Qu'est-ce qu'un portrait sur la fragilité numérique d'un territoire?
Un portrait de territoire, de quoi parle-t-on ?
Le portrait de territoire consiste à objectiver, puis caractériser les fragilités numériques localement. Autrement dit, il vise à identifier les zones géographiques et les publics particulièrement concernés par des situations d'exclusion numérique. Ugo Soudrie insiste sur le fait qu’un portrait de territoire permet de donner un “premier niveau de caractérisation de la population et d’avoir une vision macro de ce qu’il se passe sur le territoire”. Il permet d'informer, d'interroger la réalité locale, et est à mettre en discussion avec une démarche plus qualitative.
Lorsqu'on élabore une feuille de route, il est justement important de s'appuyer sur un portrait, ou au mieux sur un diagnostic complet, afin de connaître l'état de la fragilité numérique (son intensité, et sa répartition) sur son territoire. Il permet de prendre conscience de la situation et de partager les enjeux localement, afin de savoir quelles actions mettre en œuvre pour répondre efficacement aux besoins. Ce n'est pas une réponse en soi : c'est un outil pour construire des réponses, et pour dialoguer.
Qu'est ce qui compose un portrait de territoire ?
Plusieurs manières existent pour élaborer un portrait ou un diagnostic de territoire. Voici quelques pistes de production de données quantitatives. A partir de ces méthodes, des démarches plus qualitatives peuvent être engagées pour qualifier les données produites. Par exemple, l’approche du Compas se compose de 3 axes clés.
Se baser sur un indice de fragilité numérique
L'indice de rupture numérique développé par le Compas est un outil qui donne une première vision de qui peut être potentiellement touché par l'exclusion numérique et permet de comprendre quelles sont les caractéristiques de ces populations touchées.
Les cinq indicateurs utilisés pour la construction de l’indice de rupture numérique se basent à la fois sur les enseignements des études nationales (« baromètre du numérique » du CREDOC, l’étude de France stratégie « les bénéfices d’une meilleure autonomie numérique »), mais aussi sur les retours d’expérience du terrain issues sur les différents groupes de travail animés par le COMPAS.
- La part des personnes immigrées : au sens de l’INSEE. Cette notion peut recouper des situations très diverses. Cependant, elle s’accompagne souvent de situations sociales moins élevées, d’un besoin de réalisation de démarche importante et qui, compte tenu de la dématérialisation, peuvent accentuer le frein lié à la barrière de la langue.
- Les 15 ans et plus sans emploi: cela peut concerner des actifs sur le marché du travail qui compte tenu du fonctionnement actuel du marché de l’emploi peuvent avoir des démarches administratives régulières à réaliser en ligne.
- Les bénéficiaires des minima sociaux: au même titre que les personnes sans emploi, être bénéficiaire des minima sociaux, c’est être amené à faire valoir un certain nombre de droits (APL, RSA, etc.) qui se réalisent en ligne. C’est aussi, peut-être, avoir des difficultés pour s’équiper pour des raisons budgétaires (ordinateurs, imprimante, smartphone).
- Les bas niveaux de formation: les études le montrent, être peu qualifié est souvent associé à une moins grande maîtrise des usages « experts » du numérique, et donc rencontrer davantage de difficultés pour les démarches administratives liées à l’emploi ou aux prestations sociales.
- Les 70 ans et plus: toutes les études montrent qu’il s’agit encore aujourd’hui de la population la moins connectée et la plus en distance avec les outils numériques. Ses besoins d’accompagnement sont plus importants.
Leur combinaison permet d’obtenir une vision large et territorialisée de l’intensité de la fracture numérique, et d’engager une réflexion sur les actions à conduire à la suite. Cet indice synthétique permet de donner un premier “repère” sur l’état de la fracture numérique potentielle sur le territoire. C’est un moyen d’objectiver rapidement les enjeux liés à la fracture numérique.
Au-delà de l’indice de rupture potentiel face au numérique, le Compas déploie une approche plus large complétée par deux autres éléments.
Constituer des typologies (de territoires, de publics)
L’indice synthétique donne un premier niveau d'intensité, néanmoins pour développer des réponses pertinentes Ugo Soudrie ajoute qu’il est intéressant de comprendre “les typologies de publics qui caractérisent la fragilité numérique sur les territoires”. Deux territoires pouvant avoir un niveau de rupture numérique potentiellement élevé, ce n’est pas pour autant que les typologies de publics qui caractérisent ces territoires seront les mêmes.
La typologie permet ainsi de regrouper dans une même classe des territoires qui ont des dynamiques proches concernant les précarités socio-économiques des populations résidentes. Cela permet de mieux caractériser les besoins potentiels des habitants d’une “zone” au regard de leur profil et ainsi construire des interventions adaptées à ces derniers.
Mettre en regard les besoins et les réponses existantes
Au-delà de l’identification de zones en risque de fragilité, le Compas interroge les réponses qui existent face aux besoins. L’objectif étant de “mettre en rapport l’intensité de la rupture numérique avec l’offre disponible” précise Ugo Soudrie. Le second niveau consiste à qualifier les offres correspondantes : il peut y avoir des zones très fragiles, et des réponses présentes mais ces dernières ne sont pas toujours adaptées aux besoins. Il est nécessaire de s’interroger sur la répartition de l’offre, de la qualifier (quel type d’offre est disponible sur le territoire) et de questionner sa pertinence au regard des typologies de populations précédemment identifiées.
Le programme Société Numérique de l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT) a déployé une cartographie, alimentée par les structures locales permettant de recenser l’offre de médiation numérique existante sur les territoires. Il n’est pas toujours aisé d’avoir une vision “fine” de l'écosystème car toutes les structures ne sont pas recensées sur la cartographie nationale, c’est pourquoi il est indispensable de compléter ce recensement avec la connaissance locale des acteurs. Il faut intégrer une dimension “dynamique” au travail, en questionnant également les projets “en cours de déploiement” qui ne figurent pas dans le recensement de l’offre.
Partager les résultats avec les acteurs locaux
La dernière étape essentielle de la construction d’un portrait de territoire est de mettre en débat les données produites avec les acteurs locaux. Il est important d’interroger la réalité locale avec une démarche plus qualitative. Les données doivent être confrontées à la situation vécue par les acteurs de terrain. Elles peuvent servir à ouvrir le dialogue afin d’affiner et co-construire un diagnostic partagé. Les données “brutes” constituent un premier état des lieux, une “photographie à un instant T” mais ne sont pas exhaustives, elles sont mouvantes et doivent être questionnées par les acteurs de terrain.
La question de l’interprétation des données par les acteurs est essentielle. Si on veut produire des diagnostics opérants pour l’action, il est nécessaire que les acteurs locaux, et notamment les élus, puissent comprendre la manière dont les données ont été construites, afin de saisir ce qu’elles disent et ce qu’elles ne disent pas.
Le portrait de territoire permet de créer de l’interconnaissance entre les acteurs, il rend lisible les problématiques du territoire et l’offre disponible. Il peut permettre d'enclencher une dynamique collective sur le sujet.
👉 Les feuilles de routes territoriales doivent s’appuyer sur ce type de portrait, permettant d’avoir une vision de l’état de la fragilité numérique sur son territoire (intensité, répartition). Il permet d’identifier les besoins et les publics à cibler pour les futures actions à mener.