Contexte
Cette première web-conférence s'intègre dans un cycle de qualification “Agir contre les discriminations dans les territoires”. Elle a réuni près de soixante participants autour des invités du jour :
- Johanna DAGORN, Chercheure associée en Sociologie à l’Université de Bordeaux et co-directrice de la revue scientifique Les cahiers de la Lutte contre les discriminations,
- Ahmed SERRAJ, Directeur de l’association Le Boulevard des Potes, qui œuvre dans le domaine de la lutte contre les discriminations et le racisme, centre d’études et de formation.
Qu’est-ce que la discrimination ?
La discrimination est un délit qui vise à défavoriser et adopter une différence de traitement envers une personne ou une catégorie de personne selon 25 critères interdits par la loi. Selon les articles 225-1 à 225-4 du code pénal, l’auteur des faits est passible de 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende et de 5 ans et 75 000 euros d’amende lorsque l’auteur est un agent public et a commis les faits dans l’exercice de ses fonctions.
Les 25 critères de discriminations interdits par la loi :
Qu’est-ce qu’une discrimination systèmique ?
Une discrimination systémique est une discrimination qui relève d’un système, c’est-à-dire d’un ordre établi provenant de pratiques, volontaires ou non, neutres en apparence. Par exemple, on observe sur le marché du travail des écarts de rémunération ou d’évolution de carrière entre une catégorie de personnes et une autre. La particularité de la discrimination systémique est qu’elle n’est pas nécessairement consciente de la part de celui qui l’opère.
Quelle est la différence entre une discrimination directe et indirecte ?
La discrimination est directe lorsqu’elle est délibérée et que la différence de traitement se base sur un critère prohibé par la loi : par exemple, le refus de louer un appartement à une personne homosexuelle ou à une personne handicapée. La discrimination est indirecte lorsque, dans une situation comparable, un critère ou une pratique neutre en apparence produit des effets inéquitables et discriminatoires envers une personne ou un groupe : par exemple l’absence de possibilités d’accès des personnes handicapées aux transports en commun.
D’où viennent les discriminations ?
Les discriminations sont le fruit d’éléments de l’histoire de nos sociétés : les colonies, l’immigration, l’esclavage, la shoah, la domination masculine… autant de composantes qui participent à la perception que l’on a des autres individus dans notre imaginaire collectif.
“Il y a une grande importance à partager ces histoires et à les transmettre aux jeunes générations pour faire évoluer les perceptions et déconstruire les préjugés et stéréotypes. L’enjeu de cette transmission, c’est que ce sont les histoires des uns et des autres, ce n’est pas parce que je ne suis pas une femme que l’histoire de la domination masculine ne me concerne pas, ce n’est pas parce que je ne suis pas noir que l’histoire de l’esclavage ne me concerne pas, ce n’est pas parce que je ne suis pas juif, que l’histoire de la shoah ne me concerne pas. On est la France parce qu’on est relié à toutes ces histoires.” Ahmed Serraj
“C’est important de faire société. La lutte contre les discriminations doit faire sens et de manière collective.” Johanna Dagorn
Préjugé et stéréotype, deux notions à distinguer
Les discriminations peuvent également découler de préjugés ou de stéréotypes. On a souvent tendance à confondre les deux termes, pourtant, ils n’ont pas exactement la même signification. Un stéréotype est une image préconçue et renforcée socialement envers un individu ou une catégorie de personnes. Il repose sur une croyance partagée relative aux attributs physiques, moraux et/ou comportementaux, censés caractériser ce ou ces individus. Le préjugé quant à lui est une opinion négative implicite et préconçue portant sur un individu ou une catégorie de personnes.
Les effets des discriminations sur les victimes et sur la société
Les effets sur les victimes : une forte défiance envers les institutions
Les discriminations ont des impacts majeurs sur les victimes de ces actes. Les personnes concernées peuvent ainsi éprouver de la tristesse, de la honte, de la culpabilité, voire une profonde colère qui provoque un repli sur soi. En conséquence, les victimes ont bien souvent une perte de confiance en elles mais également envers les institutions publiques. Comment rétablir le lien de confiance entre les citoyens et les institutions publiques ? C’est un enjeu majeur pour les politiques publiques alors que la perte de confiance des français dans les institutions et la hausse des violences sont au cœur des préoccupations.
“Lorsque les jeunes dans les quartiers prioritaires subissent des discriminations, ils développent une défiance envers les institutions, avec des logiques anti-institutionnelles de leur part. Or, ce sont les habitants des quartiers prioritaires qui ont le plus besoin des institutions et des services publics. La question de l’aller-vers est importante dans ce cadre pour rétablir ce lien de confiance.” Johanna Dagorn
“La discrimination est une action criminelle d’une extrême violence pour les victimes, avec de fortes conséquences et repercussions psychologiques. Cela touche les personnes dans leur dignité, leur identité, leur singularité et leur humanité. Dire à l’autre qu’il est différent, c’est lui dire qu’il n’existe pas.” Ahmed Serraj
Les victimes ont toutes une manière bien différente de faire face à une discrimination subie, on peut ainsi identifier quatre types d’approches :
- Ainsi, de nombreuses victimes se résignent à ne pas porter plainte ni à faire de démarches lors d’une situation discriminante. Dans ce cas de figure, les victimes ont souvent une perte de confiance envers les institutions et estiment que porter plainte “ne servira à rien”. C’est ce qu’on nomme l’approche fataliste.
- D’autres victimes ont une approche plutôt relativiste en banalisant la situation qu’elles viennent de subir. Cette approche est la plus risquée puisqu’elle augmente le sentiment d'impunité de la part des auteurs, qui continueront leurs actes sans être inquiétés de répercussions pénales.
- Certaines victimes peuvent, quant à elles, avoir une approche dite pédagogique. Elles éprouvent le besoin d’éduquer et de sensibiliser sur le sujet autour d’elles après avoir vécu une discrimination.
- Enfin, la dernière approche, et celle qui augmente le plus ces dernières années, est la défiance envers les institutions publiques. Cette défiance peut provoquer une colère de la part des victimes qui ne se sentent pas considérées dans la société et qui basculent dans la violence.
Les effets sur la société : une cohésion sociale fragilisée
Certes les discriminations ont des impacts sur les victimes mais elles en ont également sur la société. Pour pouvoir se reconnaître dans des valeurs et des principes communs, il faut se sentir légitime et avoir une place pleine et entière en tant que citoyen et citoyenne, ce qui n'est plus le cas pour une partie des victimes. Ainsi, lorsque l’on est discriminé dans la société, on peut se questionner sur ce sentiment d’appartenance et sur les valeurs que nous partageons. La lutte contre les discriminations participe fortement à créer ce sentiment d’appartenance aux valeurs de la république et aux principes de laïcité.
L’état des lieux des discriminations aujourd’hui
Pour établir un état des lieux sur les discriminations en France, de nombreux testings sont réalisés par divers organismes (ex : Défenseur des droits, CNRS, SOS Racisme, INJEP, le gouvernement). Ils permettent de mesurer l’ampleur des discriminations en France. Grâce à ces testings, on remarque ces dernières années une augmentation du racisme en France, couplée à une banalisation des faits et des propos à caractère raciste.
“Dans toutes nos enquêtes, arrive en premier critères de discrimination, depuis 2 ans, le racisme et en deuxième le sexisme. Depuis 10 ans, nous constatons le même nombre de victimes de discrimination dans nos enquêtes. En ce qui concerne le sexisme ou encore l’homophobie, la situation évolue favorablement, alors que concernant le racisme, elle évolue de manière extrêmement défavorable” Johanna Dagorn
En 2020, 18% de la population déclare avoir subi une discrimination au cours des 5 dernières années, selon l’Insee, dont 26% pour les personnes immigrées. Toutefois, on peut noter des écarts importants dans ce résultat, avec 42% de descendants d’immigrés d’Afrique (hors Maghreb) qui estiment avoir été victimes de discrimination contre 15% pour les populations sans ascendance migratoire.
Pour les personnes immigrées ayant déclaré avoir été discriminées, le principal motif est l’origine, la nationalité ou la couleur de peau pour 82% d’entre elles. Pour les femmes, la première cause est le sexisme, à 47%. Les motifs de discriminations peuvent également se cumuler, ainsi, le pourcentage global de 18% est très loin de la réalité de ce que peut vivre une femme, noire, musulmane et d’origine africaine, dans la société française. (Source : Observatoire des Inégalités, Rapport sur les discriminations en France, édition 2023)
Comment observer et mesurer les discriminations?
Pour observer et mesurer les discriminations à différentes échelles géographiques, des enquêtes de victimation sont également réalisées par différentes structures expertes sur le sujet (SOS Racisme, Défenseur des droits, Aresvi…) et qui permettent d’obtenir une visualisation de la situation à l’instant T sur un territoire.
L'observation des discriminations dans les quartiers prioritaires
Concernant l’état des lieux des discriminations dans les quartiers prioritaires, une grande partie des discriminations subies par les habitants se fait à l’extérieur du périmètre du quartier. Il est alors difficile de mesurer concrètement la part de celles-ci. Par ailleurs, la crise sanitaire est venue aggraver les discriminations dans les quartiers populaires, notamment sur les questions d’éducation, d’accès à l’emploi, d’accès aux soins et à la santé ou encore d’accès aux services publics. “La réalité des discriminations est forte et prégnante dans les quartiers en politique de la ville.” Ahmed Serraj
La lutte contre les discriminations dans les territoires
En Nouvelle-Aquitaine, des territoires en politique de la ville prennent en compte les enjeux en matière de lutte contre les discriminations. On constate une réelle volonté de la part des territoires (collectivités et acteurs) de s’approprier le sujet. A titre d’exemple, à Limoges Métropole, une sensibilisation de l’ensemble des agents des collectivités a été réalisée, avec des ambassadeurs de la lutte contre les discriminations formés et une cellule de veille sur ces questions a été mise en place. D’autres territoires néo-aquitains, comme Pau, Talence, Bergerac ou encore le Grand Périgueux, sont également très engagés sur ce sujet. "Les territoires ont besoin d'être accompagnés et soutenus. Le rôle de la DREETS et de la Région Nouvelle-Aquitaine est primordial. Dire que les territoires vont se saisir d’eux même de cette question n’est pas une évidence.” Ahmed Serraj
Besoin de portage politique et de maillage territorial
Les élus jouent un rôle important dans le portage de la lutte contre les discriminations. Pour passer à l’action de manière efficace, une volonté politique forte est primordiale. “Pour passer à l’action sur le sujet de la lutte contre les discriminations, il faut une volonté politique forte et prioriser les actions sur certains critères de discriminations jugés prioritaires sur le territoire, en partenariat avec les associations, pour déployer de manière plus efficiente les actions. Un maillage territorial entre le politique, les associations et les victimes permet d’avancer plus facilement dans la lutte contre les discriminations.” Johanna Dagorn
Des leviers existants
Pour lutter contre les discriminations, les territoires disposent de leviers pour agir tels que la sensibilisation et la formation, qui sont indispensables pour pouvoir distinguer les situations de discriminations, connaître les acteurs à mobiliser et savoir comment accompagner les victimes.
La lutte contre les discriminations dans la politique de la ville
La loi Lamy (2014) a inscrit la lutte contre les discriminations comme une priorité transversale des contrats de ville 2015-2023 avec un succès mitigé. Les contrats de ville 2024-2030, en cours de finalisation, constituent une réelle opportunité pour relancer des dynamiques locales sur le sujet. De nombreux territoires se mobilisent et sensibilisent sur ce sujet à travers la politique de la ville avec une véritable dynamique en matière de lutte contre les discriminations pour les quartiers prioritaires.
“La politique de la ville est un instrument fort qui permet de contenir les situations d'inégalités et de discriminations sur ces territoires fragiles. C’est un très bon outil pour agir concrètement en matière de lutte contre les discriminations. La politique de la ville est au cœur de cette question.” Ahmed Serraj
Pour conclure ce webinaire, Marie-Pierre Brun, chef du service politique de la ville à la DREETS Nouvelle-Aquitaine, explique pourquoi ce cycle de qualification a été initié par l'Etat régional: "Il y a un réel enjeu à actualiser les connaissances sur la lutte contre les discriminations, décrypter les phénomènes dans les quartiers prioritaires, repérer les acteurs et ressources dans les territoires, pour mener et pérenniser des actions et des synergies locales".
Ressources complémentaires
- Cycle de qualification “Agir contre les discriminations dans les territoires” par PQN-A
- Rapport - Discriminations et origines : l’urgence d’agir, Défenseur des droits, 2020
- Rapport sur les discriminations en France, Observatoire des inégalités, 2023
- Définir et mesurer les discriminations. Note de l'Observatoire 2022
- Site Boulevard des potes
- Site ARESVI
- Discriminations et représentations sociales, Johanna Dagorn (Sociologue, Université de Bordeaux)
Pour aller plus loin !
Cycle de qualification ORIV “Lutter contre les discriminations : Où en est-on ?"
Vous souhaitez en savoir plus ?
Christophe ROCHARD, Chargé de mission à PQN-A
Mail : christophe.rochard@pqn-a.fr
Tel : 06 31 21 77 44