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Web conférence #3 - La lutte contre les discriminations : les territoires en action, quels retours d'expériences ?

Publié le 27/03/2024
Temps de lecture : 15 min
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Quelles sont les bonnes pratiques en matière de démarche territorialisée de lutte contre les discriminations ? Comment mettre en place une stratégie sur son territoire ? Quels sont les enseignements à retenir ? Autant de questions qui ont été abordées au cours de cette web-conférence intitulée “Les territoires en action, quels retour d’expériences?” Retour sur les points clés de cette rencontre du 12 mars 2024.

Contexte

Cette web-conférence s'intègre dans le cycle de qualification “Agir contre les discriminations dans les territoires” et a réuni près d’une quarantaine de participants autour des invités du jour :

  • Marie-Laure Mestelan, Adjointe au Maire de Pau en charge de la Lutte contre les Discriminations, la Vie associative et la Coordination des quartiers à la Ville
  • Géraldine Kowalski-Judith, Chargée de mission Égalité et Développement Social des Quartiers à la Ville de Pessac 
  • Sandrine Malet, Trésorière de SOS Racisme Gironde
     

Zoom sur des démarches de lutte contre les discriminations menées dans une logique expérimentale

La démarche de Pau

A Pau, plusieurs acteurs associatifs étaient déjà implantés sur le territoire en matière d’égalité et de lutte contre les discriminations avant 2014, notamment au sein des quartiers prioritaires de la ville mais aucune coordination dans leurs actions n’était mise en œuvre et il n'y avait pas d'antécédent de démarches ou d'actions sur cette thématique au niveau de la municipalité.

C’est à partir de 2018 que l’agglomération de Pau a décidé d’impulser une démarche de lutte contre les discriminations en commençant dans un premier temps par la coordination du réseau local pour l’égalité femmes-hommes. Il a été décidé par la suite d'élargir l’éventail d’actions en prenant en compte d’autres discriminations importantes. Des événements annuels ont ainsi été organisés, avant même qu’une politique sur le sujet ne soit véritablement structurée, tels que “Mars Attaque” le mois de la lutte contre les discriminations à Pau, et la semaine du 25 novembre, consacrée à la lutte contre les violences intra-familiales.

En 2020, une délégation aux droits des femmes et aux discriminations est créée au sein de la ville de Pau avec une équipe dédiée pour mieux travailler avec les associations et mieux coordonner le réseau local d’acteurs. C’est à partir de 2021 que la municipalité décide de structurer une véritable politique pour renforcer son intervention en matière de prévention et de lutte contre les discriminations avec un plan d’actions ayant pour socle un diagnostic sur le ressenti et le vécu des discriminations des Palois, réalisé en 2019 par Aresvi (Association de recherche et d’étude sur la santé, la ville et les inégalités). 

La démarche de Pessac

A Pessac, la volonté de travailler sur le sujet de l’égalité et de la lutte contre les discriminations est d’abord émise par les acteurs de terrain de la politique de la ville (associatifs et institutionnels), partant d’un constat local dans les trois quartiers prioritaires.

En 2015, l’élaboration des précédents contrats de ville s’effectue dans un contexte post-attentat, avec une demande sociale et politique forte de la part des professionnels sur ces questions d'égalité, de valeur de la république et de lutte contre les discriminations. A cette même période, la ville de Pessac connaît également un changement de majorité municipale, qui souhaite prendre à bras le corps ces sujets d’égalité et de lutte contre les discriminations, au sein des quartiers prioritaires, mais également à l’échelle de l’ensemble du territoire.

La ville de Pessac décide alors de s’emparer du sujet en commençant par une démarche d’exemplarité, avec la mise place, en interne, d’un plan de formation sur la lutte contre les discriminations et l’égalité femmes-hommes, à destinations des élus et des agents publics. La même année, la municipalité met en place une démarche territoriale intitulée “Pessac s’engage”. “On était dans une logique expérimentale, en phase avec le terrain et en fonctionnant de façon empirique.” Géraldine Kowalski-Judith

En 2018, la ville décide de structurer, formaliser et officialiser un plan local de prévention et de lutte contre les discriminations, décliné en 6 axes définis en se basant d’un diagnostic territorial réalisé en 2017. 
 

Comment élaborer et animer une démarche de lutte contre les discriminations dans la durée ?  

Réaliser un diagnostic pour élaborer sa démarche et/ou son plan d’actions en matière de lutte contre les discriminations

Pour élaborer sa démarche et son plan de lutte contre les discriminations, l’agglomération de Pau s’est entourée d’un prestataire, Aresvi, pour réaliser une étude scientifique sur le ressenti et le vécu des discriminations des palois. Cette étude a reposé sur un questionnaire ayant été posé à 1000 personnes et a permis d’objectiver la situation, de valider des priorités de discriminations et d’actions et d’aider à construire une méthodologie de travail pertinente et adaptée aux particularités du territoire de Pau. Pour structurer sa démarche et son plan local de prévention et de lutte contre les discriminations, la ville de Pessac s’est quant à elle appuyée sur la réalisation d’un diagnostic territorial ayant permis d’identifier des priorités. Le plan d’actions a ensuite été structuré en 6 axes.

Combiner des temps forts et une animation de réseau continue

Le fondement de la démarche “Pessac s’engage” repose en partie sur la création d’un réseau de partenaires (45 structures institutionnelles, associatives et culturelles) très impliqués et engagés sur le sujet. Pour fédérer ses partenaires, la ville de Pessac a réalisé chaque année, entre 2016 et 2019, une journée dédiée à une thématique spécifique sur la lutte contre les discriminations et ouverte au grand public dans un objectif de sensibilisation, de prévention et de visibilité des actions réalisées par les différents partenaires.

Depuis 2020, le choix a été fait de substituer à ces journées “temps forts”, des journées de rencontres du réseau des partenaires, organisées trois à quatre fois par an. Ces rencontres permettent aux partenaires d'échanger, de co-construire, de s’outiller et de se mobiliser sur le sujet. Pessac participe également depuis 2020 à la Quinzaine de l’égalité et de la diversité organisée par Bordeaux Métropole au mois de novembre. L’ambition de cette manifestation est de promouvoir l’égalité, la diversité culturelle et la citoyenneté et de lutter contre les discriminations.

L’agglomération de Pau organise quant à elle chaque année en mars et avec ses partenaires, des temps forts et des actions de sensibilisation avec la manifestation “Mars Attaque”, afin de sensibiliser le grand public à la lutte contre toutes formes de discriminations. En 2024, ce sont 91 partenaires culturels, associatifs et institutionnels qui se sont mobilisés et ont proposé plus de 90 actions de sensibilisation et de lutte contre les discriminations allant du théâtre à la photographie, d’ateliers d’expression en conférences, visites, collectes dans 40 lieux différents de la ville et de l’agglomération. Pau organise également une semaine contre les violences intra-familiales au mois de novembre. 
 

Quels enseignements peut-on retenir ?

Des démarches impulsées par la politique de la ville 

L'agglomération de Pau et la ville Pessac comportent toutes deux des quartiers prioritaires sur leur territoire (deux QPV à Pau et trois QPV à Pessac). Les premières actions en matière de lutte contre les discriminations sont nées dans ces quartiers et ont été financées par la politique de la ville (étude d'aresvi à Pau). Ces démarches étaient menées au départ avec une logique d'expérimentation mais cela a permis, au fil des années, de les généraliser à l'échelle de l'ensemble de la ville, à Pessac et à l'échelle de l'agglomération, à Pau. 

Faire des choix stratégiques de priorisation dans la démarche

En partant du constat qu’il est très difficile, voire impossible, de traiter les 26 types de discriminations de manière efficace, Pau et Pessac ont priorisé certains axes en se basant sur leurs diagnostics territoriaux. Pau a décidé de prioriser cette année dans son programme Mars Attaque, les discriminations à l’embauche en 2024, pouvant s'agir de discrimination raciste, sexiste, homophobe ou selon l'état de santé. Quant à la ville de Pessac, elle priorise les discriminations liées aux origines, au genre et à la religion dans sa démarche.

La lutte contre les discriminations, une nouvelle politique publique à part entière

A Pessac, les deux référentes qui coordonnent la thématique de la lutte contre les discriminations sont très bien identifiées en tant que personnes ressources au sein de la collectivité et par les partenaires. Ces personnes ressources et cet ancrage du sujet au sein même de la municipalité ont permis d'intégrer la lutte contre les discriminations dans les politiques publiques locales en tant que véritable politique intégrée au sein du plan petite enfance, du projet éducatif global ou bien encore du programme de formation RH de la ville. On a construit une nouvelle politique publique à Pessac” Géraldine Kowalski-Judith. A Pau, la lutte contre les discriminations est également devenue une politique publique à part entière à partir de 2020, notamment suite à la création d’une délégation aux droits des femmes et aux discriminations.

L’adaptation aux évolutions de la société face au contexte national et international

Les municipalités de Pau et de Pessac adaptent également leurs démarches, leurs actions et leurs priorités, à l’évolution de la société. En effet, le sujet de la lutte contre les discriminations est directement impacté par le contexte national, international et par des mouvements de grande ampleur qui viennent éveiller les consciences, tels que le mouvement Me Too (en 2017) ou encore Black Lives Matter (en 2020). Ces deux mouvements, débutés aux États-Unis, se sont par la suite répandus en France et dans le reste du monde comme une traînée de poudre.

En France, à la suite de nombreux témoignages ou alertes de femmes agressées dans la rue, le gouvernement a mis en place en 2020 le dispositif national Angela afin de mettre les femmes en sécurité en créant un réseau de lieux sûrs sur tout le territoire. En 2022 à Pau, l'agglomération et ses partenaires se sont emparés de ce dispositif et ont lancé le plan "Où est Angela ?" qui vient renforcer et conforter les différentes actions entreprises dans la lutte contre les violences faites aux femmes et intrafamiliales.

Ce dispositif permet à tout un chacun de se rendre dans un lieu « refuge » et de demander « Où est Angela ? ». Cette question discrète est un signal d'alerte qui permet de faire comprendre qu'on se sent en danger. Près d'une soixantaine d'établissements volontaires (commerçants, laboratoires médicaux mais aussi des lieux d'accueil publics et associatifs) ont manifesté leur engagement en apposant sur leur vitrine un sticker dédié à l’opération « Demandez Angela ». Cet affichage permet aux femmes victimes de violence d’identifier facilement les lieux qui peuvent leur garantir un accueil sécurisé. 

L'importance de la sensibilisation et de la formation

L’acculturation et la formation des élus et des agents sont des leviers fondamentaux pour s’emparer du sujet par sa maîtrise, selon Marie-Laure Mestelan. “La formation et la sensibilisation sont complémentaires des sanctions et sont essentielles pour enrayer les discriminations”  Sandrine Mallet. De même pour Géraldine Kowalski-Judith, la formation est un enjeu majeur à Pessac, de part son plan de formation sur la lutte contre les discriminations et l’égalité femmes-hommes, à destinations des élus et des agents publics.

S’appuyer sur le tissu local et s’adapter aux spécificités de son territoire

S’appuyer sur le tissu local en s’adaptant à son territoire et à ses spécificités est également essentiel pour répondre au mieux aux enjeux de lutte contre les discriminations. "Il ne faut pas tout attendre d'en haut mais travailler avec le tissu local associatif et s’adapter aux spécificités de son territoire.” Marie-Laure Mestelan. “Il faut s’appuyer sur les associations et travailler avec les acteurs de terrain.” Géraldine Kowalski-Judith

Des difficultés à toucher les victimes de discriminations dans les quartiers prioritaires

Néanmoins, les deux territoires constatent une difficulté à toucher directement les victimes de discriminations, notamment les habitants des quartiers prioritaires, malgré les actions réalisées et les plans d’actions. Il faut continuer les démarches d’aller-vers et l’accès aux droits. “On constate un certain fatalisme et une résignation de leur part dans l’accès à leurs droits et une défiance envers la justice.” Géraldine Kowalski-Judith / “Il y a une sorte d’invisibilité d’une partie de la population qui vivent dans les quartiers prioritaires.” Sandrine Malet 

Une médiatisation grandissante de la lutte contre les discriminations, pour quels bénéfices ?

Le sujet de la lutte contre les discriminations est de plus en plus médiatisé et occupe davantage l’espace public qu’auparavant. Cette mise en lumière par les médias permet d’embarquer et de mobiliser de nouveaux partenaires, mais peut également créer une certaine pression pour les élus qui s’engagent dans une telle démarche. 
 

Un outil emblématique de la lutte contre les discriminations : le testing

Comment le testing est-il apparu dans l’hexagone ?

En France, le premier test de discrimination remonte à 1939 mais c’est à la fin des années 90 que l’association SOS Racisme réintroduit la méthode du testing. Le constat de l’époque est que la vision que porte la société sur la jeunesse des quartiers populaires est celle d’une jeunesse qui a un problème d’intégration. Ces jeunes, pour la plupart issus de l’immigration, sont en effet plus touchés par le chômage que les autres. Pour SOS Racisme, il y a davantage un problème d’insertion et d’ascenseur social qui s’explique par un processus de ghettoïsation des quartiers populaires dû aux discriminations raciales. C’est pour démontrer ces discriminations que l’association importe le testing en France.

En quoi consiste la méthode du testing ?

La méthode de testing consiste à placer des personnes qui se distinguent uniquement par leurs origines perçues dans une même situation pour accéder à un bien ou un service, afin de comparer les réponses qui leur sont données. Les personnes ou groupes de personnes ont un profil similaire en tous points afin de neutraliser un certain nombre de caractéristiques (tranche d’âge, sexe, tenue vestimentaire, diplôme, expériences professionnelles...) et de vérifier si la différence de traitement s’appuie sur le seul critère différencié, à savoir celui de l’origine perçue (type, couleur de peau, patronyme, accent).

Pour chaque testing, on distingue :

  • le « testeur » ou « groupe testeur », ceux qui seront potentiellement discriminés au regard de leurs origines perceptibles, souvent associés à un groupe minoritaire en France,
  • la personne « contrôle » ou groupe « contrôle », ceux qui semblent montrer une ascendance française, associés au groupe majoritaire dans la société,
  • le groupe de témoins, ceux qui observent la situation et qui dans le meilleur des cas peuvent entendre la conversation. Pour favoriser leur crédibilité devant les tribunaux, SOS Racisme fait appel à des témoins de moralité, c’est-à-dire des personnes ayant un statut reconnu par la société (élus, avocats, médecins, universitaires, professeurs...).

Si le groupe testeur se voit opposer un refus alors que le groupe contrôle reçoit une réponse positive, alors la discrimination raciale est avérée. 

Le testing comme moyen de preuve devant la justice

Aujourd’hui, le testing a été légalisé comme un moyen de preuve, par la loi sur l’égalité des chances. En légalisant le testing par la loi, le législateur a voulu répondre à la difficulté d’apporter la preuve d’une discrimination devant les tribunaux. Récemment, le 6 décembre 2023, l’assemblée nationale a adopté en 1ère lecture, une proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de test individuels et statistiques dont la mise en œuvre sera portée par un service dédié au sein de la DILCRAH.

Une démocratisation du testing qui reste à populariser auprès du grand public et des acteurs de terrain

Le testing est un outil qui s’est démocratisé, qui est rentré dans la loi et dans le discours des pouvoirs publics et qui sert à la recherche, pour autant, il reste encore à populariser dans le sens où les publics et les acteurs de terrain ne s’en saisissent pas assez. Pour SOS Racisme, il faut populariser le testing, un outil que tout le monde doit pouvoir utiliser dès lors qu’il y a une suspicion de discrimination, et en particulier dans les quartiers populaires. C’est un moyen pour la population de prendre en main la lutte contre les discriminations en ayant une perspective de "revanche" et de dépassement de la posture victimaire.

“Tout le monde devrait pouvoir organiser un testing du moment où il y a une suspicion de discriminations. Il faut que ça se généralise et que les populations s’emparent de cet outil pour porter plainte par la suite.” Sandrine Malet
 

Consultez le replay du webinaire Découvrir la plaquette Pessac s’engage Rapport du plan de lutte contre les discriminations de Pau 2022-2026 Programme Mars Attaque 2023 à Pau Présentation du rapport du plan Angela de Pau

 

Vous souhaitez en savoir plus ?

Christophe ROCHARD, Chargé de mission

christophe.rochard@pqn-a.fr / 06 31 21 77 44

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