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Entretien : Penser le futur des quartiers à la croisée de l’observation sociale et de la prospective

Publié le 25/03/2023
Temps de lecture : 13 min
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Lors de rencontres régionales de la politique de la ville fin 2022, PQN-A a réuni deux experts des quartiers aux regards complémentaires. José Da Silva, spécialiste de la prospective territoriale et Hervé Guéry, spécialiste de l’observation sociale. Au cœur de cet entretien, le futur des quartiers et les pistes d’actions pour les professionnels de la politique de la ville.

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L’évaluation des contrats de ville s’achève. Comment ne pas être défaitiste face aux statistiques de la période 14-22 ? Au bout du compte, la politique de la ville est-elle encore aujourd’hui une politique publique pertinente ?

Hervé Guéry / La question du sens de la politique de la ville est fondamentale et on devrait se la poser continuellement. On pourrait dire que la pauvreté, qui est le critère unique retenu pour découper les quartiers prioritaires, existe dans tous les territoires. Pour autant, on a choisi ces quartiers car les réalités y sont différentes de ce que l’on peut trouver ailleurs à situation sociale équivalente. C’est ce que l’on appelle l’effet quartier. Par exemple, à niveau de diplôme équivalent, le taux de chômage est beaucoup plus élevé dans les quartiers qu’ailleurs. On observe cet effet à travers beaucoup d’indicateurs : le déclassement des femmes, l’orientation scolaire des enfants, les discriminations, etc. 

Cet effet quartier s’explique principalement par ce que j’appelle l’effet réseau. Il s’agit de cet ensemble d’opportunités auxquelles un individu accède s’il rencontre une diversité sociale. Dans les quartiers, il n’y a pas cette mixité. On côtoie des personnes qui ont les mêmes difficultés sociales que nous, nous coupant ainsi d’informations que l’on ne peut pas obtenir autrement. Par exemple un emploi, un stage, etc. Le rôle de la politique de la ville, c’est donc de corriger cela et de donner les mêmes chances aux personnes des quartiers, en mobilisant les politiques publiques. Et une des premières choses que les acteurs de la politique de la ville doivent faire, c’est de redonner du réseau aux habitants.

José Da Silva / Sur le territoire d’Aix-Marseille-Provence, il y a 59 QPV qui rassemblent 300 000 habitants. C’est aussi grand que la ville de Nantes et plus grand que le Grand Nancy. S’il n’y avait pas la politique de la ville pour traiter des sujets qui concernent ces habitants de façon transverse, il y aurait peu de choses. Alors oui, la politique de la ville est toujours pertinente, pour deux raisons : tout d’abord, elle traite de sujets qui sont des enjeux majeurs des territoires, et ensuite, elle a permis de déployer une méthodologie spécifique. Devant l’immensité des enjeux qui sont face à nous, les acteurs de la politique de la ville ne peuvent rien faire tout seuls. Il faut mobiliser largement, le droit commun, mais aussi les entreprises, les associations, les fondations, et les habitants. Et ce qui fait la pertinence de la politique de la ville, c’est son ingénierie et sa capacité à construire des partenariats et à œuvrer au plus près des citoyens.

Qui seront les habitants des quartiers en 2030, et à quoi ressemble le futur des quartiers, du point de vue des habitants ?

Hervé Guéry / Les quartiers seront encore davantage impactés par les mécanismes des migrations internationales et donc l’enjeu de l’accueil et de l’intégration de populations fragiles et d’une diversité d’origines culturelles qui ne fera que se renforcer. Il faut aussi parler du vieillissement dans les quartiers. Il n’est pas forcément plus marqué qu’ailleurs (souvent moins), mais il est une problématique réelle qui prendra de l’ampleur notamment sur le plan de l’adaptation des logements et de l’accès aux soins de santé. On observe également des mutations dans les emplois, en particulier avec la proportion d’emplois de livreurs qui a explosé depuis 2020, avec toutes les questions que cela soulève du rapport au travail, de la précarisation et de l’adéquation des aménagements urbains à ces formes d’emploi. Enfin, après de nombreuses années de baisse progressive du nombre de personnes par logement, on observe aujourd’hui que ce nombre remonte. Il y a davantage de familles dans les quartiers et des solidarités qui entraînent la cohabitation de plusieurs générations et familles dans un même logement. Les actions de demain devront donc mettre l’accent sur la réussite éducative, la lutte contre le surpeuplement dans les logements, la parentalité. 

José Da Silva / Quand on parle des dynamiques de peuplement des quartiers, il est intéressant de raisonner en flux plutôt qu’en stock, c’est-à-dire de prendre en compte le fait que des populations entrent et sortent des quartiers à tout moment. Les politiques publiques doivent en tenir compte pour concevoir une action adaptée aux enjeux de demain. Pour répondre à ces enjeux, les acteurs doivent pouvoir se projeter dans un véritable projet de territoire. C’est une priorité durant la période de la préparation des contrats de ville. Qu’est-ce que l’on souhaite pour ces quartiers ? Concevoir ce projet n’est pas chose aisée, notamment si l’on tient compte des dynamiques de flux dont on parlait. Néanmoins, cela paraît indispensable. En termes de méthode, le design de service en tant qu’outil de prospective propose de construire la politique de demain à partir des éléments dont on dispose aujourd’hui. C’est une approche que nous utilisons largement au Lab des Possibles de la Métropole d’Aix-Marseille-Provence, pour imaginer le futur des quartiers et concevoir l’action publique. 

Comment les quartiers ont-ils été impactés par la crise de la Covid-19 ? La politique de la ville a-t-elle dû et su s’adapter ?

José Da Silva / La crise sanitaire a permis d’identifier des problèmes que l’on sous-estimait largement, comme  la question de l’accès à l’alimentation, par exemple. Au bout de 15 jours de confinement, les éducateurs de rue ont fait remonter des informations alarmantes faisant état de 4 000 familles avec enfants qui ne mangeaient plus à leur faim. Chaque semaine, on avait une augmentation de l’estimation de 1 000, puis 2 000 personnes. On a donc mis en place un plan d’urgence alimentaire. Nous avons alors pris la mesure de la réactivité de la politique de la ville. Très rapidement, les services se sont mis en mouvement : la commande publique a été facilitatrice, le Projet Alimentaire de Territoire (PAT) a travaillé avec les agriculteurs locaux qui n’arrivaient plus à écouler leurs produits, on a mobilisé d’autres acteurs disposant de véhicules à l’arrêt pour construire une chaîne logistique en un temps record, etc. 

Cette dynamique d’acteurs a perduré autour de la ligne directrice du projet en cours de “Métropole des Possibles”, issue des ateliers de prospective. Aujourd’hui, les problématiques de transitions dans les quartiers occupent une place majeure dans la feuille de route du Lab, en lien avec les directions de droit commun concernées (stratégie environnementale, Plan Climat Air Energie). Là encore, le Lab cherche à jouer un rôle de facilitation et à répondre aussi aux besoins de ces directions à partir de l’action sur les QPV.

Hervé Guéry / Sur le plan statistique, on observe que, pendant un temps de la crise au moins, on a vu disparaître l’économie informelle qui faisait vivre une partie des habitants. Donc l’extrême pauvreté a augmenté. Mais au-delà des périodes de confinement, les effets de la crise de la Covid-19 sont beaucoup plus larges. Par exemple, les jeunes restent plus longtemps dans le logement des parents, ce qui contribue à aggraver la situation de surpeuplement des logements. Ou encore, il y a ces seniors qui n’osaient plus sortir de leur logement, le décrochage scolaire, qui a été plus marqué pour une partie de la jeunesse, l’ubérisation des emplois, c’est à dire le recours massif à de la livraison à domicile, etc. 

L’emploi dans les quartiers reste un sujet prioritaire. Que peut-on dire des enjeux de demain sur ce thème ?

Hervé Guéry / Il faut rappeler que 63 % des revenus des habitants des QPV en France viennent du travail, et 20 % seulement viennent des prestations sociales. Soutenir l’emploi et l’accompagnement à l’emploi reste donc un enjeu majeur. Il n’y a pas de refus du travail dans les quartiers. L’emploi des femmes, en particulier, est un sujet clé qui doit retenir l’attention pour la politique de la ville de demain. En effet, les femmes dans les quartiers accèdent beaucoup moins à l’emploi alors même qu’elles sont plus formées que les hommes. La monoparentalité est 9 fois sur 10 vécue par des femmes et constitue un frein important à l’accès à l’emploi pour ces publics.

José Da Silva / Il faut aussi mentionner l’économie informelle dans les QPV, qui est une économie genrée et sur laquelle il y a beaucoup à faire, pour sécuriser les revenus indispensables pour les habitants. A l’image de la mécanique de rue, il faut également gérer certains conflits d’usages en préservant la sécurité des personnes et la tranquillité publique. Nous avons analysé que l’économie informelle se décline en trois pans distincts. Il y a les métiers de la main (BTP, mécanique de rue) pratiqués par des hommes, les métiers du cœur (restauration, soin et esthétique) pratiqués par les femmes, et enfin les métiers de la créativité (musique, vidéo) pratiqués par les jeunes.

Par ailleurs, le travail avec les acteurs économiques est très important. Avec l’initiative AMPLI (Aix-Marseille-Provence Libère les Initiatives, co-piloté avec la Fondation de France Méditerranée), nous avons mis en place une démarche d’accompagnement d’associations œuvrant dans le vaste secteur de  l’ESS sans en avoir le label. Nous avons fait le constat que ces structures sont largement dépendantes des financements publics pour fonctionner. Pour le moment, on ne perçoit pas encore l’effet des crises récentes et de l’inflation sur leur modèle économique, mais il finira par se faire sentir. On doit proposer des modalités d’accompagnement différentes pour consolider leur modèle économique. La Métropole entend donc accélérer leur développement en favorisant leur rapprochement avec le monde du mécénat et de la philanthropie. Pour cela, nous faisons aussi un travail de mise en réseau leur permettant d’identifier les bonnes ressources au sein de notre droit commun (les personnes, les appels à projet, etc.). 

Comment travailler sur des questions plus qualitatives comme le vivre-ensemble ?

Hervé Guéry / L’observation sociale par les données ne fait pas tout, il faut la compléter avec d’autres méthodes d’observation. Toutefois, il y a des données importantes qui permettent d’éclairer ces dimensions “sensibles” de la vie dans les quartiers. Les données sur le surpeuplement des logements et la part des enfants qui y sont exposés disent beaucoup de choses sur la réalité de la vie de ces familles. Sur le bien-être des personnes, la réussite scolaire, etc. Le vivre-ensemble, lui, peut être analysé à l’aune de la diversité sociale, ou encore des discriminations. En outre, le Compas travaille sur une méthodologie qui vise à mettre en place des panels de personnes qui deviennent des “veilleurs”. Il s’agit de professionnels, d’associations, de parents d’élèves, etc. Tous les six mois, on interroge les mêmes personnes sur les mêmes indicateurs. On peut alors observer des sujets comme l’accès aux services publics, le bien-être dans le quartier, les violences, le racisme, les difficultés à vivre ensemble, et cela sur un temps long.

José Da Silva / A Marseille, nous avons mené une expérimentation unique d’un budget participatif de fonctionnement, axé sur les transitions et la qualité de vie dans un QPV. Pour parvenir à travailler avec les habitants et les associations, nous avons organisé des ateliers, mais en les ancrant dans le réel. Nous avons donc privilégié la notion de qualité de vie. Les habitants ont ainsi pu nous parler de projets qui les intéressaient, avec leur terminologie. Ils ont évoqué une conciergerie solidaire ou encore l’organisation d’un vide-grenier. Pour transposer ce travail dans le champ de l’opérationnel, nous avons fait une traduction technique de cette matière récoltée. Dans “nos langages”, ils faisaient référence à de l’économie circulaire, à du réemploi, à la préservation de leur environnement etc. Par ce travail, on a aussi pu restaurer la relation de confiance avec les habitants. Il est possible d’agir avec les habitants, avec une méthode adaptée : simplifier le propos, qualifier le besoin et les envies, quantifier les problèmes à résoudre.

Quels sont les atouts des QPV sur lesquels s’appuyer pour construire le futur des quartiers et relever le défi des transitions ?

Hervé Guéry / Il y a beaucoup d’atouts dans les quartiers. A commencer par la richesse linguistique que l’on y trouve et qui pourrait être un levier d’insertion professionnelle pour les jeunes. Ensuite, sur la question des transitions, les données montrent que les QPV sont des territoires vertueux sur différents plans. Par exemple, une faible consommation énergétique, l’utilisation importante des transports en commun. On a de plus en plus de données disponibles qui vont pouvoir nourrir l’action publique de demain. Par exemple les données sur la fragilité énergétique des logements (DPE), les consommations énergétiques par logement (électricité et gaz), la densité de peuplement des logements, la possession et l’usage de la voiture, l’accès à des espaces verts, etc.

José Da Silva / Pour relever le défi des transitions, les territoires politique de la ville ont des atouts indéniables. En effet, il y a des savoir-faire dans la politique de la ville qui sont précieux, notamment pour les politiques de droit commun. Il faut que l’on arrive à les faire connaître et à les diffuser au sein des collectivités. Pour autant, il y a un virage à prendre sur la question des nouveaux récits dans les quartiers. Et sur ce plan, nous avons beaucoup à apprendre des expériences de mise en récit par les habitants eux-mêmes. Les élus locaux y sont particulièrement réceptifs.

 

Pour aller plus loin

 

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Laurence Liégeois, chargée de mission Politique de la ville

E-mail : laurence.liegeois@pqn-a.fr

Tél : 07 56 36 28 14

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