compte rendu d'atelier
5 - Approvisionner l'aide alimentaire en produits locaux, quels défis et quelles stratégies ? - Compte rendu d'atelier
- La page du CAPÉE sur son rôle d'animation des épiceries sociales et solidaires
6 - Faire se rencontrer agriculture et précarité, quelles interfaces ? Le projet Accessible.
- Le site ressource de la recherche-action Accessible du Centre d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural (CIVAM)
7 - Accès à l'alimentation et urgence climatique dans les quartiers populaires. - Compte rendu d'atelier
- Le site internet de l'association VRAC sur la ville de Bordeaux, commanditaire de l'atelier de co-développement