Retour sur le webinaire “Co-construire une feuille de route territoriale d'inclusion numérique : étapes, outils et retours d'expériences"
Le 19 décembre 2023, PQN-A et Hubikoop ont organisé le webinaire “Co-construire une feuille de route territoriale d'inclusion numérique : étapes, outils et retours d'expériences", en présence d'élus et agents de deux collectivités locales, ainsi que de l'ANCT. Retour sur les points clés à retenir de cette table ronde.
Cette web-conférence a réunit près de 90 participants autour de 5 intervenants :
- Yannick Bidaud, Vice-Président à la Cohésion territoriale à la communauté d’Agglomération du Grand Périgueux (24)
- Thierry Cipierre, Vice-Président à la politique de la ville, au renouvellement urbain et à l’ESS, à la communauté d’Agglomération du Grand Périgueux (24)
- Alice Frénard, Chargée de mission soutien aux communes et développement local - Communauté d’Agglomération du Grand Périgueux (24)
- Emmanuelle Deprez, chargée de coopération - Communauté de Communes de Dronne et Belle (24)
- Jean Philippe Lasfargues, directeur de l'espace socio-culturel le Ruban Vert, communauté de communes de Dronne et Belle (24)
Les échanges ont été clôturés par l’intervention de Julia Herriot, co-directrice du programme Société Numérique de l’ANCT, dans le cadre de la nouvelle feuille de route France Numérique Ensemble 2024-2027.
Avant de lancer la démarche de construction de sa feuille de route : constituer un groupe projet
Quel que soit le service qui décide de porter la feuille de route au sein de la collectivité, la première étape est de constituer un groupe projet solide.
Les membres du groupe projet seront garants du bon déroulement de la démarche, et doivent ainsi être en capacité de mobiliser les forces vives du territoire, d’assurer la communication autour du projet, d’assurer la validation du dispositif de co-construction et d’être le relais entre les instances technico-politiques et les partenaires clés.
Ce groupe projet peut être constitué à la fois d'élus, de référents techniques et d'opérateurs locaux.
Emmanuelle Deprez précise notamment qu'il peut être “bien de privilégier un ou deux référents pour que les informations arrivent toujours à la même personne” et soient ainsi plus facilement “dispatchées dans les différents services”.
Yannick Bidaud, souligne l’exemple du Grand Périgueux : “avoir deux élus en charge du dossier permet d’avoir toujours quelqu'un qui peut suivre le dossier”. Il considère d’ailleurs que le portage politique tout au long de la démarche a été une des clés de réussite.
“C’est notre direction cohésion territoriale qui a porté la démarche dans une volonté de répondre à un problème territorial qu’est l'inclusion numérique. On a constitué un groupe projet qui s’est basé sur un quatuor : deux élus, deux techniciens. Hélène sur la politique de la ville et moi-même sur le développement local. Nous nous sommes adjoints deux élus : M. Bidaud et M. Cipierre, car l’un est Vice -président en charge de la politique de la ville et l’autre de la cohésion territoriale. C’est à partir de ce noyau dur qu’on s’est mis en conviction pour se lancer dans cette expérimentation”
De plus, Emmanuelle Deprez insiste sur l'importance de travailler le plus possible en transversalité avec les autres services, pour que toute la collectivité se sente impliquée dans la démarche.
“En tant que chargée de coopération et dans le cadre de la convention territoriale globale (CTG) avec la CAF, nous avons commencé dès 2021 à réfléchir aux axes de travail que l’on voulait mettre dans cette convention. Nous avons travaillé dans la création de cette CTG avec l’espace socio-culturel le Ruban Vert qui est un acteur fort de notre territoire avec deux centres sociaux, qui œuvre depuis de nombreuses années sur cette question d’inclusion numérique. Nous les avons donc tout de suite associés à cette démarche de projet. Un groupe projet s’est donc constitué d’élus du numérique, d’élus de l’action sociale de part la CTG et de partenaires locaux avec le Ruban Vert.”
💡 Retrouvez des conseils pratiques pour constituer votre groupe projet à l’étape 1 - page 15 du guide méthodologique.
Commencer par s’accorder sur une définition commune de l’inclusion numérique
La première mission du groupe projet est de :
- fixer le cadre de la démarche (rôle, objectifs clairs, jalons clés, calendrier de mise en œuvre, constitution de la gouvernance, etc. )
- identifier le plus tôt possible les points de blocage.
De plus, les élus s'accordent à dire qu’un des éléments essentiel pour le groupe projet est de “se mettre d’accord sur la définition de l’inclusion numérique”, en précisant que l'inclusion numérique, "ce n’est pas uniquement la Fibre”. Aussi, cette définition doit être suffisamment claire pour être partagée avec l’ensemble des parties prenantes.
💡Retrouvez des éléments de définition et des clés pour vous aider à parler un langage commun dans l’étape 2 - page 21 du guide méthodologique
“En tant que maire d’une commune prioritaire de la ville, je suis confronté tous les jours à ce problème de l’illectronisme et de la précarité numérique. La fracture numérique est aussi aggravée en ruralité car elle s’ajoute à d’autres fractures comme la mobilité. Cette précarité numérique est un des symptômes de la fracture sociale. Donc deux solutions, soit on ne fait rien et on accepte une société à deux vitesses, soit on prend le taureau par les cornes et on essaie d’avoir une vision pour demain et essayer d’accompagner les gens qui subissent cette fracture numérique”
Ensuite, passer à la co-construction via des ateliers collectifs !
La suite de la démarche consiste à organiser deux ateliers collectifs à plus ou moins deux mois d’intervalles, réunissant une diversité d’acteurs (publics, privés, citoyens…) et de les inviter à partager leurs vécus et expériences afin d’identifier:
- d’une part, les enjeux du territoire, c’est à dire les grandes problématiques qui interpellent la dynamique de développement du territoire en matière d’inclusion numérique;
- d’autre part, des chantiers clés, c'est-à-dire des pistes de solutions, un ensemble d'actions qui s'appuient sur les ressources du territoire.
“Ce premier atelier a été fédérateur pour les personnes qui se sont déplacées, et donc elles sont revenues assez naturellement [ndlr au deuxième atelier], c’est que le premier leur avait plus visiblement. On avait donc une cinquantaine de personnes pour le deuxième atelier”
A la suite de l'atelier sur l'identification des chantiers clés, les participants sont invités à réaliser, en sous-groupes, une carte mentale qui symbolise l’ensemble des ressources (matérielles, financières, partenariales…) concourant à la réalisation du projet. C'est ce qu'on appelle une cartographie des ressources. Cet atelier permet d’analyser la faisabilité du chantier, et se projeter sur les bonnes personnes à mobiliser et l’effort à fournir pour rendre l’action réalisable.
“La dynamique des petits groupes a favorisé les échanges et les interactions, cela ne prend pas la forme d’une “grande messe”; on est sur des éléments très concrets, avec des retours d’expériences. Ce qui est fort dans cette méthode est qu’on sort avec des feuilles de routes, des fiches actions et des éléments concrets. Aujourd’hui on arrive à mesurer qu’avec près d’un an d’expérience, sur les 8 fiches on en a déjà réalisé quasiment 4, cela permet d’avoir une efficience forte”
💡 Retrouvez plus de détails sur les ateliers de co-construction et les outils associés aux étapes 3 et 4 - page 31 du guide méthodologique
Enfin, formaliser sa feuille de route : retour sur deux stratégies différentes mais gagnantes
Après avoir recueilli la matière auprès de l’ensemble des partenaires conviés aux ateliers collectifs, vient le temps de la formalisation des actions concrètes à mener. Là encore, il n’y a pas une unique manière de faire comme l’illustre les stratégies respectivement employées par les deux collectivités ambassadrices de la démarche.
Au Grand-Périgueux, une coopération transversale pour passer à l’action
Côté Grand Périgueux, puisque l'inclusion numérique est transversal, l'ambition était de mobiliser l’ensemble des vice-présidents “lors d’un comité de direction” et faire en sorte “qu’aucun service ne soit épargné”.
Les directeurs de services ont donc travaillé en interne avec leurs élus et leurs agents sur les actions de la feuille qui concernaient leur champs de compétences directement.
Ensuite, la Direction de la Cohésion territoriale a organisé un comité de pilotage afin de déterminer quels axes étaient à privilégier rendre cohérentes les actions entre les services.
Point important : lors de ce comité de pilotage, la tâche de présentation des actions a été confiée aux vice-présidents et “surtout pas aux directeurs”, explique Yannick Bidaud. Cela a permis, en effet, d’impliquer les élus dans la démarche et de les engager dans le passage à l’action.
Le Grand Périgueux a ensuite choisi d’intégrer la feuille de route inclusion numérique dans son projet de territoire “Grand Périgueux 2040”. Comme l’indique Yannick Bidaud, il leur est apparu évident que l’inclusion numérique devait être intégrée “dans l’ensemble de la volonté politique du Grand Périgueux”. Les fiches actions produites “seront validées à l’occasion de ce projet de territoire”.
A Dronne et Belle, concrétiser rapidement les chantiers clés pour rendre la feuille de route tangible
A la communauté de communes de Dronne et Belle, la formalisation de la feuille de route s’est faite notamment dans le cadre de la convention territoriale globale initiée par la CAF. La feuille de route inclusion numérique a été validée en décembre 2022 par le conseil communautaire et les actions ont également été priorisées dans ce cadre par les élus.
“Les élus ont vu une concrétisation des actions, ce n’est pas resté un diagnostic de territoire, une étude en plus, on leur a apporté du concret grâce à notre collaboration avec le Ruban Vert. Se fixer des premiers objectifs réalisables très vite a permis de donner envie de poursuivre et de continuer le projet.”
La stratégie de la communauté de communes à ensuite été de “transformer le groupe projet de la création de la feuille de route inclusion numérique” en “comité de pilotage de l’inclusion numérique”. Ce comité se réunit plusieurs fois par an pour acter la mise en oeuvre des étapes et valider les actions futures à mettre en place.
“ Dans ce comité de pilotage il y a nos élus porteurs de la feuille de route: notre Vice-président en charge de l'économie et de la communication, notre Vice-présidente en charge de l’action sociale, le conseil départemental pour l’action sociale, la CAF puisque c’est un des axes de la CTG et d’autres partenaires.”
Retrouvez ci-dessous les feuilles de routes des deux collectivités :
Focus : Diversifier les partenaires pour financer sa démarche
Un questionnement qui revient souvent lorsqu’on évoque les stratégies territoriales d’inclusion numérique, est celui des financements. L’avantage de travailler sur un sujet transversal qui touche à de plusieurs services et thématiques, est que plusieurs types de financements peuvent être mobilisés.
Emmanuelle Deprez explique par exemple que leur action sur l’itinérance est financée par :
- l’Etat, avec l’embauche d’un deuxième conseiller numérique,
- des fonds privés,
- la Région, qui a octroyé une subvention pour l’achat du bus,
- le conseil départemental, dans le cadre du budget participatif
Sur d’autres actions relevant de l’action sociale ou menées auprès de la jeunesse par exemple, d’autres budgets peuvent être mobilisés comme celui de “la CAF” ou encore celui du “service départemental de la jeunesse et des sports dans le cadre du projet éducatif de territoire”.
💡 Retrouvez plus de détails sur la formalisation de la feuille de route et les financements de la démarche à l’étape 6 - page 51 du guide méthodologique
Un contexte national favorable : la territorialisation de la politique d’inclusion numérique
Les outils méthodologiques déployés interviennent dans une période de transformation du contexte national. Inaugurée en octobre 2023, la nouvelle feuille de route France numérique ensemble, décrit les nouvelles orientations nationales en faveur de l’inclusion numérique, et les chantiers qui en découlent pour la période 2024-2027. Elle fait suite à la première stratégie nationale pour un numérique inclusif, qui couvrait la période 2018-2022.
Comme l’explique Julia Herriot, “un des engagements forts” de cette nouvelle feuille de route est la “territorialisation de la politique d’inclusion numérique”. Plus spécifiquement, l'instruction gouvernementale du 28 juillet 2023 invite les préfectures de départements à réunir les acteurs locaux volontaires afin de se concerter pour effectuer le “recensement des gouvernances locales pour l’inclusion numérique” à l’échelle de leur département. En impliquant les parties prenantes locales, cette démarche vise à “rendre lisible les gouvernances déjà existantes et d’en susciter de nouvelles dans les territoires où cela n’est pas encore le cas”, explique la co-directrice du programme Société Numérique de l’ANCT. Les territoires sont également invités à faire remonter à l’ANCT, via un formulaire dédié, leurs besoins en ingénierie financière et en outillage afin de les appuyer dans le déploiement de ces feuilles de route locales.
Le calendrier fixé dans la circulaire, demande aux préfectures de département d’avoir formalisé l’ensemble des feuilles de routes en juin 2024 avec “une méthodologie d’élaboration” clairement définie, “des acteurs impliqués, un diagnostic territorial et des axes d’actions prioritaires et priorisés”, comme le rappelle Julia Herriot.
Un contexte national qui peut donc être l’opportunité pour les territoires de se saisir pleinement de la question de l’inclusion numérique, et de suivre le chemin tracé brillamment par les deux EPCI de Dordogne dans la formalisation d’une politique publique locale d’inclusion numérique !