Dans les villages ruraux, Ville à joie recrée du lien social en faisant la fête
Cette entreprise disposant de l’agrément ESUS (Entreprise solidaire d’utilité sociale) organise des fêtes afin de favoriser les rencontres et le lien social entre les habitants. Le but est aussi de faire venir des services publics, de santé et des commerces. Créée en Bourgogne-Franche-Comté, Ville à joie a commencé à intervenir en 2023 en Nouvelle-Aquitaine.
Carte d'identité
Structure pilote
Ville à joie, entreprise SAS disposant de l’agrément ESUS (Entreprise solidaire d’utilité sociale)
Budget
32 000 € pour une tournée de 15 dates
Le projet
Mai 2020 : première tournée de Ville à joie en Côte-d’Or
Juin 2022 : achat d’une maison dans la Nièvre afin d’installer l’équipe de Ville à joie de manière pérenne sur ce territoire.
2024 : Ville à joie est lauréate de la fondation La France s’engage.
Périmètre d’action de l’expérience et rayonnement
15 départements en France, en Nouvelle-Aquitaine (Corrèze), Bourgogne-Franche-Comté, Normandie, Grand-Est, Auvergne-Rhône-Alpes, Centre-Val-de-Loire et Occitanie.
Maturité du projet : vert clair (Ville à joie aimerait stabiliser son modèle économique)
Reproductibilité du projet : vert (la manière dont Ville à joie organise les événements est transmissible aux communes)
Personne ressource
Marius Drigny, président et co-fondateur de Ville à joie
06 45 88 81 91
marius@villeajoie.fr
Partenaires principaux
Les collectivités (CDC, PETR, Pays)
Les communes
Les services publics qui acceptent de participer
Les Régions
Les Départements
L’Ademe
Les MSA
La CARSAT
“La revitalisation est beaucoup axée sur le foncier avec l’ouverture de tiers-lieux, la rénovation d’une salle des fêtes ou la création d’un city-stade. Mais cette approche ne correspond pas à des villages plutôt petits, qui n’ont pas de centralité, et dont les habitants ne sont pas assez nombreux pour faire vivre ce genre de lieux. C’est pour cela que nous avons la volonté de revenir deux, trois voire quatre fois par an sur un territoire.”
Problème/besoin initial
Déprise commerciale et isolement des personnes âgées
Originaire de Bourgogne-Franche-Comté, Marius Drigny a organisé la première tournée de Ville à joie à et autour de Vanvey, en Côte-d’Or. “Ma grand-mère habite Vanvey et j’ai toujours connu ce village sans commerce. Pourtant, il y a 20 ans, il y avait une épicerie et un bar, des tournois de foot et des bals étaient organisés le weekend, explique-t-il. Aujourd’hui, il faut faire 20 minutes de voiture pour acheter une simple baguette de pain, et il arrive que ma grand-mère ne voit personne durant toute une journée.” Un constat personnel qui ne concerne pas que Vanvey. Selon un rapport d’information du Sénat datant de 2022, le temps d’accès routier médian à un “panier d’équipements de la vie courante” (supermarché, boulangerie, boucherie…) est supérieur à neuf minutes dans les zones les moins densément peuplées, contre trois à quatre minutes dans les régions métropolitaines. Au printemps 2020, constatant que le premier confinement n’avait fait que “renforcer l’isolement dans les zones rurales, notamment des personnes âgées”, Marius Drigny et quelques amis décident d’organiser des fêtes à Vanvey et dans les villages voisins. Depuis, le rayon d’action s’est étendu à d’autres régions, dont la Nouvelle-Aquitaine où des tournées ont été organisées en Corrèze en 2023 et 2024.
Solutions apportées
Des services publics, des commerçants et des associations
Depuis la première tournée de fêtes organisée à Vanvey, le principe de Ville à joie a peu changé. L’événement commence vers 17h autour de stands animés par des représentants de services publics, des associations, des commerçants, des artisans et des agriculteurs locaux. “Nous utilisons la fête et la convivialité pour recréer du lien au sein du village, mais aussi entre les habitants et les services de proximité”, explique le président et fondateur. Nous faisons toujours en sorte de faire venir des professionnels qui travaillent sur la prévention santé, l’inclusion numérique, les démarches administratives et l’habitat.” Parce qu’il attire des publics hors radar, le côté festif incite ces services d’intérêt général à se déplacer dans des territoires où ils ont peu l’habitude d’aller, par crainte de recevoir peu, voire pas de public. “Nous nous occupons de la communication en amont et de tout l’aspect logistique en installant la sono, les tentes et les stands, ce qui fait qu’ils n’ont qu’à se concentrer sur leur cœur de métier le jour J”, souligne Marius Drigny.
Les habitants interrogés sur leurs besoins
Organisées jusqu’à 21h et rythmées par différentes animations (blind-test, concerts, ateliers…), ces fêtes sont l’occasion pour les élus de rencontrer les habitants et de mieux connaître leurs attentes. “Durant la soirée, nous faisons passer un questionnaire de satisfaction dans lequel les collectivités peuvent ajouter leurs propres questions, indique Marius Drigny. Je me souviens qu’une communauté de communes (CDC) avait consulté les personnes présentes sur leurs besoins en matière de mobilité.”
Pour des communes de moins de 1000 habitants
Il faut au moins 12 événements pour que Ville à joie décide d’organiser une tournée d’un mois et demi à deux mois au sein d’un territoire. L’équipe contacte des PETR, des Pays et des CDC en ciblant les collectivités rurales dont les projets de territoire mentionnent la revitalisation et/ou le lien social. Si elles acceptent de porter politiquement l’initiative, Ville à joie envoie un courrier aux communes membres de moins de 1000 habitants. “⅓ des villages sont intéressés en moyenne, ce qui nous permet d’atteindre notre objectif de 12 à 15 dates, précise Marius Drigny. À partir de là, nous rencontrons les élus pour présenter plus en détail notre démarche et connaître les besoins de la commune.”
Entièrement gratuit pour les mairies
Côté financier, les mairies n’ont rien à débourser, mais fournissent une contribution logistique : prêt de matériel, aide pour l’installation du matériel et la distribution de flyers. Sur les 2300 € que coûte une date, 20 % sont pris en charge par les PETR, les CDC ou les Pays. Les 80 % restants sont couverts par des cofinanceurs : préfectures, départements, Ademe, Mutualité sociale agricole (MSA) ou encore la CARSAT (Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail). “Jusqu’ici, ce modèle a bien marché parce que chaque cofinanceur a une raison différente d’adhérer au projet, observe Marius Drigny. La Carsat parce que cela crée du lien social avec les personnes âgées, l’Ademe est intéressée par la réduction des déplacements individuels, la Région par le développement de l’économie sociale et solidaire sur le territoire, etc.”
Un événement qui peut devenir récurrent
Ville à joie a vocation à revenir dans les villages. C’est le cas dans certaines communes de la Nièvre et de Côte-d’Or où, depuis 2020, les animateurs viennent deux à trois fois par an. “La revitalisation est beaucoup axée sur le foncier avec l’ouverture de tiers-lieux, la rénovation d’une salle des fêtes ou la création d’un city-stade, fait remarquer Marius Drigny. Mais cette approche ne correspond pas à des villages plutôt petits, qui n’ont pas de centralité et dont les habitants ne sont pas assez nombreux pour faire vivre ce genre de lieux. C’est pour cela que nous avons la volonté de revenir deux, trois voire quatre fois par an sur un territoire.” Les questionnaires distribués durant la soirée servent à adapter l’offre de services d’une date à une autre. Ils sont aussi utiles pour convaincre des communes ou des collectivités voisines de participer aux futures tournées.
Premiers résultats
- Les fêtes organisées par Ville à joie attirent en moyenne une cinquantaine d’habitants au sein de villages qui en comptent souvent entre 500 et 600. Elles réunissent en général entre sept et huit exposants. Un stand rencontre en moyenne 12 personnes sur une date.
- D’après les études d’impact réalisées après chaque événement, une fête provoque en moyenne 90 interactions entre les services présents et les participants. Parmi ces derniers, 57 % ne connaissaient pas le ou les services en question. 20 % de ces interactions ont débouché sur une prise de rendez-vous ou une ouverture de droits. 60 % des personnes déclarent avoir parlé à des voisins avec qui ils n’avaient pas eu de contact depuis longtemps. Enfin, 30 % des participants ont échangé avec l’équipe municipale.
- Les comités des fêtes de certains villages ont été relancés, et leurs bénévoles formés par l’équipe de Ville à joie pour organiser et communiquer sur leurs événements. En Corrèze, dans la CDC du Pays d’Uzerche, le maire de Masseret constate avec plaisir que le passage de Ville à joie en mai 2024 a permis à trois associations de son village de se rapprocher. “Elles se connaissaient et avaient l’habitude de participer à des événements communs, mais elles ne travaillaient pas ensemble, explique Bernard Roux. Maintenant je pense qu’elles ont appris à collaborer et qu’une dynamique s’est créée entre elles.”
- Dans certains villages, les intervenants ont identifié des besoins et reviennent ponctuellement : permanences sur le numérique, rendez-vous à domicile avec un opticien, ou encore installation une fois par semaine d’un camion pizza.
Facteurs de réussite
- Le principe de Ville à joie se prête plus aux villages ruraux éloignés de l’attractivité d’une grande ville.
- Il est important que les élus aient déjà réfléchi à l’enjeu de l’accès aux services de proximité.
- Le temps pris pour échanger avec les communes sur leurs besoins permet d’adapter au mieux l'événement.
- Le portage par la collectivité garantit à Ville à joie un bon ancrage territorial. Cela aide à procéder de la manière la plus adaptée au territoire.
Enseignements
- L’équipe de Ville à joie étudie avec soin le tissu local des communes où elle envisage de proposer ses services. “Nous faisons attention à contacter des mairies qui ont vraiment besoin de nous et où il n’y a pas déjà une forte dynamique associative et citoyenne.”
- Le modèle économique de Ville à joie repose aujourd’hui entièrement sur des fonds publics (subventions, réponse à des appels à projet annuels), ce qui pose question compte tenu du contexte budgétaire actuel.
Perspectives
- En Nouvelle-Aquitaine, plusieurs tournées ont été organisées en Corrèze dans les CDC Ventadour-Egletons-Monédières, Pays d’Uzerche et Vézère-Monédières-Millesources. Une autre est en projet en Dordogne dans le Périgord noir. Ville à joie aimerait aussi intervenir dans la Creuse et dans les Landes.
- Ville à joie aimerait recenser les passions et les aspirations des participants. Que ce soit la belote, l’envie de participer à un jardin partagé ou de créer un club de randonnée. “À partir des réponses nous pourrions aider à lancer des groupes à l’échelle de plusieurs villages, gérer les premières réunions et organiser du covoiturage”, envisage Marius Drigny.
Cette fiche expérience a été réalisée par Fanny Laison, journaliste indépendante, à partir des propos de Marius Drigny. Merci à eux !