Autre chiffre, toujours présenté par Raphaël Rogay, la part des personnes âgées de 50 ans et moins dans les communes PVD est inférieure à la moyenne nationale et inversement la part des 50 ans et plus et supérieure à la moyenne nationale. Aussi, 16% des 75 ans et plus vivent en établissement d’hébergement pour personnes âgées dans les communes PVD contre 9,4% en France.
On peut donc constater une part plus importante de personnes âgées dans ce type de territoire. “Cela pose la question de la représentation. Qu’est-ce que ça dit de son territoire ? Qu’est-ce que ça indique aux décideurs locaux ?”
Comment traiter au mieux la problématique du vieillissement ?
Les représentations négatives du vieillissement dans les centres-bourgs
Comme le rappelle, Raphaël Rogay, le vieillissement est souvent perçu comme une menace ou un phénomène à maîtriser. “Paradoxalement, ça désincite les acteurs locaux à prendre en charge directement ce phénomène.”
En effet, un territoire vieillissant est perçu comme peu attractif, peu dynamique, captif de subventions publiques ou encore en situation de désertification. Dès lors, “les élus mettent plutôt l’accent, souvent sans succès, sur l’attractivité des familles des classes moyennes ou sur le développement de nouvelles activités productives.” Comment alors travailler avec succès sur cette question-là ?
La nécessaire approche territoriale de la gérontologie
Raphaël Rogay met en exergue une question majeure : quelles capacités des territoires à façonner et à s’adapter aux parcours de vie ? Pour lui, il semble primordial de favoriser l’émergence d’une approche territoriale de la gérontologie. Pour cela, il faut, selon lui, conjuguer les deux approches suivantes en renforçant leur perméabilité :
- Les politiques de revitalisation qui misent sur la requalification de l’habitat, la facilitation des mobilités résidentielles des ménages, etc.
- Les politiques de la vieillesse qui restent centrées sur une approche médico-sociale et les personnes en perte d’autonomie.
Il insiste sur le fait que “les territoires ne sont pas le simple réceptacle des réalités et des expériences : ils les façonnent autant qu’ils les déterminent.” En effet, le territoire peut favoriser, déterminer et freiner le parcours de vie. D’autant plus que ces derniers ont tendance à se complexifier avec l’avancée en âge. Cela vient interroger la flexibilité des territoires à s’adapter et à se montrer eux-mêmes aussi flexibles que ces parcours.
L’approche territoriale se traduit par la nécessaire diversification des interventions. Bien que les projets qui tournent autour de l’habitat soient majeurs, il faut impérativement penser le projet dans sa globalité et intervenir sur les services, la mobilité, les espaces publics, etc.
Quelles opportunités ?
D’un point de vue théorique, le vieillissement peut présenter des opportunités pour les territoires. Raphaël Rogay en a présenté six :
- La théorie de la base économique : “Si l’on suit les conclusions de la théorie de la base économique, on peut entrevoir différemment le développement des territoires. Cette théorie montre que le développement d’un territoire n’est pas seulement lié à la question de la création de la production de richesse. Il peut être déterminé très largement par sa capacité à capter des revenus externes et donc à créer une économie résidentielle.”
- La redynamisation des territoires via la création de nouvelles activités économiques : “A partir du moment où une part de la population d’un territoire sont des personnes âgées, on peut imaginer la redynamisation du territoire par le développement de nouvelles activités économiques en lien direct avec ces personnes. Derrière, il y a un fort potentiel d’innovations pour imaginer de nouveaux modèles dans une logique d’économie de proximité.”
- Un vivier prometteur de consommation locale : “Une part importante de personnes âgées représente un vivier moteur en terme de consommation locale à même de redynamiser le maillage commerciale de ces territoire”
- L’attractivité de professionnels et donc de ménages plus jeunes : “L’amélioration des conditions de vie des personnes âgées peut venir nourrir un objectif secondaire : l’attractivité des classes moyennes et des familles. Qui dit personnes âgées, dit un besoin renforcé en service de proximité et donc de professionnels. Quid de l’attraction et de l’installation de ces professionnels au plus près des personnes âgées.”
- Un tissu associatif très riche souvent porté par les personnes âgées elles-mêmes : Patrice Laurent, le maire de Mourenx, témoigne : “les personnes âgées sont une richesse car ce sont des personnes qui vont s’investir dans la vie associative de la commune. C’est une richesse humaine et atout de développement.”
- L’universalité des réponses politiques au vieillissement : “répondre aux besoins des personnes âgées peut permettre de répondre aux besoins de la population. Il n’est pas nécessaire d’être dans une logique “politique vieillesse” pour répondre aux besoins des personnes âgées. Il faut plutôt chercher à d’être dans des notions d’inclusion et de répondre aux besoins de l’ensemble de la population. : créer des solutions de transports, attirer des services, maintenir des commerces, etc.”
Quelles réponses ?
Plusieurs exemples concrets de solutions existent. Nous sommes revenus sur deux d’entre eux dans notre web-conférence. Mais avant de mettre en exergue leurs projets, Raphaël Rogay a présenté trois conclusions tirées par le CGET en 2017 et par le Cerema en 2019 de l’analyse des actions mises en œuvre dans le cadre du programme Revitalisation des centres-bourgs :
- La méconnaissance des personnes âgées : les personnes âgées ne composent pas un public homogène. Elles n’ont pas le même âge, la même catégorie socioprofessionnelle, ni le même vécu. Leurs réalités et donc leurs besoins sont hétérogènes et dépendent également de leur niveau de revenu. La connaissance de cette diversité de besoins des personnes âgées est donc une condition préalable à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques adaptées.
- La diversification et l’adaptation des offres d’habitat au cœur des projets de territoire : beaucoup d’actions portées par les communes en faveur du vieillissement concerne l’habitat et notamment la diversification des offres d’habitat publiques (résidences autonomies, Ehpad, etc.) et l’adaptation des logements sociaux et privés afin de favoriser le maintien à domicile. A l’inverse, la place donnée aux solutions d’habitat intermédiaires et aux nouveaux modes de vie collective est encore faible.
- La recherche d’une proximité des services est importante mais encore sous-estimée : Le vieillissement de la population appelle une offre de services et de santé, notamment pour favoriser le maintien à domicile. Peu de bourgs anticipent l’impact des départs massifs en retraite des générations du baby-boom – notamment les professionnels de santé – sur l’emploi et l’activité.
Intégrer la question du vieillissement dans son projet global de revitalisation
Cela a déjà été mis en exergue mais il est important de rappeler que l’approche sectorielle et au coup par coup n’est pas pertinente pour la revitalisation des centres-bourgs. La question du vieillissement n’y coupe pas. Les différents intervenants ont bien mis en lumière la nécessaire diversification des interventions pour travailler sur le vieillissement c’est-à-dire toucher à l’habitat, aux espaces publics, au commerce, à la mobilité, etc. Les deux élus venus témoigner l’ont confirmé.
Mourenx, la ville “all inclusive”
Patrice Laurent, maire de Mourenx, partage ce qui a été dit précédemment sur l’importance d’agir sur tous les pans du projet de revitalisation pour porter une politique en faveur du vieillissement. “Intégrer la question du vieillissement impose de regarder tout l’environnement de la ville et de travailler sur tous les aspects du projet de revitalisation .” Il parle, pour Mourenx, de la volonté d’une ville “all inclusive”.
Donner une dimension humaine aux politiques publiques et à la ville
Pour rappel, Mourenx est une ville nouvelle. A la fin des années 1950, il n’y avait que des actifs. Aujourd’hui, cette population a vieilli et a plus de 60 ans. Il y a donc une forte proportion de personnes âgées sur la commune. Beaucoup occupent encore les mêmes logements (des T4/ T5) et y vivent souvent seules.
Pour Patrice Laurent, il est primordial avant de parler de politique de vieillesse, de porter des politiques humaines, “donner à la ville une dimension humaine et accompagner tous les parcours de vie.” Pour cela, la maire et ses équipes travaillent sur plusieurs projets et cherche à investir dans la modernisation de la ville pour les retraités mais pas que. “Il faut être attractif pour tout le monde, si on propose à des retraités de vivre dans une bulle avec d’autres retraités, ça ne fonctionnera pas.”
Par exemple, ils ont mis en place un service animation séniors avec des activités en fonction des âges afin d’adapter l’offre aux différents profils de personnes âgées. Il y a des personnes de 60 ans encore très actives qui rendent services à d’autres plus dépendants. Il y a également le transport à la demande géré par le conseil régional ainsi que la navette sociale réservée aux petits revenus et portée par le CCAS et d’autres partenaires.
Mais aussi, Ils portent un projet de résidence intergénérationnelle en cœur de ville au pied du marché afin d’installer des personnes moins autonomes avec des personnes plus autonomes. “Il faut réfléchir aux parcours résidentiels des séniors. Il n’y a pas une solution, elles sont multiples. ça va de l’adaptation de logements à la création de nouveaux logements. C’est quasiment de l’accompagnement sur-mesure.” Les partenaires principaux sur ce type d’action sont les bailleurs sociaux, “c’est eux qui viennent sur le logement.”
La création du pôle de santé “Santat”
Un des projets phares de la commune est le pôle de santé “Santat” construit dans un ancien bâtiment rénové. Porté à l’échelle du territoire, ce pôle embauche aujourd’hui 8 médecins salariés. Ces derniers ont été recrutés par une association créée pour le pôle. Leurs salaires ont été négociés et les communes du territoire participent à cet équilibre financier. “Nous avons voulu donner un signal fort. Nous nous sommes demandés ce que les médecins et autres professionnels de santé cherchaient aujourd’hui. La plupart souhaite être salarié et veulent travailler en collectif, ne pas être seul dans un cabinet. Il faut également penser aux outils pour accompagner l’emploi du conjoint.” Patrice Laurent insiste sur le fait que la société évolue et qu’il faut s’y adapter.
Une des difficultés évoquée peut être lorsqu’un médecin est en congés ou en arrêt, “vous avez toujours le salaire à sortir mais plus les rentrées donc il y a parfois besoin d’avoir une aide financière pour arriver à l’équilibre. Mais par rapport à un service public si important, ce sont des petites dépenses. Par exemple, pour Mourenx, le pôle santé va coûter entre 10000 et 20000 euros à l’année, la piscine 400000 et ça reste du service public.”
La Rochefoucauld-en-Angoumois, créer des espaces partagés par toute la population
A la Rochefoucauld-en-Angoumois, 16% de la population a plus de 75 ans. Jean-Louis Marsaud, maire de la commune, nous explique : “ le vieillissement de la population est un phénomène que l’on observe depuis plusieurs années car les personnes âgées qui habitaient dans les communes limitrophes achètent aujourd’hui en centre-ville pour pouvoir bénéficier des aménités de la ville.” En effet, la commune dispose d’un commerce local plutôt développé mais aussi d’une offre de santé intéressante : un centre hospitalier en plein centre-bourg accueillant une maison de retraite et une maison de santé à l’échelle intercommunale avec 32 praticiens.
De la même manière que Patrice Laurent, la politique menée envers les personnes âgées est réfléchie dans le projet global de revitalisation. C’est même à travers une approche territoriale que le projet emblématique liant le centre-hospitalier et la vie du centre-bourg a été pensé.
Favoriser le croisement des générations : le projet du centre-hospitalier et de la commune
Le projet plutôt emblématique porté par la commune et le centre hospitalier a pour objectif de resserrer les liens entre les personnes âgées et le reste de la population. Vincent You précise que ce projet s’inscrit dans le cadre d’un projet de territoire partagé avec l’ensemble des acteurs du territoire. “Nous avons eu 6 mois pour travailler un projet de fond avec eux (collectivités, élus, associations, professionnels du domicile, etc). L’objectif majeur qui est ressorti est celui de sortir de la mise à l’écart les personnes âgées.”
Pour cela, différentes actions vont être mises en place, notamment :
- L’ouverture de la maison de retraite aux personnes âgées vivant à domicile, et ce, pour tout type d’occasions. “Par exemple, la principale rue commerçante de La Rochefoucauld intègre notre hôpital de jour. L’objectif est que ce lieu puisse accueillir d’autres activités pour permettre à la population de se croiser. Nous allons également y faire une maison sport santé déjà labellisée.”
- La création d’un musée municipal dans le centre hospitalier. “Nous avons un certain nombre de collections historiques de valeur. L’idée est de travailler avec la mairie et la communauté de communes pour faire en sorte que ces lieux deviennent un musée municipal et attirent le flux des touristes dans les lieux de l’hôpital et de la maison de retraite.”
- La création d’un tiers-lieu. “Nous travaillons également à un tiers lieu. Nous imaginons des jardins partagés à côté de la résidence et de la maison de retraite. Nous espérons que ces jardins seront partagés au-delà de nos résidents avec les habitants, les associations d’insertion. L’idée est qu’ils viennent profiter des terres qu’on leur propose pour les entretenir et participer à certaines activités avec les personnes âgées.”
- L’ambition d’accueillir une micro-crèche. “Mon rêve serait d’arriver à faire venir une association pour avoir une crèche au cœur de la maison de retraite. Cela permettrait de renforcer l’attractivité pour les soignants qui aujourd’hui sont en difficulté pour concilier vie professionnelle et vie familiale mais également de proposer des temps partagés entre les anciens et les enfants.”
Certaines actions sont déjà mises en place comme la participation des personnes âgées à des spectacles ayant lieu dans le cœur de bourg. Au-delà de ce projet, les intervenants ont abordé une autre problématique, celle du logement.
Des logements à réadapter
L’hôpital est le premier employeur du territoire, plus de 400 emplois. La commune se doit donc de proposer des logements adaptés pour les salariés. Il s’agit de rester attractif pour les professionnels de santé, les étudiants en médecine, les saisonniers, etc. Jean-Louis Marsaud nous explique qu’ils se sont aperçus que les personnes âgées vivaient quasi exclusivement au rez-de-chaussée de leur logement. Ceux-ci n’utilisent plus les étages. La communauté de communes a alors lancé une étude pour trouver des solutions d’aménagement et d’adaptation de ces logements afin de les utiliser dans leur globalité. D’après le maire, le logement intergénérationnel pourrait être une option.
Ils ont également mené une étude avec un bailleur sur les logements vacants du cœur de ville. Beaucoup de ces logements possèdent une entrée exclusivement par le commerce du rez-de-chaussée. Une des propositions pour résoudre ce problème est de rassembler deux commerces afin de récupérer de la place pour faire une entrée accédant aux étages.
Des possibilités d’accompagnement et de financements
La Banque des territoires intervient sur plusieurs points, notamment :
- Une gamme de prêts à destination des collectivités sur 20 à 40 ans qui vise à financer le secteur médico-social. Adil Taoufik, directeur territorial Grands comptes régionaux et innovation précise “on peut évidemment financer le CHU, des maisons de santé pluridisciplinaires, des résidences services séniors et ça peut concerner la construction, la réhabilitation notamment thermique, l’équipement.”
- Une démarche d’investissement dans des dispositifs plus innovants. “Comme cela a été dit, les personnes âgées sont hétérogènes. Il y a plein de situations différentes et donc de réponses différentes. On peut investir dans des ehpad, dans des résidences services séniors ou dans l’habitat inclusif au côté des collectivités. Mais pour cela, il est nécessaire de bien calibrer le besoin et d’avoir une vision stratégique afin de voir ce qu’on est en mesure de faire et pas partir dans des solutions qui n’aboutiraient pas comme prévues.”
Le conseil régional de son côté, représenté par Sandrine Hernandez, conseillère régionale, peut intervenir via différents cadres répondre à ces enjeux de vieillissement :
- La feuille de route sur la silver économie à travers deux enjeux : le soutien aux filières prioritaires liées la santé, médico-sociale, l’autonomie, le bien vieillir ensemble, etc. et le volet dédié au métiers de l’autonomie afin de les valoriser, d’adapter la formation initiale, de maintenir l’emploi des personnes formées et de prévoir une évolution professionnelle car ce sont des métiers compliqués sur le long terme
- La politique contractuelle territoriale via les contrats de territoire qui font remonter les projets portés au niveau local sur l’habitat, le commerce, la santé
- Les politiques sectorielles qui portent des appels à projet régulier dont celui sur l’habitat et les internes afin de fixer les professionnels sur les communes qui en ont besoin
Enfin, côté Etat, Caroline Gareaud, chargée de mission au SGAR évoque :
- L’Appel à manifestation d’intérêt (AMI) Habitat inclusif mis en place en 2021 pour les petites villes de demain. La troisième sélection aura lieu en février 2023. Elle précise que cet AMI va durer sur toute la durée du programme. Objectif : une centaine de lauréats par an au niveau national.
- Les nouvelles mesures de l’agenda rural. Elle précise qu’il y aura un focus autour de l’accompagnement des territoires sur le vieillissement.